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Muséification du village du Panier et continuité populaire 1 Gentrification ou muséification du Panier ?

territorialement Le cas des quartiers des Olivettes (Nantes), du Panier (Marseille) et Berriat (Grenoble)

Chapitre 4 : Situations géographiques et trajectoires évolutives de trois quartiers créatifs Terreaux et prémices de la clubbisation aux Olivettes, au

1. Gentrification et persistance de la figure du village : entre transformations sociales et continuités populaires dans les quartiers

1.2. Muséification du village du Panier et continuité populaire 1 Gentrification ou muséification du Panier ?

Suite à un fort déclin démographique à la fin du XXème siècle (voir chapitre 4), le quartier du Panier connaît une stabilisation du nombre d’habitants. Après une baisse entre 2008 et 2012 (de 5 617 habitants à 5 054), la tendance est la hausse (5 175 habitants en 2013). La stabilité des effectifs s’accompagne d’une faible évolution du profil socioéconomique de la population permettant de nuancer l’hypothèse d’une gentrification du quartier. Comme dans le cas des Olivettes, une continuité populaire s’opère. Quatre éléments en attestent.

Premièrement, une part importante de la population se trouve dans une situation de précarité économique. Entre 2001 et 2011, le premier décile des revenus annuels par UC a peu évolué et est resté à un niveau très bas (0€ à 285115). Des populations en situation de précarité habitent

toujours dans le quartier et elles représentent encore une part importante de la population totale. En 2012, 53 % des habitants du Panier vivent sous le seuil de pauvreté contre 25 % à Marseille et le taux de chômage s’élève à 20 % chez les 15-64 ans contre 18 % à l’échelle de la ville en 2011. Par conséquent, le quartier est toujours intégré dans la géographie prioritaire de la politique de la ville.

Deuxièmement, en 2013, le profil professionnel des habitants de plus de 15 ans est dominé par les employés (18 %) et les retraités (17 %). La part des cadres et des professions intellectuelles supérieures demeure faible et augmente peu passant de 10 à 11 % des plus de 15 ans entre 2008 et 2013. La catégorie des ouvriers est également stable avec seulement une légère baisse sur cette même période (de 12 à 11 %).

Troisièmement, le Panier a conservé son rôle d’accueil des populations immigrées qui représentent 20 % de la population en 2013 contre 13 % à l’échelle de Marseille.

Quatrièmement, le quartier est toujours marqué par la présence de bâtiments délabrés en attente de rénovation, d’immeubles en cours de travaux et de logements vacants (plus de 18 % du parc de logement en 2013).

Certains indicateurs montrent qu’une évolution est toutefois en cours. Premièrement, entre 2001 et 2011, une élévation du niveau de revenus de la population est constatée, la médiane des revenus annuels par UC passant de 6 868€ à 11 392116. Deuxièmement, l’arrivée de populations plus aisées est rendue visible par l’augmentation du dernier décile des revenus annuels par UC (de 20 198€ à 27 677 entre 2001 et 2011). Mais la gentrification demeure limitée à quelques îlots au sein du quartier (Douart, 2008). Elle n’est pas généralisée. L’attractivité du quartier pour les ménages

115 Ces chiffres correspondent aux revenus déclarés par les unités de consommation sans les prestations sociales. 116 Le revenu médian demeure inférieur à celui des marseillais dans leur ensemble en 2011 (16 789€).

aisés est limitée par plusieurs caractéristiques. Tout d’abord, les logements du Panier sont de petite taille117 et les plus agréables pour la vue qu’ils offrent sont au 4ème étage d’immeubles sans ascenseur. Ensuite, le quartier reste sale (rats, déchets sur la voie publique…), humide et sombre en hiver. Enfin, de par son implantation sur une butte et son organisation urbaine, le Panier est difficilement accessible compliquant par exemple le portage des courses. Tous ces éléments font du quartier un territoire peu propice à l’installation massive de populations aisées. Ils ont même incité certains gentrifiers à quitter le Panier après leur emménagement : « En fait le quartier ne

leur convenait pas. Il y a beaucoup de gens dans la rue et dans les rues à côté qui sont venus, des bobos qui sont venus il y a 10 ans au Panier et qui sont repartis parce qu’il n’y a pas de jardin, les appartements sont petits, il y a peu de terrasses, il y a pas beaucoup de soleil et puis c’est difficile pour se garer donc ça fait plein de contraintes » (artiste habitant au Panier depuis 1997,

entretien n°184, mai 2016).

