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ANALYSE DES PRATIQUES ENSEIGNANTES : POINT DE VUE THEORIQUE ET CHOIX METHODOLOGIQUES

D’AUTRES CADRES THEORIQUES D’ANALYSE DES PRATIQUES ENSEIGNANTES

II. METHODOLOGIE D’ANALYSE ET OUVERTURE VERS

D’AUTRES CADRES THEORIQUES D’ANALYSE DES PRATIQUES ENSEIGNANTES

Nous avons rappelé en introduction notre volonté d’étudier la transposition didactique interne en prenant pour exemple l’enseignement de l’arithmétique en terminale S spécialité mathématique. Le fait de s’intéresser à un domaine d’étude dans son ensemble nous a conduit à mettre en place le processus de recueil de données suivant.

II.1 Recueil de données et construction des protocoles

Pour pouvoir caractériser le savoir enseigné en arithmétique, nous avons effectué durant l’année scolaire 2000/2001 une observation naturaliste de deux enseignantes, P1 et P2.

Chapitre C1 : Analyse des pratiques enseignantes : point de vue théorique et choix méthodologiques

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Ces deux professeurs sont expérimentées ; elles enseignent depuis plusieurs années en classe de terminale S, et enseignent toutes deux l’arithmétique depuis sa réintroduction dans les programmes en 1998.

P1 était l’un des 43 enseignants ayant rempli notre questionnaire pendant l’année scolaire 1999/2000. Elle faisait partie des rares enseignants qui avaient intégré l’outil informatique dans leur cours d’arithmétique et qui semblaient faire vivre la niche algorithmique de l’arithmétique dans leur classe.

Nous avions à l’époque contacté une autre enseignante qui avait rempli notre questionnaire et qui suivait peu « l’esprit » du programme d’arithmétique81. Cette enseignante n’étant pas disposée à nous accueillir dans sa classe, nous avons contacté P2 qui a accepté de nous ouvrir les portes de sa classe. Nous lui avons alors demandé de remplir notre questionnaire, mais elle n’a pas souhaité le faire.

Nous avons ainsi assisté à l’ensemble des séances d’arithmétique des deux classes observées soit 13 séances de 2 heures pour la classe de P1 et 11 séances de 2 heures pour la classe de P2. Dans ces deux classes, nous avons :

Enregistré sur cassettes audio l’intégralité des séances ;

Pris des notes sur l’ensemble des traces écrites au tableau ainsi que sur le déroulement des séances ;

Recueilli l’ensemble des documents distribués aux élèves ;

Photocopié l’ensemble des copies corrigées des élèves à tous les D.S ;

Conduit un entretien en fin d’année avec chacune des deux enseignantes.

Notons également que P1 avait accepté de nous accueillir dans sa classe à condition que nous nous engagions à passer dans les rangs en même temps qu’elle pendant les phases de recherche d’exercices afin de l’aider à répondre aux questions des élèves. Notre intervention dans la classe de P1 s’est limitée à répondre à des questions que les élèves nous posaient individuellement.

A l’issue de ces observations, nous avons reconstruit le déroulement du cours à partir de nos notes d’observation et des documents distribués dans la classe. Ce déroulement du cours est en annexe à ce chapitre.

Il est évident que nous ne pouvions pas matériellement retranscrire l’ensemble des enregistrements des séances. Après comparaison de ces deux cours, nous avons choisi de transcrire la séance sur la division euclidienne. Nous avons ensuite découpé le protocole obtenu en épisodes qui recouvrent une unité d’objet mathématique. Ce protocole est disponible en annexe à ce chapitre.

Par ailleurs, nous avons également retranscrit une séance particulière, l’unique de programmation informatique de P1, ainsi que l’entretien fait avec les deux enseignantes. Ces trois documents sont également en annexe à ce chapitre.

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Chapitre C1 : Analyse des pratiques enseignantes : point de vue théorique et choix méthodologiques

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II.2 Méthodologie d’analyse par zooms successifs

Rappelons l’ensemble de questions qui guide notre analyse du rôle de l’enseignant dans la transposition didactique interne :

Q2 : Quels sont les assujettissements institutionnels d’un enseignant ? Quel système de contraintes et de conditions pesant sur les choix mathématiques et didactiques82 de ce dernier ces assujettissements définissent- ils ? Quel est le « poids » de l’organisation didactique sur la détermination de l’organisation mathématique qu’elle doit mettre en place ? Réciproquement, quel est le « poids » de l’organisation mathématique sur la détermination de l’organisation didactique visant à la mettre en place ?

