une analyse coût‐bénéfice des trajectoires professionnelles entre apprentis et lycéens professionnels
2.3. Décomposition de la variable d’intérêt
Nos premiers résultats corroborent donc une corrélation positive entre apprentissage et une insertion favorisée sur le marché du travail. Plusieurs autres évaluations comparatives sur des données françaises5 entre ces deux voies de formation aboutissent aux mêmes conclusions (Sollogoub & Ulrich, 1999 ; Simonnet & Ulrich, 2000).
2.2. Matching avec score de propension
En utilisant une méthode d’appariement sur score de propension, nous captons les effets dus aux observables en calculant la probabilité d’être en apprentissage en première étape d’appariement6, et en comparant ensuite un jeune sortant de la filière en apprentissage, avec un jeune aux caractéristiques identiques diplômé de lycée professionnel. Les résultats sont plus faibles que ceux obtenus avec les régressions linéaires (tableau 3). Ils s’établissent entre plus grande rentabilité de 1,1
% à trois ans, puis 1,9 % à cinq ans en moyenne par apprenti. La significativité des résultats est vérifiée, et un phénomène d’amplification est observé avec le temps. Cependant, la construction de notre variable d’intérêt reposant sur une construction multidimensionnelle, il est utile d’affiner les résultats en segmentant selon ses multiples composants.
Tableau 3 • Matching avec score de propension
N+3 N+5
Effet scolarité spécifique ‐0,011**
(0,005)
‐0,019*
(0,010)
Observations 2104 807
Note : * significatif à 10 % ; ** significatif à 5 % ; *** significatif à 1 % ; Abadie‐Imbens standard error entre parenthèses.
Lecture : toutes choses égales par ailleurs, en 2013, le fait d’obtenir un CAP ou un BEP en apprentissage trois ans auparavant accentue en moyenne la rentabilité pour les finances publiques de 1,1 % par rapport aux sortants de lycée professionnels. Avec un écart‐type de 0,5 %, ce coefficient est significativement différent de zéro au seuil de 5 %.
Champ : France entière. Sources : Céreq, Génération 2010 ; traitements Dares.
2.3. Décomposition de la variable d’intérêt
En conservant la méthode d’appariement sur score de propension et l’étude de semi‐élasticité, nous décomposons la variable d’intérêt pour pouvoir analyser la structure des résultats (tableau 4). La première étape du matching s’effectue avec les mêmes observables que précédemment. L’analyse des résultats montre que la rentabilité inférée est majoritairement due à davantage de cotisations sociales patronales et salariales collectées sur les épisodes d’emploi, et ce, en dépit d’un coût lié au
5 Groot & Plug (1998) trouvent des résultats plus mitigés sur des données d’enquête néerlandaise.
6 Utilisation d’un modèle logit en première étape.
chômage indemnisé qui est supérieur à trois et cinq ans. À trois ans, les cotisations sociales récupérées atteignent +24,4 % pour les apprentis, et +20,1 % à cinq ans. Le passage par l’apprentissage est aussi associé à une économie de 17,1 % à trois ans, puis 21,1 % à cinq ans en termes de d’accompagnement dans la recherche d’emploi. Les estimations sur les dépenses en formation professionnelle ne sont pas significatives.
Les résultats obtenus sont conformes à certaines intuitions. En effet, les anciens apprentis ont une propension à percevoir du chômage indemnisé plus forte que les sortants de lycée professionnel du fait de leur emploi au cours de leurs études. Ensuite, si l’apprentissage est efficace, les anciens apprentis se retrouvent aussi face à un risque de chômage moins élevé. Le surplus de cotisations sociales collecté à horizon de trois et cinq ans pour les deux cohortes va dans le sens de cette interprétation.
Observations 2 104 2 104 2 104 2 104
N+5
Observations 807 807 807 807
Note : * significatif à 10 % ; ** significatif à 5 % ; *** significatif à 1 % ; Abadie‐Imbens standard error entre parenthèses.
Lecture : Toutes choses égales par ailleurs, en 2015, le fait d’obtenir un CAP ou un BEP en apprentissage augmente en moyenne les cotisations récupérées par l’Etat de 20,1 % par rapport aux sortants de lycée professionnel (significatif à 5 %).
Le degré de précision peut donc varier entre les informations sur les coûts et les bénéfices. Par exemple, les chiffres issus de Pôle Emploi, relatifs aux coûts d’accompagnement des chômeurs n’isolent pas les dépenses en faveur des jeunes, qui constituent majoritairement notre échantillon.
