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Penser les « ruptures universitaires » depuis les sorties  sans diplôme

sans diplôme de l’enseignement supérieur

2.  Penser les « ruptures universitaires » depuis les sorties  sans diplôme

2.1. Les non‐diplômés de l’enseignement supérieur 

Cependant, en opposant les étudiants qui ont obtenu une licence à ceux qui ne l’ont pas obtenue, cet  indicateur laisse dans l’ombre les parcours d’étudiants ayant amorcé leurs études supérieures par un  premier cycle à l’université et l’ayant terminé, diplômés ou non, dans une autre formation supérieure. 

La  notion  de  non‐diplômé  de  l’enseignement  supérieur  apparaît  alors  la  plus  adaptée  pour  comprendre  les  mécanismes  aboutissant  à  ce  que  des  étudiants  inscrits  dans  une  formation  supérieure ou à l’université au sortir du bac se retrouvent plusieurs années plus tard sans le moindre  diplôme.  Familière  aux  lecteurs  de  résultats  des  enquêtes  longitudinales,  cette  notion  nécessite  cependant une double clarification. 

 

D’une part, il faut rappeler que deux définitions des taux de sortants non‐diplômés de l’enseignement  supérieur  cohabitent  actuellement  dans  les  travaux  sur  l’enseignement  supérieur.  Celle  du  Céreq,  issue  des  enquêtes  sur  les  sortants  du  système  éducatif  à  une  date  donnée  (Génération  2010  par  exemple)  recense  les  sortants  non‐diplômés  de  l’enseignement  supérieur.  Les  données  les  plus  récentes  (2013)  indiquent  que  23 %  des  sortants  du  système  éducatif  en  2010  étaient  sortis  sans  diplôme  de  l’enseignement  supérieur  (Calmand,  Ménard  &  Mora,  2015).  Parce  qu’il  porte  sur  des  sortants  du  système  éducatif  français  entrés  à  des  dates  très  différentes  dans  l’enseignement  supérieur, ce taux ne dit pourtant rien de la proportion de sortants non diplômés de l’enseignement  dans  une  génération  « scolaire »,  soit  en  fait  ceux  et  celles  qui,  entrés  à  une  même  date  dans  une  formation supérieure ou universitaire, sont ensuite sortis sans diplôme au terme de leur parcours de  formation initiale. 

 

Ainsi,  seules  les  enquêtes  longitudinales  du  ministère  de  l’Education  nationale  (panel  de  suivi  des  élèves entrés en sixième en 1995 et panel bacheliers 2008 par exemple) permettent de quantifier les  sorties sans diplômes de l’enseignement supérieur dans des véritables cohortes. Selon les dernières  publications  du  SIES  (Papagiorgiou  &  Ponceau,  2018), « la  proportion  de  bacheliers  entrés  dans  le  supérieur  et  sortis  sans  diplôme  est  restée  stable  à  environ  20 % »  parmi  les  bacheliers  de  2008. 

Qualifier  cette  proportion  de  stable  est  cependant  surprenant.  Dans  sa  « Note  aux  utilisateurs  des  pondérations  des  élèves  du  panel  1995  suivis  dans  l’enseignement  supérieur »,  Hélène  Michaudon  (SIES)  indique  que  16 %  des  bacheliers  de  ce  panel  ayant  poursuivi  des  études  supérieures  en  sont  sortis sans diplôme, ce qui est cohérent avec les résultats précédents concernant la licence (passage  en seconde année et obtention du diplôme). Mais peut‐être faut‐il y voir l’effet d’une différence de  définition du dénominateur de ce pourcentage.  

 

Pour notre part, en ne retenant pas les formations suivantes :  

• au baccalauréat (bac général ou technologique) ; 

• à des diplômes de formation professionnelle non supérieure : CAP, BEP, BP, bac professionnel,  mention complémentaire, auxiliaire de puériculture, aide‐soignante, BEES, etc. ; 

• aux autres (BAFA, artistiques, langues, étranger...). 

 

Parmi  les  études  supérieures,  nous  estimons  donc  que  19 %  des  bacheliers  du  panel  1995  ayant  poursuivi des études supérieures n’ont pas décroché de diplôme. 

