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Quelles niches pour l’arithmétique ?

V. LE DERNIER PROGRAMME D’ARITHMETIQUE (2002)

Après quatre ans d’application, le programme de spécialité mathématique a subi des changements. A la rentrée 2002, un nouveau programme d’arithmétique entre en vigueur. On peut supposer que les modifications apportées à l’ancien programme ont été motivées par la nécessité d’un réajustement par rapport à l’ancien programme et aux inévitables effets dus à la nouveauté qu’il a entraînés (il ne faut pas oublier que l’arithmétique a été réintroduite après 15 ans d’absence dans les programmes du secondaire).

Quelles sont les évolutions entre les programmes de 1998 et de 2002 ? Ces évolutions sont-elles importantes ? Observe-t-on un effet d’aplanissement ou, au contraire, un changement radical dans les orientations du programme ?

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Chapitre B1 : Analyse écologique des programmes depuis 1886

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De 1998 à 2002

(Spécialité mathématique de Terminale S)

20002

(Spécialité mathématique de Terminale S)

Les nombres entiers

Aucune mention des ensembles N et Z dans le programme de spécialité.

Les nombres entiers

Aucune mention des ensembles N et Z dans le programme de spécialité.

En 3ième : Diviseurs communs à deux entiers et fractions irréductibles (algorithme d’Euclide pour la recherche du PGCD)

En 2nde : Nature et écriture des nombres. Notations N,

Z, D, Q, R. Représentation des nombres dans une calculatrice. Nombres premiers (décomposition).

L’arithmétique

Divisibilité dans Z : diviseurs, multiples d’un entier. Nombres premiers : Existence de la décomposition et d’une infinité de nombres premiers.

Division euclidienne et algorithme d’Euclide ; PGCD, PPCM de deux entiers. Entiers premiers entre eux. Théorème de Bézout et de Gauss.

T.P. : Algorithme de test de primalité, Crible d’Eratosthène. Critères de divisibilité, changements de base de numération. Résolution dans Z d’équations au+bv=d où d est le PGCD des entiers a et b. Exemples de problèmes de calendrier, de méthode de cryptage ou de codage.

L’arithmétique

Divisibilité dans Z.

Division euclidienne. Algorithme d’Euclide pour le calcul du PGCD. Entiers premiers entre eux.

Congruences dans Z : Efficacité du langage des congruences, notation, compatibilité opératoire. Nombres premiers : Existence et unicité de la décomposition.

PPCM.

Théorème de Bézout et de Gauss.

T.P. : Algorithme de test de primalité (calculatrice ou tableur). Critères de divisibilité. Exemples simples d’équations diophantiennes, applications au codage et à la cryptographie, petit théorème de Fermat (à la main, à l’aide d’un tableur ou d’une calculatrice)

Nos commentaires

Pas de prolongement dans l’enseignement de spécialité ou obligatoire.

Nos commentaires

Pas de prolongement dans l’enseignement de spécialité ou obligatoire.

Fig. 7 Programme d’arithmétique en spécialité mathématique période contemporaine (1998/2002) et derniers changements de programme (2002).

Le tableau 7, présenté ci-dessus, montre que les contenus sont restés sensiblement les mêmes à deux différences près :

L’apparition explicite des congruences dans Z. Dans le programme de 1998, on établissait les propriétés des opérations sur les restes, compatibles avec les opérations usuelles. Cela pouvait donner lieu à la présentation et à la mise en œuvre des congruences mais « aucune connaissance spécifique ne [pouvait] être exigée » à ce sujet.

Dans l’ordre de présentation des objets d’arithmétique, le PPCM est dissocié du PGCD et est introduit à la suite des nombres premiers. On peut faire l’hypothèse que la recherche d’un PPCM de deux entiers s’appuiera de façon privilégiée sur la décomposition en produits de facteurs premiers de ceux-ci.

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Mais les différences profondes entre ces deux programmes en terme d’écologie s’expriment de façon explicite dans l’introduction du paragraphe concernant « l’enseignement de spécialité » et dans l’introduction à l’ensemble du programme de la « classe de terminale de la série scientifique ».

D’une part, les commentaires montrent que la volonté de faire vivre la niche « algorithmique » dans les classes est renforcée :

« C’est le lieu naturel de sensibilisation à l’algorithmique20 […] » (Introduction du paragraphe « enseignement de spécialité »)

« Les élèves à qui ce programme est destiné ont grandi dans un environnement technologique, qui façonne leur comportement et leurs valeurs et crée des centres d’intérêts profondément nouveaux. La puissance des outils informatiques et l’existence de calculatrices performantes dont la plupart des élèves disposent sont des progrès bienvenus, et leur impact sur la pédagogie des mathématiques est considérable. Il faut accompagner cette évolution, notamment en utilisant ces outils dans les phases de découverte et d’observation par les élèves . » (Introduction du programme de mathématique de terminale S)