Ils n’isolent pas non plus les titulaires de CAP/BEP, tout comme nos chiffres sur les dépenses de formation professionnelle. Notre chiffrage agrégé du coût du chômage indemnisé tient compte de ces deux ventilations. Toutefois, notre estimation de ce coût est aussi sujette à critique. Une segmentation supplémentaire entre apprentis et non‐apprentis aurait permis d’accroitre le réalisme du modèle, car les anciens apprentis bénéficient sans doute d’une allocation chômage moyenne supérieure à celle des lycéens professionnels du fait de leur emploi au cours de leurs études.
Néanmoins, une telle estimation permet a minima de mettre en exergue les différences propres aux trajectoires des jeunes.
Par essence, les analyses coût‐bénéfice possèdent plusieurs limites. Les résultats obtenus sont fortement conditionnés par un certain nombre de choix : la situation contrefactuelle à laquelle on souhaite se comparer, les différents coûts ou bénéfices considérés, ou encore l’horizon temporel
choisi. Il est nécessaire de rappeler que l’évaluation du différentiel de rentabilité n’est faite dans ce papier qu’à moyen terme. Un projet de recherche futur pourrait étudier ce qu’il se produit à plus long terme, ou intégrer les coûts pédagogiques. Enfin, s’agissant ici d’une analyse coût‐bénéfice et non coût‐efficacité, notre étude ne prend en compte que les aspects monétarisés, et non les aspects qualitatifs, comme ceux relatifs à la nature des compétences acquises lors des parcours scolaires.
Conclusion
Les deux voies de formation que sont l’apprentissage et le lycée professionnel rentrent dans la logique de Becker (1964), qui esquisse une distinction entre compétences spécifiques et générales.
En effet, lorsque l’apprentissage s’inscrit plutôt dans une logique de transmission des savoir‐faire et aurait davantage pour but une adaptation directe à un emploi grâce aux aptitudes techniques acquises durant le cursus, la scolarité traditionnelle, à travers le lycée professionnel, permettrait plus de polyvalence et une capacité d’adaptation accrue sur différents types d’emplois. Cette étude fait état d’une rentabilité à moyen‐terme pour les finances publiques lors du passage d’un jeune par l’apprentissage plutôt que par un lycée professionnel. Avec une rentabilité moyenne supérieure de 1,1 % à trois ans puis 1,9 % à cinq ans par rapport aux lycéens professionnels en CAP/BEP, les résultats présentés sont principalement portés par un surplus de cotisations sociales récupérées au cours des périodes d’emploi. L’analyse des limites posées par les données et par le concept d’analyse coût‐bénéfice laisse entrevoir des perspectives de recherches futures qui sauront fournir davantage de validité externe au regard de la question soulevée.
Références bibliographiques
Abriac, D., Rathelot, R., & Sanchez, R. (2009). L’apprentissage, entre formation et insertion professionnelles. Dans Formations et Emploi. Édition 2009 (p. 57‐74). Insee, coll. « Insee références ».
Becker, G. (1964). Human Capital. Chicago: The University of Chicago Press.
Cart, B., Léné, A. & Toutin, M.‐H. (2018). L’apprentissage favorise‐t‐il toujours l’insertion professionnelle ? Dans T. Couppié, A. Dupray, D. Épiphane & V. Mora (coord.), 20 ans d’insertion professionnelle des jeunes : entre permanences et évolutions (p. 109‐116). Marseille : Céreq, coll.
« Essentiels » (n° 1).
Guillerm, M., Pesonel, E. & Testas, A. (2018). L’orientation en CAP par apprentissage ou par voie scolaire : profils des élèves à l’issue de la troisième. Note d’information DEPP, 18.22.
INJEP/Céreq (2017). Mesure et analyse des discriminations d’accès à l’apprentissage. Rapport d’évaluation. INJEP/Céreq [http://www.cereq.fr/publications/Co‐editions/Mesure‐et‐analyse‐
des‐discriminations‐d‐acces‐a‐l‐apprentissage).
Jansen, A., Pfeifer, H., Schönfeld, G. & Wenzelmann, F. (2015). Apprenticeship training in Germany remains investment‐focused – results of BIBB Cost‐Benefit Survey 2012/2013. BIBB Report, 1/2015.
Le Rhun, B., & Marchal, N. (2017). Insertion professionnelle des apprentis et des lycéens : comparaison sur le champ des spécialités communes. Éducation & Formations, 97, 117‐148.
Mühlemann, S. (2016). The Cost and Benefits of Work‐based Learning. Paris : OCDE, coll.
« Documents de travail de l'OCDE sur l'éducation » (n° 143).
Plug, E., & Groot, W. (1998). Apprenticeship versus vocational education: Exemplified by the Dutch situation. Unpublished manuscript.
Rosenbaum, P. R., & Rubin, D. B. (1983). The central role of the propensity score in observational studies for causal effects. Biometrika, 70(1), 41‐55.
