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ANALYSE DES PRATIQUES ENSEIGNANTES : POINT DE VUE THEORIQUE ET CHOIX METHODOLOGIQUES

I. LIMITES DES OUTILS THEORIQUES INITIALEMENT CHOISIS

Dans la lignée des travaux portant sur l’étude de la transposition didactique, nous nous sommes placée dans le cadre de la TAD. Ce cadre théorique offrant plusieurs outils permettant de décrire et d’analyser les pratiques enseignantes, nous les avions initialement choisis pour étudier le rôle de l’enseignant dans le passage du savoir apprêté au savoir enseigné. Pour pouvoir rendre compte des difficultés auxquelles nous nous sommes heurtée lorsque nous avons mis en œuvre ces outils pour l’analyse de nos protocoles, nous commençons par les resituer brièvement dans le cadre de la TAD.

I.1 Outils d’analyse des pratiques enseignantes dans le cadre de la TAD Comme nous l’avons déjà développé dans la première partie de cette thèse, nous considérons tout enseignant comme sujet de plusieurs institutions (par exemple, de l’institution scolaire, de celles des professeurs de mathématiques ou encore des parents d’élèves). Ce point d’ancrage de la TAD, qui conduit à modéliser le professeur comme sujet d’une institution et non comme individu isolé, amène à introduire la notion de « rapport » pour appréhender les pratiques de ce dernier au sein de l’institution.

Modéliser l’enseignant comme sujet d’une institution permet d’identifier un système de contraintes qui pèsent sur lui du fait de son assujettissement à une institution donnée. Dans le cadre de celle-ci, les pratiques de l’enseignant doivent alors tendre à se rapprocher des normes

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de l’institution, autrement dit, l’enseignant doit apparaître comme un « bon » sujet de l’institution.

Si l’institution contraint les pratiques du professeur, celui-ci conserve malgré tout un espace de liberté, obtenu en faisant jouer « un ou plusieurs assujettissements institutionnels contre d’autres » (Chevallard 1992, p. 91).

Ainsi, un enseignant qui prépare son cours est assujetti à la fois au programme scolaire, aux différents manuels qu’il consulte mais il est également guidé par ses représentations sur les mathématiques et sur l’apprentissage des élèves. Ces différents assujettissements contraignent sa pratique tout en lui permettant de faire des choix d’apprêtage du savoir dans une relative liberté.

Se pose alors la question de la description et de l’analyse des pratiques de l’enseignant dans le cadre de l’institution scolaire. Un des principes fondateurs de la TAD est que la pratique d’un enseignant, comme toute pratique humaine, peut s’analyser selon un système de types de tâches T à accomplir, de techniques τ permettant de résoudre ces tâches, de technologies θ

justifiant ces techniques et de théories Θ justifiant ces technologies, c'est-à-dire selon une organisation praxéologique [T/τ/θ/Θ]

La figure 9 présentée en introduction montre que les types de tâches que doit accomplir l’enseignant sont nombreux. En effet, au niveau du savoir apprêté, le professeur doit non seulement construire –reconstruire– une organisation praxéologique mathématique qui représente ce que l’élève doit étudier mais il doit également envisager une manière d’aider l’élève dans son étude. Autrement dit, dans son projet de cours, l’enseignant doit reconstruire une organisation mathématique (OM) en l’insérant dans un projet didactique. Pour cela, il doit « trouver une réponse au problème praxéologique […] qui est le sien » (Chevallard 2002a) à savoir, construire une praxéologie didactique ou organisation didactique (OD) lui permettant de mettre en place l’OM reconstruite en classe.

Pour résumer, analyser les pratiques enseignantes en termes de praxéologies revient à analyser l’OM reconstruite par le professeur ainsi que l’OD mise en œuvre pour permettre l’étude de cette OM.

Il est important de souligner que l’analyse des OM reconstruites par l’enseignant peut se mener indépendamment de l’analyse des OD permettant de les mettre en place. Au contraire, non seulement l’OD est « contrainte » par l’OM qu’elle doit mettre en place mais l’OM re-construite dépend également fortement de cette OD :

« Cette détermination réciproque, ou codétermination, entre le mathématique et le didactique constitue, selon Yves Chevallard, ‘le principe fondateur des didactiques, au moins au sens qu’a donné Guy Brousseau à ce terme’. (Chevallard 2001) » (Bosch & Gascon 2002, p. 29)

Des outils de description des OM existent et permettent de restituer la dynamique de celles-ci (Chevallard 1999, p. 229). En effet, la description des OM en terme d’OM ponctuelles ou sujets (OM renvoyant à une unique tâche), d’OM locales ou thèmes (OM organisant le regroupement d’un ensemble de types de tâches autour d’une technologie), d’OM régionales ou secteurs (OM organisée par un amalgame d’OM locales autour de la théorie) et d’OM globales ou domaines (regroupement de plusieurs OM régionales) permet de distinguer

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différents niveaux d’OM et de tenir compte de la dynamique existant en ces OM de différents niveaux78.