Or, nous avons vu, dans l’analyse du programme de 1998 ainsi que dans celle du chapitre B3, que cette niche ne vit pas dans les classes entre 1998 et 2002 malgré l’insistance qui existait déjà à ce sujet dans le programme de 1998. Pour remédier à ce constat, les concepteurs du programme de 2002 ont introduit la remarque suivante :

« C’est le lieu naturel de sensibilisation à l’algorithmique où la nécessité d’être précis impose rigueur et clarté du raisonnement » (Introduction du paragraphe « enseignement de spécialité »)

En liant algorithmique et raisonnement, on peut faire l’hypothèse que les concepteurs de programme souhaitent dépasser le clivage fortement présent dans le corps enseignant entre mathématiques « classiques », qui correspondent au raisonnement et à la rigueur, et les mathématiques « algorithmiques », qui ont une image de mathématiques « expérimentales » non rigoureuses.

Par ailleurs, pour inciter les enseignants à faire vivre la niche « algorithmique » de l’arithmétique dans leur classe, des exemples de mise en œuvre d’algorithmes à l’aide de moyens informatiques sont explicitement mentionnés dans le programme, ce qui n’était pas le cas en 1998. On peut ainsi lire :

« On étudiera quelques algorithmiques simples et on les mettra en œuvre sur calculatrice ou tableur : recherche d’un PGCD, décomposition d’un entier en facteurs premiers, reconnaissance de la primalité d’un entier. » (Colonne « modalité de mise en œuvre » du contenu d’arithmétique)

« L’arithmétique est un domaine avec lequel l’informatique interagit fortement ; on veillera à équilibrer l’usage de divers moyens de calculs : à la main, à l’aide d’un tableur ou d’une calculatrice. » (Colonne « commentaires » des contenus d’arithmétique)

Les moyens informa tiques à utiliser dans les classes sont précisément identifiés, contrairement au flou de l’ancien programme à ce propos ; il s’agit du tableur et de la calculatrice. Pour aller plus loin dans cette volonté de proposer des exemples concrets de mise en œuvre d’algorithmes à l’aide de calculatrices ou de tableurs en arithmétique, les

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concepteurs du programme mettent un document d’accompagnement du programme de spécialité mathématique à la disposition des enseignants. Dans ce document d’accompagnement21, cinq exemples de développement des notions du programme sont proposés, dont quatre sont mis en relation avec l’utilisation d’un tableur ou d’une calculatrice :

1. Division euclidienne : la programmation d’une calculatrice pour obtenir le quotient et le reste d’une division euclidienne dans le cas où le dividende est négatif est envisagée :

« Si le tableur ou la calculatrice utilisée par l’élève ne permet pas une division euclidienne directe avec des dividendes négatifs, la mise en place d’un programme de calcul peut être envisagée. »

2. Equations diophantiennes : des algorithmes de résolution d’équations diophantiennes sont fournis avec les commentaires suivants pour les enseignants peu familiers avec les langages de programmation :

« Dans l’écriture ci-dessus, la ligne b←r signifie que dans le registre noté b, on met la valeur r ou le contenu d’un registre dont le nom est r. « Retourner a » signifie que le résultat de l’algorithme est dans le registre dont le nom est a. Les phrases en italique précédées de // sont des commentaires et ne font pas partie de l’algorithmique. L’écriture de tels algorithmes n’est pas standardisée ; bien que ce ne soit pas exigible, il est utile que les élèves sachent lire et comprendre une écriture ci-dessus ou une du même genre. »

3. Congruences dans Z : le problème du calcul des clés de contrôle de codages « impossibles à réaliser sur des calculatrices » est évoqué.

4. Nombres premiers : des commentaires sur le domaine de fonctionnement des deux principaux algorithmes de recherche de nombres premiers au lycée sont donnés, ainsi qu’un exemple d’utilisation de tableur pour la recherche de « quelques valeurs de p(n) » où p(n) représente « le nombre de nombres premiers inférieurs ou égaux à n » D’autre part, en plus de la niche « algorithmique », une autre fonction est assignée à l’arithmétique dans le programme de 2002 : faire travailler les élèves sur le raisonnement. Remarquons que cette niche n’apparaissait pas explicitement dans le programme de 1998. La vie de cette niche « raisonnement » est justifiée dans le programme par les citations suivantes :

« Les mathématiques, science du calcul, ne sont pas que cela, et il est important que les élèves comprennent qu’elles sont aussi une école de rigueur qui exige une pensée claire. Il faut pour cela maintenir l’entraînement au calcul et la réflexion, également indispensables au progrès mathématique, et donc présenter dans le cadre nécessairement modeste du programme, des démonstrations qui nourrissent cette réflexion. Les élèves pourront ainsi explic iter des raisonnements sans se limiter à quelques démarches stéréotypées, voir clairement la différence entre ce qu’on établit et ce qui est provisoirement admis et comprendre comment les mathématiques se construisent. » (Introduction du programme de mathématique de terminale S)

