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Quelles niches pour l’arithmétique ?

IV. LA PERIODE CONTEMPORAINE (1998/2002)

Les structures algébriques et les notions d'ensemble et de relation n'étant aujourd'hui plus abordées dans le secondaire, le programme de 1998 est en conséquence singulièrement différent de celui en vigueur entre les années 1971 et 1983. En effet, les niches que l'arithmétique occupait en 1971 ne sont plus viables dans l'enseignement dans la période contemporaine. Les structures algébriques et les ensembles de nombres ne sont plus des objets d'étude et les notions de valeurs approchées et de représentations décimales sont prises en charge avant la classe de terminale, sans aucune notion préalable d'arithmétique. L'habitat de l'arithmétique ne peut donc plus rester le même pour des raisons similaires. En analysant le programme de 1998 de terminale S spécialité, nous allons voir quels sont les nouveaux habitats de l'arithmétique ainsi que ses nouvelles niches.

La colonne « connaissances et savoir- faire » du programme de 1998 se présente de la façon suivante :

« Divisibilité dans Z. Nombres premiers.

Division euclidienne, algorithme d'Euclide et, PGCD et PPCM. Théorème de Bézout et théorème de Gauss. »

Comme il était prévisible, ce programme ne mentionne plus les structures de (N, +, ×), de (Z, +, ×) et de (Z/nZ, +, ×). Il est même spécifié dans la colonne des commentaires que « toute introduction de Z/nZ est hors programme ».

De plus, deux autres différences apparaissent entre les programmes de 1971 et 1998 :

En 1998, l'algorithme d'Euclide est mentionné dans le texte du programme alors que ce n'était pas le cas en 1971.

L'introduction du PGCD et du PPCM n'intervient pas à la suite des mêmes notions : en 1971, le PGCD et le PPCM font partie du paragraphe se rapportant aux nombres premiers alors qu’en 1998, le PGCD et le PPCM sont placés dans le paragraphe sur la division euclidienne, et plus précisément, après l'algorithme d'Euclide.

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De 1998 à 2002

(Spécialité mathématique de Terminale S)

Les nombres entiers

Aucune mention des ensembles N et Z dans le programme de spécialité.

L’arithmétique

Divisibilité dans Z : diviseurs, multiples d’un entier.

Nombres premiers : Existence de la décomposition et d’une infinité de nombres premiers.

Division euclidienne et algorithme d’Euclide ; PGCD, PPCM de deux entiers. Entiers premiers entre eux.

Théorème de Bézout et de Gauss.

T.P. : Algorithme de test de primalité, Crible d’Eratosthène. Critères de divisibilité, changements de base de numé ration. Résolution dans Z d’équations au+bv=d où d est le PGCD des entiers a et b. Exemples de problèmes de calendrier, de méthode de cryptage ou de codage.

Nos commentaires

Pas de prolongement dans l’enseignement de spécialité ou obligatoire.

Fig. 6 Programme d’arithmétique en spécialité mathématique période contemporaine (1998/2002).

Pour voir les profondes différences en terme de transposition didactique et d'écologie des savoirs entre ces deux périodes (autres que celles visibles dans les tableaux 5 et 6, présentés ci-dessus) il faut se pencher sur l'ensemble du chapitre « Arithmétique » du programme de 1998 et notamment sur son introduction et sur le paragraphe concernant les Travaux Pratiques. Nous pouvons ainsi lire dans l'introduction :

« L'objectif est de donner aux élèves un minimum cohérent de notions élémentaires permettant l'élaboration d'algorithmes16 simples et fondamentaux [...] »

Cette mise en avant des algorithmes est frappante dans la description des Travaux Pratiques et dans les commentaires qui les accompagnent. Pour ne citer que deux exemples :

Dans le premier des Travaux Pratiques : « Mise en œuvre de l'algorithme d'essai de division par des nombres successifs pour reconnaître si un entier donné est premier. » suivi du commentaire « Pour tester si un nombre est premier, l' algorithme comporte une condition d'arrêt à indiquer. ».

