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Le désir d’entretenir la relation médiatique au-delà du temps d’écoute

C) Le fantasme et l’idéal médiatiques d’une communauté autour du sujet culinaire

2. Le désir d’entretenir la relation médiatique au-delà du temps d’écoute

Déplacé à l’échelle du podcast, ce raisonnement s’applique également à la relation entretenue avec l’auditeur. En effet, les podcasteurs instaurent une relation conviviale et consciente avec celui-ci, dans le but de construire une communauté sonore autour du sujet culinaire. Néanmoins, il est à préciser que cette communauté ne saurait être effective : nous n’avons aucune preuve d’échanges entre les auditeurs et notre étude a volontairement écarté toute étude de la réception. Ainsi, la communauté apparaît bien plus comme le fruit d’un fantasme médiatique, par lequel les instances de production des podcasts oeuvreraient pour optimiser une relation idéalisée entre les auditeurs, les podcasts et leur animateur. Les animateurs des podcasts s’appuyeraient, à ce titre, sur le lien social autorisé par le culinaire afin de fonder une connivence médiatique avec l’auditeur, pour qui la cuisine est certainement un centre d’intérêt commun (étant le sujet-même des podcasts). Brillat-Savarin prêtait, d’ailleurs, au XIXème siècle un pouvoir communautaire à la cuisine :

« La gourmandise est un des principaux liens de la société; c'est elle qui étend graduellement cet esprit

de convivialité qui réunit chaque jour les divers états, les fond en un seul tout, anime la conversation, et adoucit les angles de l'inégalité conventionnelle. »95

Cette idée est renforcée par la reconnaissance d’un « vous », qui consacre la place de l’auditeur aux yeux des instances de production des podcasts. Zazie Tavitian termine par exemple chacun de ses épisodes par un « je vous embrasse » amical. La fin de Bouffons et de Casseroles est significative d’une volonté de poursuivre la relation au-delà de la simple existence sonore du podcast. Ainsi, les adresses se multiplient :

« Je vous dis, à dans quinze jours, pour une autre histoire de Casseroles. On parlera d’un gâteau bien sucré

pour changer. D’ici là, n’hésitez pas à m’envoyer vos réactions, vos meilleures recettes de famille, vos photos de boulettes, vous pouvez aussi m’écrire à Zazie@binge.audio ou sur le site de l’émission, ou vous abonnez à ma page Instragam : Zaziemiamiam. Si cette émission vous a plu, n’hésitez pas à en parler autour de vous et à cocher des petites étoiles sur Itunes. Je vous embrasse, et en attendant la prochaine émission, n’oubliez pas de bien manger, c’est important. »96

Les sollicitations de la podcasteuse entendent poursuivre la relation au-delà du podcast. L’allusion au prochain épisode permet d’instaurer dès lors un rendez-vous, et d’éveiller la curiosité. De la même façon, l’énumération

93 Entretien de 55 minutes avec Zazie Tavitian, mené et enregistré le 5.10.2018, à Paris (18ème arrondissement), dans le

café « La Chope » à 10 heures.

94 Jean-Jacques Boutaud, Le sens gourmand. De la commensalité - du goût - des aliments, Jean-Paul Rocher éditeur,

2005

95Jean-Anthelme Brillat-Savarin, Physiologie du goût, Flammarion, 2009, p.147

des possibilités de contacts permet d’encourager l’échange, qui, en réalité, ne peut avoir lieu durant l’écoute du podcast en raison de la médiation sonore et de l’enregistrement. Cette invitation au contact procède donc d’une double intention : créer une relation durable qui se poursuit après l’écoute, et toujours sur le même mode de l’intime (photos, recettes de famille) mais aussi remédier aux impossibilités du média, à savoir les réactions en direct. La mention des réseaux sociaux, pour « lui écrire », est d’ailleurs révélatrice d’une nécessaire médiation scripturale pour prolonger le contact. Le feedback ne peut se faire qu’a posteriori, ce qui finalement participe d’un fantasme médiatique, celui d’une communauté transcendant le temps sonore du podcast. Encourager les feedback c’est également et surtout l’occasion de faire émerger son podcast. La visibilité d’une création médiatique dépend en effet de plateformes comme Itunes dont les algorythmes se basent sur les flux d’internautes (nombres d’écoute, commentaires, notations). La dépendance aux audinautes (auditeur- internautes) est donc clairement exposée ici : le podcasteur, en « je », s’adresse à un « vous » pour l’encourager à faire circuler sa production. De façon sous-jacente, les enjeux commerciaux du médiatique se dessinent. Les podcasts culinaires sont des objets culturels mais ils appartiennent à une logique de production médiatique : il est donc un objet culturel qui doit circuler le mieux possible. Cette adresse finale revêt donc nécessairement un aspect factitif par lequel le podcasteur compte sur son auditeur pour qu’il « fasse ». Tout cela étant conditionné par l’appréciation du podcast : « Si ça vous a plu ». Il y a donc une attente dans la relation, celle d’une continuité voire d’un aboutissement. La relation intime se poursuivrait dès lors dans un « Qui m’aime, me suive », notamment sur les réseaux sociaux. Le système de notation fausse l’idée d’une convivialité continuée telle quelle hors du podcast, car des enjeux publicitaires ressurgissent. Pour autant, même si leurs logiques sont similaires, dans Casseroles, contrairement à dans Bouffons, ce « mot de la fin » s’inscrit dans une véritable relation incarnée du podcasteur à l’auditeur. En effet, Zazie Tavitian parle en son nom, en témoignent son adresse mail, et son compte Instagram. La fonction idéologique qu’elle prend en charge, en fin d’adresse : « n’oubliez pas de bien manger, c’est important », est également symbolique de son implication vis-à-vis de l’auditeur. Cette phrase apparaît presque comme un conseil maternel ou maternant sincère. Guilhem Malissen, quant à lui, ne fait pas communauté en son nom, mais autour de Bouffons, émission dont il rappelle les différents acteurs/auteurs, et qui, par conséquent, apparaît déjà comme un groupe médiatique constitué :