Par ailleurs, la dynamique des OM peut également être interrogée par la dialectique ancien/nouveau (Chevallard 1991) proposée par la mise en texte du savoir par l’enseignant – par son apprêtage didactique du savoir–, dialectique qui structure le temps didactique et son avancée.

Pour ce qui est des OD, une praxéologie didactique peut être interrogée en premier lieu sur le topos qu’elle crée pour l’élève et l’enseignant. En effet, lorsqu’un enseignant construit son projet de cours, il doit prévoir un partage des responsabilités par rapport au savo ir incluant chacun des acteurs de l’étude. Envisager un cours magistral ou une séance d’exercices ou encore de travaux dirigés n’est pas équivalent quant à l’autonomie didactique qui sera celle de l’élève. Créer un topos pour l’élève est une des premières tâches didactiques à laquelle doit répondre un enseignant, tâche qui est généralement problématique.

Par ailleurs, une OD « peut être analysée, en première approximation, en interrogeant la manière dont elle réalise les différents moments de l’étude » d’une OM ponctuelle [T/τ/θ/Θ] (Chevallard 2002a, p. 14). Il définit les six moments didactiques suivants :

1) La première rencontre avec T ;

2) L’exploration du type de tâches T et l’émergence d’une technique τ relative à ce type de tâches ;

3) La construction de l’environnement technologico-théorique [θ/Θ] ; 4) Le travail de la technique τ ;

5) L’institutionnalisation ; 6) L’évaluation.

Ainsi, analyser le rôle de l’enseignant dans la transposition didactique interne en termes d’OM et d’OD revient à se poser la question du système de contraintes et de conditions dans lequel il fait ses choix d’OM et d’OD. La problématique écologique permet d’identifier ce système de contraintes qui déterminent ces choix.

Questionner les OD ou OM existantes nécessite d’analyser l’ensemble des contraintes pouvant peser sur ces organisations praxéologiques, de la plus générique à la plus spécifique. En effet, comme le souligne Chevallard (1999) :

« […] les problèmes spécifiques de l’étude d’une organisation mathématique locale particulière restent en général mal posés tant qu’on n’analyse pas les « choix » didactiques, conscients ou non, faits à des niveaux organisationnels de moindre spécificité. » (Chevallard 1999, p. 246)

Il propose une échelle de hiérarchie des niveaux de détermination de ces contraintes79 qui permet « un premier tri dans les paquets de contraintes présidant à l’étude scolaire » (Chevallard 2002, p. 42). Cette échelle compte huit niveaux dont chacun impose un système de contraintes aux OM et aux OD tout en permettant les conditions nécessaires à leur mise en place :

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Pour un exemple d’utilisation, se reporter au travail de Matheron (1999) sur le théorème de Thalès. 79

Pour une analyse de la dialectique des choix effectifs d’un enseignant et des choix possibles en identifiant les niveaux de détermination didactiques dont relèvent ces choix, voir Noirfalise &Wozniak (2002).

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Société (-2)? Ecole (-1)? Pédagogie (0)? Discipline (1)? Domaine (2)? Secteur (3)? Thème (4)? Sujet (5) Fig. 10 : Echelle de hiérarchie des niveaux de détermination surdidactiques et mathématiques

Cette échelle commence donc du niveau de généricité le plus élevé, le niveau -2, celui de la société pour descendre vers des niveaux de spécificité mathématique de plus en plus forte jusqu’au niveau 5, celui du sujet.

I.2 Limites de ces outils pour notre étude

La principale difficulté à laquelle nous avons été confrontée en essayant d’analyser l’activité d’un enseignant en termes de praxéologies didactiques et mathématiques a été celle de la description des OD mises en place par l’enseignant. En effet, l’analyse de l’OD selon les moments de l’étude qu’elle réalise reste insuffisante pour décrire l’OD en question en tenant compte de sa dynamique propre, de même que de celle l’OM qu’elle vise à mettre en place. Nous avons consulté plusieurs travaux80 s’intéressant à l’analyse des pratiques enseignantes en utilisant les outils de la TAD. Ces recherches proposent généralement une description et une analyse des OD mises en place par les professeurs pour l’étude d’un sujet (OM ponctuelle) ou d’un thème (OM locale) mathématique.

