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Perception asymétrique

Dans le document L' effectuation en action (Page 140-143)

La première d’entre-elles, la « perception asymétrique », tient au fait que

les dirigeants de ces entreprises ne « voient pas les choses » tout à fait comme tout le monde. A tout le moins les représentations mentales qu’ils se font des réalités rencontrées les conduisent à des interprétations à base d’étonnement, de surprise, de différenciation voire de contestation. Qu’il s’agisse de la création ex-nihilo de l’entreprise Verycook, des re-cherches d’Olivier Torrès ou de la diversification du groupe Clauger nous avons constaté à quel point les pensées des dirigeants divergeaient de ce à quoi l’on pouvait s’attendre ; ceci dans toutes les étapes du processus entrepreneurial effectual.

Tout se passe comme si, dans l’échange qu’ils entretenaient avec les évé-nements, ils disposaient d’informations objectivement différentes des autres acteurs. Bien sûr il n’en est rien. C’est bel et bien leur filtrage co-gnitif personnel qui les conduit à une perception asymétrique du réel et conséquemment à des comportements spécifiques. Une fois de plus on constate que le VOUS est à l’origine de tout.

Les représentations mentales de l’entrepreneur effectual décrivent une réalité subjective à partir de laquelle il va agir. Elles véhiculent son mode d’emploi et constituent son guide pour agir en même temps qu’elles construisent ses goûts, ses aspirations voire ses désirs ; bref, sa pensée du monde. Son rapport à l’environnement est conséquemment « finalisé » et l’entrepreneur effectual ne peut pas se le représenter sans « intention » ou « projet » comme nous l’enseigne la psychologie sociale. En somme, comme le dit le philosophe Shopenhauer13, « la difficulté n’est pas de voir

ce que personne n’a vu mais de penser comme personne n’a jamais pensé au sujet de quelque chose que tous voient ».

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L’interrogation sous-jacente qui est maintenant la nôtre est de savoir comment développer une « perception asymétrique » du monde chez l’en-trepreneur effectual ou à la favoriser chez le futur enl’en-trepreneur ?

La réponse à cette demande passe dans un premier temps par l’obligation de disposer d’une perception qui, par ailleurs, devra être asymétrique. En la circonstance la perception ne doit pas être réduite à sa simple dimension physiologique en ce qu’elle est la résultante de l’acte de regarder factuel-lement quelque chose. La perception doit être au contraire la conséquence d’une certaine « manière » de percevoir dans des « contextes » particu-liers. Les voyages, rencontres imprévues, découvertes, etc. sont autant de contextes catalyseurs de cette vision. Mais aussi et tout simplement la lecture. Car, quel que soit notre âge, la lecture développe en nous de nom-breuses qualités mentales et intellectuelles. D’abord « l’imagination » en l’absence de laquelle il serait plus difficile au candidat entrepreneur de créer son propre « film dans sa tête ». La lecture favorise aussi notre in-telligence émotionnelle dans le sens où elle facilite notre capacité à dé-couvrir les différentes émotions des autres ; elles-mêmes propre à nourrir notre perception asymétrique.

Pour ce qui est de la manière de percevoir si particulière de l’entrepre-neur effectual elle est favorisée par l’esprit de tolérance, l’acceptation de la différence, l’ouverture sur les autres, l’écoute active, le goût de l’obser-vation, la curiosité intellectuelle, l’intuition, etc. que d’aucuns nomment « intelligence émotionnelle 14 ». En effet, ces postures d’esprit favorisent la nuance qui, elle-même, nourrit la différenciation entre ce qui est et ce qui pourrait être et donc stimuleront un jour la possibilité de « faire quelque chose ».

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Quant à l’asymétrie de cette représentation elle tient à ce que l’entpreneur effectual, d’une certaine façon, « conteste l’ordre fondé » pour re-prendre la maxime de Montaigne. Et ce faisant relie entre elles des données factuelles de manière à constater des faits présentant des configurations nouvelles et différentes. En d’autres termes cela suppose « d’avoir de la suite dans les idées ». L’esprit contestataire, la remise en cause de l’acquis, l’insatisfaction, le goût de la controverse, du débat d’idées voire du doute sont autant de catalyseurs de cette asymétrie de perception.

Cette perception asymétrique est bien à l’origine du projet Amarok. C’est, en effet, le constat originel d’une souffrance patronale jamais prise en compte par la médecine et la recherche qui va initier le projet.

En ce qui concerne Verycook ou Clauger, si la perception asymétrique des porteurs de projets n’est pas toujours strictement à l’origine de chacune de ces entreprises, elle apparait rapidement et reste omniprésente. Dès son séjour en Espagne, Alexandre Carre relève naturellement les noms des fabricants de planchas et se dit « qu’il doit y avoir quelque chose à faire ».

Dans l’épopée de Digital Airways les dirigeants avaient à l’origine une perception asymétrique de l’environnement technologique puisqu’ils se sont lancés sur un marché dont ils ne connaissaient ni les tenants ni les aboutissants et pour autant dont ils se faisaient forcément une « repré-sentation mentale ». Cette perception asymétrique peut aussi être obtenue en provenance d’un client, par effet miroir. C’est toujours le cas pour DA quand son client lui fait savoir : « vous pourriez utiliser votre technologie pour créer l’interface utilisateur du téléphone ». Il en est de même avec Clauger quand Frédéric Minssieux se fait une obligation d’avoir une offre commerciale différenciante pour « avoir un jour une position favorable ». Et que dire de son collaborateur Louis quand celui-ci pense, absolument, « qu’il faut faire quelque chose dans l’environnement ». N’est-ce pas une forme de perception asymétrique devenue culturelle dans l’entreprise ?

Dans le document L' effectuation en action (Page 140-143)