« Toutes les adresses et informations sont à retrouver sur le site de Nouvelles Ecoutes :

nouvellesecoutes.fr/bouffons. Bouffons est une émission de Nouvelles Ecoutes animée par Guilhem Malissen, réalisée par Aurore Meyer Mahieu, montée par Marine Raut, enregistrée et mixée par Maxime Olivier, aux studios « L’arrière-boutique ». Production et coordination : Laura Cuissart. Si ça vous a plu, n’hésitez pas à de Bouffons autour de vous, et pourquoi pas, mettez nous cinq étoiles sur Apple Podcast, avec un commentaire ! C’est peut-être pas grand-chose pour vous mais pour nous, ça veut dire beaucoup. Vous pouvez retrouver Bouffons sur Twitter : BouffonNE, et sous le même nom, sur Instagram et Twitter. On y partagera les photos et adresses des lieux évoqués. A la semaine prochaine ! »97

La polyphonie des acteurs se cachant derrière Bouffons est ici révélée. Guilhem Malissen s’exprime en « on » et en « nous » et Bouffons apparaît personnifié dans son propos, c’est en réalité la communauté éditoriale de

Bouffons qu’il désigne là. Il apparaît comme un générique de fin, mais construit sur l’intime (« C’est peut-

être pas grand-chose pour vous mais pour nous, ça veut dire beaucoup. »). Ce registre de l’émotion poursuit,

malgré tout, en filigrane une relation privilégiée avec l’auditeur. Ainsi, les deux podcasteurs proposent d’entretenir le lien amorcé par l’écoute du podcast dans le champ visuel. L’idéal médiatique d’une communauté constituée par le podcast culinaire semble donc bel et bien née d’une intention éditoriale de l’instance de production. Les différents pages internet (vaisseau amiral comme Nouvelles Ecoutes ou compte Instagram plus personnel) servent à relayer des références communes qui dès lors seront partagées avec leurs auditeurs, dans l’espoir de constituer une relation médiatique au-delà du podcast. Bouffons se sert d’ailleurs d’un outil spécifique : « Mapster », qui est une carte interactive recensant des adresses du monde entier ; outil que nous n’étudierons pas ici mais qui souhaite ancrer le podcast dans une dimension communautaire et participative. Dans cette logique, le champ référentiel, construit par les podcasts, questionne le podcast comme « marque », en tant qu’objet communicationnel sémantisé qui dépend d’enjeux économiques. La dimension « commerciale » des podcasts est largement questionnable, dans la mesure où ceux-ci ont encore du mal à trouver leur plan économique. Néanmoins, il ne fait aucun doute que les podcasts, en tant qu’objets médiatiques, s’inscrivent dans une logique de médiatisation et de consommation culturelles. Par conséquent, si la « mise en marque » des podcasts n’est pas notre propos, ici, elle est une piste de réflexion intéressante. Elle permettrait de penser les références créés par et autour du podcast à l’aune des enjeux commerciaux du médiatique. Les interfaces visuelles des différents podcasts iraient dans ce sens. A l’inverse de Bouffons et

Casseroles, lorsque Vincent Malone « claque la porte » de son podcast, il ne subsiste que l’interface visuelle

sur laquelle nous étions déjà. Dans ce podcast, les relations avec l’auditeur n’ont pas prétention à continuer a posteriori. L’idée