 

Ces  entrées  dans  l’enseignement  supérieur  se  soldant  par  une  sortie  sans  diplôme  peuvent  être  pensées depuis la notion de « ruptures ». Pour les étudiants entrés dans les premiers cycles et ayant  connu ce type de parcours par la suite, il semble possible de parler de « ruptures universitaires », en 

écho  à  la  notion  de  « ruptures  scolaires »2  de  M.  Millet  et  D.  Thin.  Pour  ces  auteurs,  cette  notion  présente  un  triple  intérêt  par  rapport  aux  termes  controversés  « d’échec  scolaire »  ou  de 

« déscolarisation »  des  collégiens.  Elle  renvoie  tout  d’abord  à  un  processus  et  non  à  un  simple  événement.  Elle  souligne  ensuite  l’entrelacs  de  plusieurs  dimensions  (scolaires,  familiales,  institutionnelles) favorisant ces ruptures. Enfin, elle prend en compte le rejet réciproque des élèves  par l’institution du collège et de l’institution par les élèves. Ainsi que nous l’avons déjà souligné, les  sorties  sans  diplôme  de  l’enseignement  supérieur  et  de  l’université  s’inscrivent  dans  des  durées  variables  dépendant  à  la  fois  de  l’organisation  institutionnelle  des  premiers  cycles  universitaires  (5  inscriptions  maximum  en  licence)  et  des  ressources  dont  disposent  les  étudiants  pour  étudier.  Ces  ruptures s’actualisent en effet souvent dans une formation de l’enseignement supérieur (Université,  STS)  mais  imbriquent  des  facteurs  familiaux  et  scolaires.  Cependant,  on  peut  reconnaître  que  les 

« ruptures universitaires » sont sans doute plus silencieuses que les ruptures scolaires enquêtées par  M. Millet  et  D .Thin :  si  « l’absentéisme  étudiant »  a  parfois  quelques  points  communs  avec  l’absentéisme  collégien,  les  relations  entre  les  étudiants  sortants  sans  diplôme  de  l’université  apparaissant  moins  explicitement  conflictuelles  avec  leur  filière  que  celles  des  collégiens  avec  leur  établissement. 

 

2.2. Mesurer le risque de rupture : un révélateur des hiérarchies dans  l’enseignement supérieur 

Les  ruptures  de  parcours  dans  l’enseignement  supérieur  sont  indissociablement  sociales,  institutionnelles et scolaires. Commençons par l’effet apparent du milieu social d’origine. 

 

Les  inégalités  sociales  face  à  l’obtention  de  la  licence  sont  importantes  (un  peu  plus  de  20  points  d’écart de pourcentage). Mais elles sont encore plus fortes face au risque de sortie sans diplôme de  l’enseignement supérieur (graphique 1) : ce taux varie du simple au triple selon que les deux parents  de l’étudiant(e) font partie des classes favorisées (tous les deux cadres ou professions intermédiaires)  ou des fractions les plus précaires des classes populaires (tous les deux ouvriers ou un parent ouvrier  et  l’autre  inactif),  où  plus  du  tiers  des  étudiants  quittent  l’enseignement  supérieur  sans  diplôme  (panel 1995). Soulignons ici l’intérêt de distinguer des strates au sein des classes populaires à l’aide  d’une  nomenclature ad  hoc de  repérage  du  milieu  social  d’origine  des  étudiants  (il  s’agit  ici  d’une  combinaison  des  professions  exercées  par  les  parents  à  l’entrée  en  sixième  de  leurs  enfants).  Ce  premier indicateur de rupture est cependant trop grossier, car il ne distingue pas les filières d’entrée  dans le supérieur. 

 

Les  différentes  filières  d’entrée  protègent  inégalement  contre  ce  risque  d’échec  (graphique  2) :  certaines filières organisant une sélection sur dossier scolaire éliminent rapidement les étudiants qui  encourent le plus ce risque (CPGE, santé, IUT mais ce n’est pas forcément le cas des BTS ; cf. Orange,  2009), les filières accueillant le plus de bacheliers professionnels et technologiques sont aussi celles  dont  les  étudiants  risquent  le  plus  de  sortir  sans  diplôme  (BTS  notamment).  Entre  les  deux,  on  retrouve la plupart des premiers cycles universitaires, avec des taux de 19 à 23 % d’étudiants sortant  sans diplôme. C’est à leur sujet que nous parlons de « rupture universitaire » et ce sont leurs parcours  que nous détaillons par la suite. 

