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Éduquer à la microéconomie

Dans le document L' effectuation en action (Page 183-186)

Un autre point porte sur le cruel manque de culture microéconomie de l’hexagone. Si l’on veut favoriser l’esprit entrepreneurial de façon effec-tuale il faut parler tout autant des PME que des grandes entreprises à nos étudiants et enseigner la microéconomie dès le collège. Car la rentabilité de l’entreprise est indispensable à son équilibre et donc à sa capacité à durer dans le temps. C’est bien connu « les profits d’aujourd’hui sont les in-vestissements de demain et les emplois d’après demain ». Ce sont de telles vérités universelles et intemporelles qui doivent être enseignées aux col-légiens, lycéens et étudiants. Les passionnantes théories macro-écono-miques aussi pertinentes soient-elles n’ont jamais été à l’origine d’une quelconque création d’entreprise. C’est avec la même amertume que nous constatons à quel point les ouvrages utilisés tant au lycée qu’au collège sont éloignés de la réalité de la vraie vie économique. Philosopher sur Ricardo, Say ou Keynes est certes intellectuellement passionnant mais n’éclaire en rien sur la microéconomie entrepreneuriale, sur l’économie qui se fait. Il en va de même avec la finance qui est enseignée tout aussi macro-théoriquement comme si la connaissance des flux monétaires in-ternationaux était un préalable à la création d’une entreprise. Bien sûr, il n’en est rien.

Ce navrant constat nous ne sommes pas les seuls à le faire. Déjà cinq éco-nomistes de réputation internationale (Tony Atkinson, Pierre-André Chia-ppori, Martin Hellwig, José Scheinkman et Xavier Vives) 19 ont, sous l’égide de l’Académie des sciences morales et politiques, analysé les programmes économiques des lycées français. Leurs conclusions pointent du doigt de « lacunes graves » en précisant « que l’élève ne retirera de cet enseignement

que peu de bénéfices ». Et de conclure « qu’il est difficile d’écarter l’hypothèse que cet enseignement inadapté dans ses principes et biaisé dans sa présen-tation, soit en fait néfaste ».

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Comment pourrait-il en être autrement puisque ceux-là même qui ont en charge la responsabilité de sensibiliser à l’entrepreneuriat ; par exemple l’Association des professeurs de sciences économiques et sociales (APSES), estime que les programmes « font la part trop belle à la microéconomie » ? Quant à l’un des principaux syndicats de l’éducation nationale, en l’oc-currence le Snes-FSU, il considère à propos des programmes d’économie,

« que la découverte des métiers vise à imposer une conception réductrice de

l’orientation et une vision utilitariste des savoirs au cœur des disciplines » 20.

Cette aversion pour la réalité entrepreneuriale, en particulier dans ce qu’elle pourrait témoigner d’une réussite économique et sociale, n’est pas nouvelle puisque dès le xixe siècle nombres de manuels d’histoire 21

contiennent une image qui a marqué des générations d’écoliers et d’en-seignants. Elle représente l’empereur Charlemagne qui visitant une école, tel un inspecteur d’académie, félicite les enfants « de basse et moyenne

conditions » pour leurs bons travaux et réprime « les nobliaux fiers de leur naissance » pour mauvais résultats. Pourquoi cet a priori défavorable à

l’égard de ceux qui « ont de l’argent » ? Quand on connait le puissant pou-voir pédagogique des images et leur impact dans les représentations mentales des jeunes on comprend mieux pourquoi des générations de français éprouvent à tout le moins de la défiance à l’égard de ceux qui réussissent économiquement.

20 Enseignement de l’économie. Luc Chatel joue la carte de l’apaisement. Le Figaro du 16/03/10.

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Selon un rapport de l’institut Montaigne cette défiance prend même des allures de méfiance chez une catégorie de fonctionnaires ; les magistrats du siège en l’occurrence. Un sondage 22 réalisé auprès de 305 magistrats tend à démontrer que, parmi les employés du secteur public, c’est ce corps d’État qui affiche la défiance la plus marquée vis-à-vis de l’économie de marché et qui est significativement le plus opposé à une liberté accrue des entreprises. Pour les auteurs de ce rapport le positionnement des juges s’expliquerait par leur méconnaissance du fonctionnement de l’en-treprise et des règles de l’économie de marché. Cette méfiance est d’au-tant plus préjudiciable aux entreprises que leurs décisions ne portent pas seulement sur des points de droit mais aussi sur la situation économique de l’entreprise elle-même.

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La conséquence de tout ceci c’est qu’aujourd’hui les français ont cultu-rellement un rapport difficile à la réalité économique des entreprises 23

qui trouve son point d’orgue dans l’absence de confiance mutuelle qui règne dans les entreprises entre les partenaires sociaux. Ce manque de confiance est sans équivalent dans les pays de l’OCDE 24. Là encore les rai-sons politico-économico-historiques sont connues de longue date. Déjà le général De Gaulle dans ses mémoires d’espoir faisait ce constat désabu-sé : « Les rapports sociaux restent empreints de méfiance et d’aigreur. Chacun

ressent ce qui lui manque plutôt que ce qu’il a ». Algan, Cahuc et Zylberberg

dans leur ouvrage « La fabrique de la défiance 25 » mettent particulièrement

bien en exergue deux éléments majeurs qui conduisent à cette défiance ; à savoir : « l’école, un appareil vertical » et « l’obsession hiérarchique dans les

relations de travail ». Le premier élément conduit à une relation du type

maître à élève qui ne laisse que peu de place à l’échange, au débat d’idée, à la réciprocité, au travail en groupe, bref à ce qui pourrait constituer les germes d’une autonomie de point de vue sinon d’une perception asymé-trique et donc aux germes de l’entrepreneuriat. Le maître est le détenteur du savoir que tous les élèves doivent s’approprier strictement et indivi-duellement.

disposer d’une culture microéconomique partagée de

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