La transformation du Panier tient en réalité moins à l’évolution de sa population résidente qu’à la croissance des pratiques touristiques ponctuelles induite par sa mise en tourisme (voir chapitre 4). La mise en tourisme du quartier répond à la recherche individuelle et collective de l’authentique notamment mise en avant par Rachid Amirou (1995 et 2000). Cette recherche s’intensifie dans le contexte d’un capitalisme artiste caractérisé par l’évolution continue des tendances (Lipovetsky et Serroy, 2013). La patrimonialisation des espaces urbains y apporte une réponse. Mais l’ « esthétisation muséale de la ville » (Ibid., p. 336) peut vider un quartier de sa vie habituelle et quotidienne par l’augmentation des prix de l’immobilier, la présence grandissante de résidences secondaires et les stratégies d’évitement vis-à-vis des touristes adoptées par les populations locales. Dans le cas du Panier, le marché des résidences dédiées aux touristes est en expansion. En 2017, la plateforme de location immobilière de vacances Airbnb propose en moyenne 270 logements sur le quartier dont 92 % en logement entier118. En parallèle, le nombre de résidences

secondaires a plus que doublé entre 2012 et 2013 passant de 26 à 53. Ce mouvement fait craindre à certains habitants du quartier le déclin du dynamisme de la vie sociale locale : « L’immeuble

d’en face a été racheté par un promoteur, et malheureusement ce promoteur il veut chasser tout le monde, tous les gens qui vivent à l’année pour faire du locatif saisonnier. […] Donc qu’est-ce qui va se passer ? On ne va plus avoir de famille, on ne va plus avoir d’enfant, c’est ça qui fait la vie » (entretien n°116, octobre 2015). Plus qu’une gentrification qui demeure marginale, le Panier

est sujet à un processus de muséification.

117 En 2012, 57 % des résidences principales font moins de 40 m².

118 L’offre proposée pouvant varier dans le temps, 20 relevés à différentes dates et pour différentes périodes de

réservation ont été réalisés sur le site d’Airbnb (https://www.airbnb.fr/). Le filtre par quartier a été sélectionné pour n’avoir que les logements localisés au Panier d’affichés.

1.2.2. Perpétuation de la vie de village par les habitants

La figure du village héritée de la période corse (voir chapitre 4) est appropriée par les habitants actuels du Panier. Ils considèrent leur quartier comme un village119 (Douart, 2008). Cette référence au village s’accompagne de la formule consacrée « tout le monde se connaît ». Certaines pratiques et initiatives des habitants participent à perpétuer l’image villageoise du Panier. Les conversations partagées entre voisins depuis les fenêtres en étendant le linge et les regroupements d’habitants en bas des immeubles pour discuter, fumer et partager l’apéritif rappellent les interactions sociales tissées dans les quartiers-villages populaires d’Europe du Sud étudiés par Kaj Noschis (1984). Il en va de même pour les discussions entre les parents d’enfants sur la place de Lorette, les conversations sur les bancs de la place des Moulins entre les habitants promenant leurs chiens et les jeux d’enfants sur la place du Refuge (photographie 7). Par ces pratiques, le quartier s’affirme comme un lieu de sociabilité et d’interconnaissance. La création du collectif informel Jardinons

au Panier en est une illustration. Suite à l’initiative de Maria, habitante historique du quartier,

plusieurs habitants se sont mobilisés pour planter des fleurs dans les rues. L’objectif de ce projet est triple. D’une part, il vise à introduire de la verdure dans le quartier pour l’embellir et en transformer l’ambiance. D’autre part, il permet de marquer l’attachement des habitants au Panier et de dissuader des comportements jugés dérangeants tels qu’utiliser les trottoirs et les ruelles étroites comme parking automobile. Enfin, ce projet répond à la volonté des habitants de créer des liens et des échanges à l’échelle du proche voisinage via le partage de bonnes pratiques et l’entraide autour de l’entretien des plantations.

119 Les habitants rencontrés en entretien ont systématiquement utilisé le terme de village pour définir le Panier. Cette

référence est aussi utilisée par des visiteurs occasionnels du quartier, à l’image de cette marseillaise entrant pour la première fois dans le quartier par la montée des Accoules depuis la place de Lenche et déclarant : « On dirait un

Photographie 7 : Les places publiques du Panier comme lieux centraux du village (Marseille).

La perpétuation dans les discours et les pratiques de la figure du village s’apparente à une appropriation du mythe du quartier-village corse. Les habitants utilisent la charge symbolique et historique du Panier pour valoriser leur choix de localisation résidentielle parfois contraint et leur mode de vie (Garden et al., 1986). La valorisation du village correspond à une forme de légitimation sociale.

A : la place des Moulins est l’une des nombreuses places du « village » du Panier

où se retrouvent les habitants.

A

B

B : la place du Refuge est le lieu privilégié des enfants pour jouer au football.

La palissade taguée au fond cache une friche gagnée par la végétation, remplie d’ordures et abritant des rats. Elle devrait être provisoirement transformée en jardin partagé face à l’échec

des projets immobiliers lié à la configuration contraignante des lieux (accessibilité du chantier difficile, faible emprise au sol, hauteur des bâtiments

constructibles limitée). Source : photographies prises par Basile Michel le 26/10/2015.

En tant qu’association assurant le lien entre les habitants et les élus, le Comité d’Intérêts de Quartier (CIQ) du Panier tire également sa légitimité de son appartenance territoriale à un quartier historique identifiable et identifié par sa singularité géographique et sociale (Mattina, 2016). Le statut du quartier du Panier permet au CIQ d’obtenir des services de la part de la mairie de secteur avec plus de facilité que les autres CIQ de la ville (Mattina, 2001). Ainsi, le CIQ est à la fois un acteur de la valorisation et de la défense de l’image et de l’histoire du quartier-village du Panier et un bénéficiaire de cette image et de cette histoire.

1.3. La permanence du mythe du village malgré l’avancée de la gentrification à Berriat

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