Or, pour apporter des éléments de réponse à ces questions en s’appuyant sur l’exemple d’un enseignement d’un domaine d’étude (l’arithmétique), se posent de nouvelles questions d’ordre méthodologique sur la description des pratiques enseignantes :

Q3 : Comment décrire les composants et la structure des organisations didactiques au niveau d’un domaine d’étude ? Comment décrire la « dynamique » de ces organisations didactiques ?

Pour tenter d’y répondre, nous procédons à une analyse des pratiques enseignantes par zooms successifs. Ces zooms se font en prenant appui sur la dynamique des OM en descendant vers des niveaux de détermination mathématiques de plus en plus spécifiques.

Nous commençons tout d’abord, dans le chapitre C2, par analyser les pratiques de P1 et P2 sur un domaine d’étude dans son ensemble : l’arithmétique.

Nous « zoomons » ensuite, dans le chapitre C3, sur la division euclidienne en analysant quelle est l’OM locale construite autour du théorème de la division euclidienne et quelles sont les OM régionales construites autour de ce même théorème.

Nous « zoomons » finalement, dans le chapitre C4, sur l’OM locale de la division euclidienne et, plus précisément, sur le moment de l’institutionnalisation du bloc technologico-théorique de cette OM : la démonstration du théorème de la division euclidienne.

Fig.10 : Zooms successifs sur les niveaux de détermination des OM en arithmétique

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Cela revient entre autre à se poser la question de l’écologie des organisations didactiques.

Domaine d’étude : arithmétique (chapitre C2) Secteur et thème d’étude : division euclidienne (Chapitre C3)

Sujet d’étude : théorème division euclidienne (Chapitre C4)

Chapitre C1 : Analyse des pratiques enseignantes : point de vue théorique et choix méthodologiques

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Nous allons suivre ce découpage des OM pour identifier, à chacun des niveaux, les OD didactiques mises en oeuvre par P1 et P2 pour mettre en place ces OM ainsi que les systèmes de contraintes qui pèsent sur leurs choix mathématiques et didactiques.

Cette analyse par zooms successifs nous permet également d’étudier le passage du savoir apprêté au savoir enseigné car les analyses menées dans les chapitres C2 et C3 se font sur le savoir apprêté par P1 et P2 tandis que celle menée dans le chapitre C4 s’appuie sur le déroulement de la séance sur la division euclidienne.

Fig. 11 : Zooms successifs sur les niveaux de détermination mathématique dans le cadre de la transposition didactique interne

Nous avons choisi de nous centrer uniquement sur un sujet d’étude au niveau du savoir enseigné pour des raisons matérielles évidentes83. Nous avons tenu cependant à analyser les choix d’apprêtage faits par P1 et P2 dans les niveaux supérieurs de détermination mathématique. En effet, analyser ces choix nous permet d’avoir accès aux différents niveaux (surdidactiques et mathématiques) de contraintes qui pèsent sur les enseignants et nous offre des renseignements précieux pour comprendre le déroulement effectif d’une séance en classe. Nous allons maintenant entrer dans le détail des analyses menées dans les chapitres C2, C3 et C4 en décrivant notamment les outils théoriques que nous avons utilisés.

II.3 Le niveau du domaine d’étude

L’objectif de ce chapitre est d’analyser les pratiques de P1 et P2 sur un domaine d’étude dans son ensemble : l’arithmétique. Sur ce domaine, nous essayons d’articuler l’analyse des choix

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Il nous était matériellement impensable dans le temps dont nous disposions pour notre recherche de transcrire et analyser l’ensemble des 24 séances de 2 heures que nous avons observées.

Savoir apprêté

Domaine d’étude (C2)

Secteur et thème d’étude (C3)

Savoir enseigné

Sujet d’étude : moment de l’institutionnalisation du bloc technologico-théorique (C4)

Chapitre C1 : Analyse des pratiques enseignantes : point de vue théorique et choix méthodologiques

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mathématiques de ces deux enseignantes sur les différents secteurs et thèmes d’étude qu’elles reconstruisent avec l’analyse de leurs praxéologies didactiques, afin de caractériser le savoir apprêté par chacune d’entre elles.

Pour ce faire, nous commençons par une présentation générale du déroulement des séances des deux classes observées. Nous introduisons pour cela la notion de mode de fonctionnement didactique en classe d’un enseignant. Par mode de fonctionnement didactique, nous entendons dégager les routines qui caractérisent l’activité d’un enseignant, indépendamment (du moins, en partie) du contenu mathématique enseigné. Il nous semble important de décrire ces modes de fonctionnement car ils contraignent les choix mathématiques que peut faire un enseignant. Nous rejoignons en cela les travaux développés dans la lignée de ceux de Robert (2001) qui modélisent les pratiques enseignantes comme un système complexe (les différentes dimensions de ces pratiques ne sont pas indépendantes), stable (il existe des choix globaux, stables sur une période de temps donnée, qui « président aux singularisations des déroulements en classe ») et cohérent (il existe une unité derrière les choix des enseignants, quel que soit le niveau où ces choix ont été faits)84.