Dans le second sur l'utilisation de la division euclidienne : « L'aspect algorithmique sera privilégié. ».

Ainsi, dans le chapitre d'arithmétique, le mot algorithme est mentionné six fois (avec, dans la partie « connaissances et savoir-faire », la dénomination explicite de l’algorithme d'Euclide) alors qu'il n'apparaissait pas une seule fois dans le programme de 1971.

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C'est l’une des différences fondamentales entre ces deux programmes : l'approche structurelle de l'arithmétique est évincée au profit d’une approche algorithmique. Chacun des programmes développe de façon privilégiée un aspect particulier du « savoir savant » arithmétique.

Pour en revenir à une approche écologique, il semblerait que l'arithmétique occupe dans le programme de terminale S actuel une place qui est plutôt « autonome ». Son habitat semble a priori séparé des autres grands lieux d'habitat que sont la géométrie, l'analyse et l'algèbre du fait de la présence de l'arithmétique en enseignement de spécialité uniquement.

Quelles niches pourra donc occuper l'arithmétique dans ce contexte ? L'accent porté sur l'aspect algorithmique de l'arithmétique permet- il d'apporter une première réponse à cette question ?

Ce changement de programme en faveur de la notion d'algorithme est en accord avec les objectifs généraux du programme actuel et répond aux lignes directrices qui y sont développées. Citons pour exemple des extraits du chapitre IV – « objectifs et capacités valables pour l'ensemble du programme », paragraphe 3 – « Problèmes algorithmiques » :

« Dans l'ensemble du programme, il convient de mettre en valeur les aspects algorithmiques des problèmes étudiés [...]. On explicitera ce type de démarche sur quelques exemples simples : construction et mise en forme d'algorithmes, comparaison de leurs performances pour le traitement d'un même problème ; mais aucune connaissance spécifique n'est exigible des élèves à ce niveau. »

Les compétences attendues sur les algorithmes ne se limitent pas à savoir les utiliser et les manipuler comme outil de résolution de problèmes. Un enseignement de la démarche algorithmique est introduit même si la maîtrise d'une telle démarche ne peut être exigée. Soulignons que l'arithmétique est un domaine privilégié de construction et de mise en œuvre d'algorithmes.

Dans le paragraphe 4 – « Emploi des calculatrices programmables ou ordinateurs de poche » :

« Savoir recourir à une instruction séquentielle ou conditionnelle et, en classe de terminale, à une instruction itérative, comportant éventuellement un test d'arrêt17. »

Les nombreux algorithmes au programme de l'enseignement de l'arithmétique en terminale peuvent donc servir d'exemples pour apprendre à programmer une calculatrice.

Et enfin, dans le paragraphe 5 – « Impact de l'informatique » :

« La mise en valeur des aspects algorithmiques et l'emploi des calculatrices programmables ont été évoqués ci-dessus ; il convient aussi d'utiliser les matériels informatiques existant dans les établissements [...] et d'habituer les élèves, sur des exemples simples, à mettre en œuvre une démarche algorithmique avec méthode, mais aucune capacité n'est exigible dans ce domaine. »

L'orientation algorithmique qu'a pris l'enseignement de l'arithmétique en 1998, contrairement à l'orientation structurelle théorique qui prévalait en 1971, est soutenue par le développement récent de l'informatique qui utilise de nombreux résultats d'arithmétique (que ce soit pour des problèmes d'affichage, de traitement des données en système binaire ou hexadécimal et de cryptographie par exemple, de virgule flottante, etc.). Citons à cet effet Artaud (1997) :

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« Nous examinerons maintenant –un ouvrage–, dû à Arthur Engel et traitant des Mathématiques élé mentaires d'un point de vue algorithmique. Cet ouvrage, dont la traduction française date de 1979, doit être situé dans le mouvement d'ensemble qui voit le surgissement de l'informatique, dont la noosphère s'est fait l'écho, et, plus particulièrement, de ces deux domaines que sont l'algorithmique et la programmation. C'est ainsi que l'auteur, dans son introduction, déclare :