L’arithmétique est le domaine privilégié pour la mise en œuvre de cette exigence du programme :

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Ce document est disponible sur le site Internet du CNDP (Centre National de Documentation Pédagogique) à l’adresse suivante : http://www.cndp.fr/textes_officiels/lycee/maths/pdf/MathsAccTerS03.pdf

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« […] C’est un domaine élémentaire et accessible conduisant à des raisonnements intéressants et formateurs. » (Introduction du paragra phe « enseignement de spécialité »)

« L’arithmétique, ayant pour objet l’étude des nombres entiers, est une des branches les plus élémentaires des mathématiques. Avec peu d’outils théoriques, on y démontre des résultats non triviaux. C’est aussi l’une des branches les plus difficiles et l’une des seules où des conjectures et des théorèmes dont l’étude théorique est redoutable peuvent être facilement énoncés. » (Introduction de la partie « Arithmétique » du document d’accompagnement du programme)

En ce qui concerne la niche « culturelle », niche qui apparaissait dans le programme de 1998, aucun indice explicite n’atteste de sa présence dans le programme de 2002. Cependant, elle reste inscrite en filigrane dans la rédaction du programme.

Notons avant de conclure que, dans le document d’accompagnement, les concepteurs du programme reviennent sur la réintroduction de l’arithmétique dans le programme 1998 :

« […] Son introduction dans l’enseignement de spécialité, à l’occasion de la précédente rénovation de programme, a été un succès tant auprès des élèves que des enseignants. » (Introduction de la partie « Arithmétique » du document d’accompagnement du programme)

Les concepteurs de programmes ont eu des « retours » sur la mise en place de l’arithmétique dans les classes en 1998 et la perception tant des élèves que des enseignants sur cette réintroduction. Ces retours leur donnent l’occasion de justifier l’intérêt d’un enseignement d’arithmétique en spécialité mathématique, de part le succès qu’il a rencontré, et de renforcer la volonté du programme de faire vivre les niches « algorithmique » et « raisonnement ». Leur commentaire sur l’appréciation de l’arithmétique rejoint ceux que les enseignants nous ont spontanément donnés dans leur réponse à notre questionnaire ainsi que ceux qu’ils ont exprimés dans le cadre des enquêtes effectuées par les groupes du Puy (travail coordonné par Pelisse et Planchet) et de Thiers (travail coordonné par Noailles) de l’IREM de Clermont-Ferrand (1999) :

« Malgré les contraintes des enseignants, l’arithmétique est mieux perçue que la géométrie dans l’enseignement de spécialité. » (Pelisse et Planchet 1999, p. 7)

« Le programme de la spécialité math en arithmétique vous semble-t-il ? - Très intéressant à 19,3 %

- Intéressant à 51,8 % - Peu intéressant à 20,2 %

- Pas intéressant à 8,7 % » (Ibid., p. 18)

« Le constat est unanime pour souligner l’intérêt des élèves. Cet intérêt portait aussi bien sur le cours où ils avaient le sentiment d’apprendre (enfin !) à raisonner que sur les exercices où il fallait d’autres qualités que le psittacisme ; les travaux pratiques les ont aussi particulièrement mobilisés. » (Noailles 1999, p. 46)

Par ailleurs, les concepteurs du programme justifient le fait de cantonner l’arithmétique à un habitat « autonome » par le rôle attribué à la spécialité mathématique :

« Il paraît judicieux de proposer dans la partie spécialité un chapitre relativement indépendant du programme du tronc commun : c’est le cas avec l’arithmétique, peu étudiée pendant le cursus antérieur, et que l’on peut aborder sans être pénalisé par d’éventuels échecs dans d’autres chapitres. » (Introduction de la partie « Arithmétique » du document d’accompagnement du programme)

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Pour conclure, nous pouvons affirmer que le programme de 2002 permet un recentrage du programme de 1998. Il apporte des exemples précis de mise en œuvre de la niche « algorithmique » dans les classes. L’absence de ces exemples concrets dans le programme de 1998 permet d’expliquer en partie l’échec relatif de ce programme en ce qui concerne sa volonté de faire vivre la niche « algorithmique » dans les classes. Par ailleurs, il prend en compte explicitement l’existence de la fonction « raisonnement » que les enseignants avaient, de 1998 à 2002, attribuée à l’arithmétique. Les liens entre ces deux niches sont également mis en évidence. Reste à voir si ce renforcement sera suffisant pour que la niche « algorithmique » soit davantage prise en compte par les enseignants et soit, par conséquent, viable dans les classes.

VI. RETOUR SUR LES LIENS EXISTANTS ENTRE ARITHMETIQUE