Sollogoub, M., & Ulrich, V. (1999). Les jeunes en apprentissage ou en lycée professionnel, une mesure quantitative et qualitative de leur insertion sur le marché du travail. Économie et Statistique, 323, 31‐52.
Strupler, M., & Wolter, S. C. (2012). Die duale Lehre eine Erfolgsgeschichte – auch für Betriebe.
Ergebnisse der dritten Kosten‐Nutzen‐Erhebung der Lehrlingsausbildung aus der Sicht der Betriebe. Glarus/Chur: Rüegger Verlag.
Ulrich, V., & Simonnet, V. (2000). La formation professionnelle et l'insertion sur le marché du travail : l'efficacité du contrat d'apprentissage. Économie et Statistique, 337, 81‐95.
Annexes
Annexe A • Table des taux de cotisations au niveau du smic, en vigueur en 2017
Salarié Employeur
Sécurité Maladie (yc CSA) 0,75% 13,19%
sociale Vieillesse (total rémunération) 0,40% 1,90%
Vieillesse (plafond) 6,90% 8,55%
Famille 3,45%
Accidents du travail * 2,32%
Pénibilité 0,01%
CSG/CRDS 7,86%**
Assurance chômage
Unedic 2,40% 4,05%
Fond de garantie ‐ AGS 0,15%
Retraite complémentaire
Retraite complémentaire ‐ Arrco 3,10% 4,65%
Retraite complémentaire ‐ AGFF 0,80% 1,20%
Divers
Taxe d'apprentissage 0,68%***
Formation professionnelle moins de 10 0,55%
10 et plus 1,00%
Contribution dialogue social 0,02%
Construction logement 20 et plus 0,45%
FNAL moins de 20 0,10%
20 et plus 0,50%
Versement transport **** 10 et plus 2,00%
* Taux net moyen constaté en 2015
** = (2,40 (CSG imposable) + 5,10 (CSG non imposable) + 0,50 (CRDS)) * (98,25 % du salaire)
*** 0,44 % en Alsace Moselle
**** Taux plafond hors Ile‐de‐France Source : Dares.
Note : Le plafond mensuel de sécurité sociale était de 3 269 euros en 2017. Pour les cadres, les tranches d’imposition diffèrent au niveau du volet retraite complémentaire, et d’autres cotisations s’ajoutent comme la garantie minimale de points ou la contribution exceptionnelle temporaire.
Coefficient de réduction Fillon :
0.6 ∗ 1.6 ∗
é é é 1
Avec, égal à 0,2809 si l’entreprise possède moins de 20 salariés, et 0,2849 dans le cas contraire.
Le salaire minimum de croissance (SMIC) brut était de 17 764 euros en 2017.
En 2017, le taux du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) était égal à 7 % de la masse salariale brute.
Annexe B1 : Part des sortants d’apprentissage ou de lycée professionnel en CAP/BEP, selon leur spécialité de formation (interrogation à trois ans)
Note : Il s’agit des quinze spécialités les plus représentées dans notre échantillon initial.
Lecture : en 2013, 6,4 % des répondants ayant obtenus un CAP ou un BEP en lycée professionnel ont opté pour une spécialité d’accueil, hôtellerie et tourisme.
Champ : France entière. Sources : Céreq, Génération 2010 ; traitements Dares.
Annexe B2 • Part des sortants d’apprentissage ou de lycée professionnel en CAP/BEP, selon leur spécialité de formation (interrogation à cinq ans)
Note : Il s’agit des quinze spécialités les plus représentées dans notre échantillon initial.
Lecture : en 2015, 7,7 % des répondants ayant obtenus un CAP ou un BEP en apprentissage ont opté pour une spécialité de finitions dans le bâtiment.
Champ : France entière. Sources : Céreq, Génération 2010 ; traitements Dares.
Annexe C • Régressions linéaires du solde pour les finances publiques à trois et cinq ans après
Région de l'étab. de formation
Ile de France
Autres Ref. Ref. Ref. Ref.
Apprentissage*Sexe : homme
‐0,026***
(0,007) ‐0,030**
(0,014)
Apprentissage*Spécialité
Services aux personnes
Observations 3089 3089 3089 1185 1185 1185
R² 0,07 0,11 0,10 0,08 0,15 0,16
Note : * significatif à 10 % ; ** significatif à 5 % ; *** significatif à 1 %.
Lecture : en 2015, le fait d’être un homme et d’obtenir un CAP ou un BEP par voie d’apprentissage cinq ans plus tôt est associé en moyenne, et au regard de notre indicateur, à un solde inférieur de 3,0 % pour les finances publiques. Coefficient significatif à 5 % (3ème spécification). Champ : France entière. Sources : Céreq, Génération 2010 ; traitements Dares.