Pour identifier ces modes de fonctionnements didactiques, en plus d’une caractérisation des principaux types de séances mis en place par P1 et P2, nous avons mené une analyse du discours de ces deux enseignantes. Nous considérons en effet que chaque enseignant a une façon propre de faire cours qui influence ses choix mathé matiques et didactiques (certains donnent beaucoup d’exemples, d’autres explicitent plus ou moins leur démarches, etc.) et que cette façon peut être en partie appréhendée à travers leur discours. Pour cette analyse, nous avons adapté à la spécificité de no tre étude la méthodologie d’analyse du discours des enseignants proposée par Hache (2001). Cette méthodologie définit trois axes d’analyse du discours de l’enseignant : l’objet du discours (de quoi parle l’enseignement ?), la teneur du discours (en quels termes en parle-t-il ?) et la fonction du discours (dans quel but ?). Nous détaillons cette méthodologie dans le chapitre C2.

Nous passons ensuite à l’analyse des choix mathématiques et didactiques faits par P1 et P2 au niveau du domaine d’étude.

Pour objectiver ces analyses, nous introduisons dans un premier temps une reconstruction de l’OM à enseigner à partir du programme d’arithmétique de 1998.

Ensuite, nous reconstruisons un savoir apprêté « conforme » –ou « idoine »– à l’esprit du programme en nous appuyant sur un document, que l’on peut considérer comme proche de la noosphère, présentant un cours d’arithmétique qui a donné lieu à un enseignement effectif en classe. Cela nous offre un point de référence dans la comparaison des choix d’apprêtages du savoir effectués par P1 et P2 et nous permet d’identifier une partie des possibles ainsi qu’un ensemble de contraintes pesant sur les choix de P1 et P2.

Nous comparons alors les découpages du savoir en chapitres et parties faits par P1 et P2 au découpage mathématique en secteurs et thèmes proposé dans le programme.

Par ces analyses, nous essayons de répondre aux questions suivantes :

Le découpage en chapitres, parties et paragraphes du projet de cours de l’enseignant se rapproche-t- il du découpage en secteur s, thèmes et sujets d’étude du domaine mathématique étudié ?

Quelles contraintes (pédagogiques, didactiques ?) peuvent expliquer les choix d’un enseignant de procéder à tel découpage du savoir plutôt qu’un autre ?

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Chapitre C1 : Analyse des pratiques enseignantes : point de vue théorique et choix méthodologiques

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Quelle en est l’influence sur la dynamique des OM mises en place ?

Peut-on en prévoir l’influence sur le choix des OD de niveaux plus spécifiques ? II.4 Le niveau du secteur et du thème d’étude

Nous « zoomons » ensuite sur la division euclidienne. L’objectif est alors de caractériser l’OM locale reconstruite par P1 et P2 autour du théorème de la division euclidienne et de voir quelles sont les OM régionales définies autour de ce théorème. En existe-t- il ? Si oui, lesquelles ? Si non, quelles raisons permettent d’expliquer cette absence ?

Toujours dans un souci d’objectivation, nous reconstruisons dans un premier temps deux OM locales et régionales à enseigner autour de la division euclidienne : l’une à partir du programme d’arithmétique de 1971 et l’autre à partir de celui de 1998.

Nous choisissons ensuite deux manuels ou documents afin de construire deux OM locales et régionales apprêtées autour de la division euclidienne, l’une « conforme » à l’esprit du programme de 1971, l’autre à celui de 1998.

Nous reconstruisons alors le savoir apprêté par P1 et P2 autour de la division euclidienne à partir des traces écrites au tableau, des documents distribués aux élèves et des éléments extraits de l’entretien nous informant sur les choix mathématiques et didactiques de P1 et P2. Nous comparons ensuite les savoirs apprêtés par chacune des deux enseignantes entre eux et avec le savoir à enseigner et le savoir apprêté « conforme » à l’esprit du programme.

A travers ces analyses, nous essayons de mettre en évidence en quoi les choix mathématiques et didactiques effectués au niveau du domaine d’étude pèsent sur les choix d’apprêtage du savoir au niveau du secteur et du thème d’étude.