 

Ces risques de sortie sans diplôme ventilés par filières d’entrée sont très liés à la valeur scolaire des  étudiants  qu’elles  accueillent  (graphique  3).  Précisons  que  ces  acquis  sont  quantifiés  par  des  évaluations nationales à l’entrée en sixième, conçues par la DEP sous la direction de Claude Thélot,  qui  portent  sur  les  programmes  de  l’enseignement  primaire  en  français  et  en  mathématiques  (Les  dossiers  d’Éducation  et  Formations,  n° 65,  1996).  Bien  sûr,  la  majorité  des  étudiants  ont  des  acquis  scolaires en primaire qui les plaçaient parmi les bons ou très bons élèves en début de collège : 46 %        

2 « Ainsi, ruptures scolaires et déscolarisation ne peuvent être réduites à des dysfonctionnements familiaux ou scolaires pas  plus qu’à des situations d’anomie. Elles doivent être envisagées comme l’aboutissement de processus se déroulant dans une  configuration de relations et de contraintes d’interdépendances concurrentielles et divergentes » (Millet & Thin, 2005, p. 3). 

des bacheliers entrants à l’université figurait parmi le quart le plus performant des élèves à l’entrée  en  sixième  en  français  et  en  mathématiques  et  30 %  figurait  parmi  le  troisième  quartile.  C’est  à  l’inverse  parce  qu’ils  avaient  dès  l’entrée  au  collège  des  acquis  trop  faibles  que  la  plupart  des  camarades n’ont pas poursuivi dans la filière générale (Palheta, 2011) afin d’y obtenir un baccalauréat  L, ES ou S. Mais on peut encore repérer des contrastes parmi les étudiants selon leur niveau en fin de  primaire.  Plus  une  filière  accueille  des  étudiants  qui  avaient  des  lacunes  importantes  en  fin  de  primaire, plus le risque de sortie sans diplôme est important. De fait, c’est bien parce que les filières  universitaires  accueillent  le  plus  grand  nombre  des  étudiants  qu’elles  fournissent  les  plus  grands  contingents de non‐diplômés. Cela ne doit pas conduire à oublier l’échec rencontré souvent par les  étudiants entrés en BTS, qui renvoie pour beaucoup à la fragilité de leurs acquis dans les techniques  intellectuelles  élémentaires  de  la  culture  écrite :  les  STS  services  sont  ainsi  les  filières  de  formation  qui  accueillent  la  part  la  plus  importante  d’étudiants  figurant  parmi  la  moitié  des  élèves  les  plus  faibles en français et en mathématiques (40 %) et celles qui voient le plus grand nombre d’étudiants  quitter ces formations sans obtenir aucun diplôme par la suite. 

 

Graphique 1 • Les sorties sans diplôme selon les professions des deux parents des étudiants   

 

Lecture : parmi les étudiants inscrits dans l’enseignement supérieur l’année suivant leur bac et dont les deux parents sont ouvriers, 35 %  n’ont obtenu aucun diplôme de l’enseignement supérieur au terme de leurs parcours d’étude. 

Champ : bacheliers inscrits dans l’enseignement supérieur l’année suivant leur bac, entrés au collège en 1995, France métropolitaine. 

Source : panel 1995, DEPP, MEN. 

 

Graphique 2 • Les sorties sans diplôme selon la filière d’entrée dans l’enseignement supérieur   

 

Lecture :  parmi  les  étudiants  inscrits  en  BTS  des  services  l’année  suivant  leur  bac,  31 %  n’ont  obtenu  aucun  diplôme  de  l’enseignement  supérieur au terme de leurs parcours d’étude. 

Champ : bacheliers inscrits dans l’enseignement supérieur l’année suivant leur bac, entrés au collège en 1995, France métropolitaine. 

Source : panel 1995, DEPP, MEN. 

   

Graphique 3 • Les filières d’entrée dans l’enseignement supérieur selon les acquis primaires des  bacheliers et le taux de sortie sans diplôme 

 

   

Lecture : parmi les étudiants inscrits en BTS des services l’année suivant leur bac, 42 % étaient en dessous de la médiane aux évaluations  nationales de 6ème et 31 % n’ont obtenu aucun diplôme de l’enseignement supérieur au terme de leurs parcours d’étude. La taille des cercles  est proportionnelle aux effectifs de bacheliers primo‐entrants dans chaque filière. 

Champ : bacheliers inscrits dans l’enseignement supérieur l’année suivant leur bac, entrés au collège en 1995, France métropolitaine. 

Source : panel 1995, DEPP, MEN. 

   

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