‘Les développements récents des ordinateurs et des calculatrices électroniques de poche amèneront, à brève échéance, une nouvelle évolution dont l'idée directrice consistera à souligner le caractère algorithmique des mathématiques. La notion d'algorithme deviendra fondamentale dans l'enseignement et il nous faudra repenser l'ensemble des mathématiques scolaires d'un point de vue algorithmique. Ce livre se voudrait une contribution à une telle évolution.’ » (Artaud 1997, p. 117)

Ainsi, la réintroduction de l'arithmétique peut, dans une certaine mesure, se placer dans cette problématique d'évolution « dont l'idée directrice consistera à souligner le caractère algorithmique des mathématiques ». Dans un tel contexte, que le programme de 1998 semble favoriser, une des niches de l'arithmétique est sans nul doute de fournir un certain nombre d'algorithmes pour permettre le travail des notions algorithmique/programmation qui se complètent.

Existe-t- il d'autres niches occupées par l'arithmétique ?

L'analyse du programme montre une autre niche possible pour l'arithmétique, niche que l'on peut qualifier de « culturelle ». Plusieurs passages du programme soutiennent cet aspect important de l'arithmétique :

« Il nous a paru utile de faire figurer un enseignement d'arithmétique en raison de l'importance de celle-ci dans la culture scelle-cientifique [...] » (Dans le paragraphe « quelques lignes directrices pour le contenu ») « [...] Il convient de mettre en valeur le contenu culturel des mathématiques ; en particulier, l'introduction d'une perspective historique peut permettre aux élèves de mieux saisir le sens et la portée des notions et des problèmes étudiés, et de mieux comprendre les ressorts du développement scientifique. » (Rubrique concernant « l'unité de la formation »)

« L'arithmétique mérite de tenir une place dans la série scientifique, pour l'enseignement de spécialité, en raison de son importance dans le développement des mathématiques. » (Introduction au chapitre d'arithmétique dans le texte du programme de spécialité)

Pour sa réintroduction dans les programmes de spécialité mathématique, deux fonctions sont donc attribuées à l’arithmétique : une fonction dominante qui est de faire travailler les élèves sur les aspects algorithmiques des mathématiques et une fonction de sensibilisation à la culture mathématique.

Cependant, nous pouvons dès maintenant émettre des doutes sur la viabilité de la niche « algorithmique » dans les classes, malgré l’insistance du programme sur ce point. En effet, il est bien connu que les calculatrices et autres moyens informatiques ont du mal à vivre dans les classes et que les enseignants sont souvent réticents à la mise en avant de mathématiques « algorithmiques »18 au détriment des mathématiques « classiques » :

« On pourra ainsi se demander comment, dans une perspective d’évolution que nous avons désignée par l’étiquette de « mathématiques algorithmiques », on pouvait faire vivre ensemble, dans un curriculum postmoderne encore à construire, le point de vue classique et le point de vue algorithmique. Il n’est pas sûr en effet que leur rencontre ne soit pas, profondément, celle de l’huile et de l’eau, et que le principe

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Nous appelons mathématiques « algorithmiques » l’enseignement des mathématiques d’un point de vue algorithmique tel que le définit Engel (1979) et Rajoson (1988).

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d’exclusion n’amènerait pas rapidement à la disparition au profit de l’autre, de l’un de ces deux « partenaires »19. » (Rajoson 1988, p. 261)

L’analyse de la viabilité de cette niche dans les classes fait l’objet du chapitre B3 « Analyse écologique du savoir apprêté par les enseignants. Des contraintes et des libertés institutionnelles ». Les réponses des enseignants au questionnaire que nous avons construit en 1999 montrent que cette niche n’est pas viable et que les enseignants font vivre la niche « raisonnement » de l’arithmétique dans les classes. Ces résultats confirment l’hypothèse faite par Rajoson une dizaine d’années plus tôt.