Nous essayons également de dégager, au travers de ces choix, un ensemble de contraintes qui vont provoquer des modifications du projet de cours lors de sa réalisation effective en classe.

II.5 Le niveau de l’institutionnalisation du bloc technologico-théorique Nous « zoomons » finalement sur l’OM locale de la division euclidienne et plus spécifiquement sur la séance de cours sur la division euclidienne.

L’objectif de ce chapitre est la caractérisation du savoir enseigné sur le bloc technologico-théorique de l’OM locale division euclidienne.

Pour ce faire, à partir de l’analyse des protocoles des séances, nous reconstruisons l’OM locale enseignée sur la division euclidienne par chacune des deux enseignantes afin de la comparer avec l’OM locale apprêtée. Cette reconstruction se fait par une analyse des techniques didactiques utilisées par P1 et P2 pour mettre en place l’OM locale apprêtée en classe, ainsi qu’une analyse de leur gestion dans l’action des régulations de la relation didactique. Pour cette analyse, nous mettons en œuvre des outils de la TSD (la classification des contrats85 définit par Brousseau (1995), les différents phé nomènes didactiques comme

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Rechercher les contrats qui sont en œuvre dans une classe permet de « repérer la façon dont le professeur gère l’avancée de son projet et le rôle respectif du professeur et de l’élève dans la construction des connaissances et savoirs dans la classe » (Hersant, à paraître en 2004). Un enseignement se caractérise alors « par la recherche d’un équilibre entre plusieurs types de contrats en classant ‘les régulations didactiques suivant la répartition des responsabilités entre le système qui diffuse une connaissance et celui qui la reçoit’ » (Comiti 2002, p. 44)

Chapitre C1 : Analyse des pratiques enseignantes : point de vue théorique et choix méthodologiques

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l’effet Topaze, l’effet Jourdain, le glissement métacognitif (Brousseau 1986)) et nous nous appuyons sur des résultats obtenus sur les pratiques dans le cadre de cette théorie.

Nous n’avons pas analysé l’activité de P1 et P2 à l’aide du modèle de structuration du milieu car l’utilisation de ce modèle nous a posé des problèmes d’ordre méthodologique. Il faut en effet pouvoir recueillir « les informations nécessaires à la reconstruction d’un schéma de structuration complet » (Margolinas 1997, p. 49) pour mettre en œuvre ce modèle, informations dont nous ne disposions pas dans le dispositif d’observation que nous avions mis en place. Nous retenons donc du principe de structuration du milieu le fait que le professeur, quel que soit le niveau86 dans lequel il se trouve, est en tension entre le niveau supérieur et le niveau inférieur :

« Le professeur acteur en classe (P0) est toujours en tension entre : son projet d’enseignement (+1) et les réactions des élèves (-1). Mais même le professeur qui prépare une leçon (P+1) est en tension entre sa planification du thème mathématique à l’intérieur duquel s’insère la leçon (+2) et ce qu’il sait des conditions de la réalisation en classe (0). D’une façon générale, le professeur est ainsi pris entre des considérations qui le tirent en quelque sorte vers les élèves, et d’autres, qui proviennent de sa condition de professeur de mathématiques, et comme tel fortement assujetti à l’institution scolaire et à l’institution mathématique.

Niveau noosphérien ou idéologique +3

Niveau de construction ou conception d’un thème +2

Niveau de projet de leçon +1

Niveau de la situation didactique 0

Niveau d’observation ou de dévolution -1

Tableau 1. Résumé des niveaux d’activité du professeur » (Margolinas 2002, pp. 141-142)

Par l’analyse du cours sur la division euclidienne à l’aide de ces différents outils, nous mettons en évidence un ensemble d’éléments permettant d’expliquer l’écart entre l’OM apprêtée et l’OM enseignée. Nous essayons également d’identifier le système de contraintes internes qui pèse sur les régulations de la relation didactique faites par P1 et P2 ainsi que le système de contraintes issu du savoir apprêté qui influence le déroulement effectif du projet de cours.

Nous allons nous attacher, dans les trois chapitres qui suivent, à montrer la codétermination des OM et des OD à différents niveaux de détermination mathématique, du secteur au sujet d’étude. A chaque niveau, nous essayerons d’identifier quelles sont les contraintes qui pèsent sur les choix de l’enseignant et de montrer, comme le souligne Chevallard (2002) que « chaque niveau concourt à déterminer l’écologie des organisations mathématiques et des organisations didactiques par les points d’appui qu’il offre et les contraintes qu’il impose. » (Ibid., p. 51).

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Chapitre C2 : Diversité des pratiques sur un domaine d’étude

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CHAPITRE C2