Selon nous, la description en termes de moments ne permet pas, pour l’instant, de prendre en compte la description des praxéologies didactiques enseignantes lors de la mise en place d’OM mathématiques plus complexes (OM régionales ou secteur d’étude) ni d’analyser complètement l’insertion de l’OM étudiée (quel que soit son niveau) dans l’ensemble du projet de cours d’un enseignant. Ce problème est également soulevé par Bosch et Gascón (2002) :

« On ne doit cependant pas oublier que, si une OD peut être décrite, en première approximation, à partir de sa structuration en termes de moments, il n’en reste pas moins que les moments ne suffisent pas à une telle description :car l’explicitation des différents moments de l’étude va partir, avant tout, de ce donné qu’est l’OM à mettre en place, qu’il va falloir être capable d’analyser en éléments ni ‘trop gros’ ni ‘trop fins’ pour ne pas tuer sa ‘structure vitale’, tout en montrant comment se réalise ou pourrait se réaliser sa ‘recomposition’. En d’autres termes, la description que nous pourrons fournir des OD relatives à une OM donnée va fortement être déterminée par la manière dont nous allons décrire cette OM. Inversement, si nous restons fidèles à la conception initiale de la didactique des mathématiques comme ‘épistémologie expérimentale’, la description des OD nous apportera des lumières sur cette OM qui, aux yeux du chercheur, ne devrait jamais devenir complètement transparente. » (Ibid., p. 32)

Pour faire un parallèle avec les niveaux de hiérarchisation des OM présentés plus haut, il nous semble que les moments permettent de décrire, au plus, des OD « locales », i.e. des OD visant à mettre en œuvre des OM locales.

Comment décrire les OD visant à mettre en place des OM de niveau de moindre spécificité que celui du thème ? Comment décrire des OD visant mettre en place des OM ponctuelles ?

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Nous pensons notamment à l’ensemble des T.D. « Structure, fonctionnement et écologie des organisations didactiques » du cours sur les praxéologies didactiques de la onzième école d’été de didactique des mathématiques et au travail de Bosch, Espinoza et Gascón (2003).

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Pour décrire en partie ces OD, nous avons choisi de procéder à un découpage des praxéologies didactiques des enseignants qui puisse être mis en parallèle avec celui des praxéologies mathématiques (de même que la mise en place d’une OM locale peut être décrite en première approximation par les moments de l’étude).

Souhaitant pouvoir décrire la dynamique des choix didactiques des enseignants au niveau de l’arithmétique apprêtée, c'est-à-dire au niveau de leur reconstruction d’un texte du savoir sur l’arithmétique, nous avons introduit un découpage de ce texte du savoir en chapitres, parties et paragraphes.

Nous reprenons la définition usuelle de ces termes. Rappelons tout d’abord que l’arithmétique est un domaine d’étude. Pour apprêter ce domaine, l’enseignant va généralement choisir de le partager en plusieurs « morceaux » que nous appelons chapitres. Chacun de ces chapitres va ensuite être découpé en parties, elles- mêmes divisées en paragraphes.

Cette structuration du savoir apprêté n’est pas une structuration d’ordre exclusivement mathématique. En effet, un ensemble de contraintes, dont certaines sont d’ordre avant tout didactique (comme le nombre de séances dont il dispose ou encore les dispositifs didactiques qu’il envisage), cond uisent l’enseignant à produire un tel découpage du savoir.

L’objectif d’introduire un tel découpage du savoir apprêté est de pouvoir le comparer à la structure du domaine mathématique traité. Le découpage en chapitres, parties et paragraphes du projet de cours de l’enseignant se rapproche-t- il du découpage en secteurs, thèmes et sujets d’étude du domaine mathématique étudié ? Quelles contraintes peuvent expliquer les choix d’un enseignant de procéder à tel découpage du savoir plutôt qu’un autre ? Quelle en est l’influence sur la dynamique des OM mises en place ? Sur celle des OD de niveaux plus spécifiques ?

Pour apporter des éléments de réponse à ces questions, nous utilisons également des outils d’analyse des pratiques enseignantes provenant d’autres cadres théoriques de la recherche en didactique des mathématiques française (la TSD et le cadre théorique d’analyse des pratiques