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B) De scènes culinaires à scénographies culinaires : une mise en scène sonore

3. L’image sonore comme représentation symbolique du culinaire

Entre indices et symboles, le son engendre dès lors des représentations iconiques. Car ces sons, ces dires et ces dits du podcast créent, par un processus sonore de mise en représentation, des images de la scène culinaire (qu’elle soit matérielle comme dans Casseroles, et Le Plat du dimanche, ou immatérielle comme dans Bouffons). Ces images sont le produit d’une représentation iconique singulière, qui s’effectue en l’auditeur. C’est la question de l’image sonore. Les processus d’explicitation des discours et d’interprétation des bruits se réalisent dans l’auditeur et dans l’imagination qui constituent dès lors une représentation iconique de ce qui est entendu. Daniel Deshays, réalisateur sonore, a défini l’image sonore comme « cette faculté de produire en soi la sensation d’un volume, d’une matérialité, d’une plasticité, par déplacement, par transfert d’une sensation d’un monde (tactile ou visuel) à un autre. »156, ajoutant que « ce que l’on reçoit dans les oreilles fabrique une image plastique, imaginaire. ». Le son produit ainsi de la représentation en tant que marque indicielle de la matière; représentation qui est pleinement accomplie dans la réception et l’écoute la consacrant

155 « Episode 7 : La Pizza Fantasia de Paolo », Casseroles, Binge Audio, 31.05.2018

156 « L’image sonore, le travail de la mémoire et le désir de l’écoute ~ Conversation avec Daniel Deshays », Syntone,

comme image. Ainsi, les représentations engendrées par le sonore ne peuvent être qu’individuelles, la représentation sonore n’existant que par celui-qui l’entend et le reçoit. On parle de « subjectivité radicale du son »157, ce qui semble s’opposer à l’image, puisqu’elle est donnée et partagée. La représentation sonore apparaît alors comme une illusion mimétique accomplie par la réception, en tant que chacun s’imagine l’objet individuellement. Les mots pour qualifier l’objet culinaire et la description qui en est faite vont dans ce sens : les imaginaires sont communs mais les images sont ici individuelles. Par exemple, un bruit de shaker me fera penser à l’idée du shaker, cette idée s’incarnant dans une représentation qui m’est personnelle. Cela amène Daniel Deshays à voir dans l’image sonore, une manifestation mnémonique du vécu : « Écouter, finalement, c’est plus que reconnaître en soi, c’est faire surgir en soi la mémoire de l’expérience. (…) Écouter, c’est toujours se souvenir d’une situation que l’on a vécue. »158. Ainsi, le son ne représente que ce qui est déjà connu, car le son est reconnu. Ce qui est donné à entendre, tels que les bruits, joue dès lors comme équivalent de la vue, grâce au contexte et aux discours. L’image sonore, en proposant une représentation iconique du sonore et de la sensation, témoigne de la cocréation du sens, à l’œuvre dans les podcasts. Si les podcasteurs entendent faire signifier les sons, par le discours et les bruits contextualisés, la pleine immersion ne se réalise que par l’auditeur. Ces représentations et ces images, qui lui sont propres, sont donc le fruit d’une intention, ce que nous avons appelé « la signifiance du sonore », accomplie dans la réception. Les sons comme indices et symboles, les mots, procèdent d’une véritable représentation iconique grâce à l’imaginaire et l’expérience mnésique du réel. Dans Casseroles, la force du son est significatif de son pouvoir iconique. Le tandem sons et voix permet une figuration quasi spatiale de l’action à l’œuvre :

« [bruits indistinctifs]

[Zazie] : Là donc tu mélanges la viande, tu la malaxes, c’est agréable de faire ça ! [Thibaut] : J’aime bien, on dirait une grosse pâte à pain, tu sais…

[Zazie] : (…) Donc là, tu commences à les former dans ta main…

[Thibaut] : Oui et je crois que je vais rajouter un peu de lait, ça sera bon… [on distingue le son d’une porte de frigo ou de placard qui se referme]

[Zazie] : Là, tu as pris un petit bol et tu trempes tes boulets dans le lait, tu les baignes…tu les baptises avant

de les cuire. »159

Ainsi, l’explicitation du discours, associée aux bruits, procèdent d’une véritable ekphrasis par laquelle les mots et les sons viennent représenter la scène de façon quasi visuelle, accomplie dans l’auditeur. La description des gestes, et des bruits dessine la scène assez précisément. L’adverbe récurrent « là », à la façon d’un hic et nunc, implique une forme de performativité où le discours viendrait affirmer et construire une représentation dans le présent ; présent qui est en réalité enregistré, postproduit et donc médié. Ainsi, « le son va là où le geste, la main, ne peuvent encore aller. Il accompagne le regard et la lumière pour donner du volume à la scène de la vue. On peut penser à une valeur tactile du son ; à une anticipation logique de l’activité sonore sur l’activité

157Bernabé Wesley. 2018. « Désirs de réel. La dimension sonore du roman contemporain ». Repenser le réalisme.

Cahier ReMix, n° 07 (04/2018). Montréal : Figura, Centre de recherche sur le texte et l'imaginaire.

158 « L’image sonore, le travail de la mémoire et le désir de l’écoute ~ Conversation avec Daniel Deshays », Syntone,

Actualité & critique de l'art radiophonique, 18.09.2015

gestuelle. »160. Les scènes culinaires sont ici invisibilisées, il n’y a donc de scènes de la vue que dans l’imagination. La description précise d’une pratique, dans Bouffons, nous la fait voir ; tout comme la verbalisation d’un geste de cuisine, dans Le Plat du Dimanche, nous laisse l’imaginer.