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La performance sonore du podcast culinaire : une autre médiagénie ?

C) Les podcasts culinaires : un phénomène médiagénique ?

2. La performance sonore du podcast culinaire : une autre médiagénie ?

L’homochronie du podcast, qui « incorpore le temps de la réception dans l’énonciation de ses messages »255 est en ce sens constitutive de la performance médiagénique du podcast, dont le son laisse deviner une création en train de se faire, épiphanique et poétique. En effet, elle ferait de l’oralité et du sonore une performance, « instance de réalisation plénière »256 qui appartient à un temps comme fragment : l’expérience sonore du podcast se vivrait à mesure qu’elle se consomme et se consume. La dimension évènementielle du podcast, dont l’acte semble éphémère, participe à faire du sujet culinaire une pure expérience sensorielle dont la trace n’est que mémorielle, à l’image d’une saveur dont il ne reste que le souvenir. La jouissance à l’œuvre dans les scènes culinaires trouvent un écho étonnant à l’échelle-même du podcast, qui opère comme une jouissance close sur elle-même, fugace mais efficace. Le média donne ainsi vie au récit culinaire, il le fait vivre et le maintient en vie jusqu’à sa faim. En le rendant expressif, il rend présent ce qui est absent ; autrement dit il l’anime à mesure qu’il s’anime lui-même. Cette animation fait état du double pouvoir de la représentation qui « rend imaginairement présent, voire vivant, l’absent et le mort » tout en « exhibant [ses] qualifications », permettant de « constituer son propre sujet légitime et autorisé »257. Le podcast, en étant performatif, anime le

252 « Les boulettes de Jérémie », Le Plat du Dimanche, Le Poste Général, 03.03.2018

253 Philippe Marion, « Narratologie médiatique et médiagénie des récits », Recherches en communication : Le récit

médiatique, n° 7, 1997, Université catholique de Louvain, Département de communication, p.86

254 Ibid., p.80 255 Ibid. p.83

256

Paul Zumthor, Introduction à la poésie orale, Editions du Seuil, 1983, p.148

sujet culinaire, qu’il rend palpable et présent, mais il apparaît également conscient de lui-même, en tant que média, réaffirmant son absolue légitimité à s’emparer du sujet. C’est pourquoi, il y a un jeu conscient sur le podcast comme artisanat, au sein-même des podcasts. Il est un objet de création sonore conscient de lui-même, et conscient de ses créations. D’une certaine façon, il porte ainsi un discours sur le média en train de se faire, qui donne à entendre les rouages de sa narration et, d’une certaine façon, de sa médiagénie. Dans Casseroles, le baptême d’un des podcasts est ainsi révélateur de cette association du son, du média et du culinaire : « [Zazie – intra-diégétique] : Mais Georgina, quel nom je peux donner à cet épisode avec toi, alors ? Tout à

l’heure t’as dit un truc en cuisinant : « le chant des boulettes », c’est pas mal le chant des boulettes, non ?

[Georgina] : Le chant des boulettes… »258

Le nom de cet épisode, « le chant des boulettes », apparaît comme une paraphrase poétique de « podcast culinaire ». Et si « podcast culinaire », évidemment, renvoie davantage à une multiplicité d’enjeux médiatiques, le nom de l’épisode trahit l’importance inattendue du son dans la représentation culinaire. La décision apparaît collégiale et donnée à entendre, ainsi le podcast met en scène sa propre réalisation de podcast, dans le sens de sa propre éditorialisation. L’onomastie de ce nom légitime par la métaphore la force du sonore appliquée au culinaire, puisque le bruit devient un chant. Ici se profile la question d’une représentation réussie, par laquelle un supplément d’âme est greffé au réel. Le son de la matière deviendrait œuvre d’art. La représentation du podcast témoigne ainsi d’une dynamique d’interfécondation pertinente entre le sonore et le culinaire. Offert à l’écoute, le baptême de l’épisode trahit également la création en train de se faire, où le média se déploie et donne à voir son propre fonctionnement et sa propre mécanique à l’œuvre. Là est peut-être la singularité de nos podcasts culinaires par rapport aux autres médiatisations du culinaire. En effet, Philippe Marion rappelle que « la médiagénie semble mieux adaptée à des récits uniques (telle histoire particulière ou telle série ou cycle d’aventures). Remarque importante : l’évaluation médiagénique doit être pondérée non seulement en fonction du caractère narratif ou non de l’objet, mais aussi en fonction du degré de généralité de celui-ci. »259 L’objet culinaire s’il est particulièrement narratif, et exploité d’une bien belle façon dans les podcasts, n’en reste pas moins un sujet hautement médiatique non unique et non exclusif (la preuve en est, rien qu’avec les podcasts de notre corpus qui sont au nombre de trois). La cuisine est devenu un genre médiatique déployé sur tous les médias. Cela relativisera grandement le phénomène médiagénique, appliqué à nos podcasts culinaires. Néanmoins, il est intéressant d’observer l’utilisation d’un media a priori le plus éloigné des sens sollicités par la cuisine. Ainsi, le podcast propose un autre récit, par une autre représentation. Mais, surtout, le podcast apparaît singulièrement en démonstration de ses capacités médiatiques, signe d’une performance où la manifestation sonore est toute entière dédiée à la signification artistique de l’objet, ici le culinaire. Ainsi, le phénomène médiagénique se situerait dans la fusion absolument réussie d’un récit avec sa médiatisation, non pas parce que le média porterait au mieux son objet, mais parce que l’objet permettrait au média de se révéler (de se réaliser ?) de façon optimale. Renversant le paradigme, c’est le sujet culinaire qui permettrait au podcast de devenir une véritable machine à communiquer, et non seulement le podcast qui rendrait efficacement compte du sujet culinaire.

258 « Episode 2 : le chant des boulettes de Georgina », Casseroles, Binge Audio, 22.03.2018

259 Philippe Marion, « Narratologie médiatique et médiagénie des récits », Recherches en communication : Le récit