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Les  angles  morts  de  la  connaissance  quantitative  des  abandons  d’études  à  l’université :  retour  sur  2  indicateurs

sans diplôme de l’enseignement supérieur

1.  Les  angles  morts  de  la  connaissance  quantitative  des  abandons  d’études  à  l’université :  retour  sur  2  indicateurs

 

1.  Les  angles  morts  de  la  connaissance  quantitative  des  abandons  d’études  à  l’université :  retour  sur  2  indicateurs  clés du débat 

1.1. Échouer en première année 

En  2007,  Valérie  Pécresse,  ministre  de  l’Enseignement  supérieur  et  de  la  Recherche,  lance  le  plan  réussite  en  licence  (PRL).  En  se  donnant  pour  but  de  diviser  par  deux  le  taux  d’échec  en  première  année  en  cinq  ans,  ce  plan  fait  du  passage  en  seconde  année  l’indicateur  central  de  la  réussite  à  l’université.  Cinq  ans  plus  tard,  ce  plan  est  un  échec.  À  l’échelle  nationale,  parmi  les  bacheliers  de  2008  inscrits  en  licence  immédiatement  après  leur  bac,  visés  par  la  rénovation  du  contenu  de  la  licence, des enseignements supplémentaires, des tutorats ou des diminutions des tailles de groupes  de travaux dirigés, 52 % passent en L2 l’année suivante. Le panel des bacheliers de 2002, antérieur au  PRL aboutissait à la même proportion (53 %). Ce constat d’échec est corroboré localement par l’étude  de Sophie Morlaix et Cathy Perret à l’Université de Bourgogne (2013). Parmi les bacheliers de 2014, le  taux de passage en seconde année de licence a sensiblement baissé (46 %, Chan‐pang‐Fong, 2019). 

 

Cet indicateur est désormais produit dans de nombreuses universités (Calmu & Le Jacques, 2014) et a  été au cœur de l’instauration de la plateforme Parcoursup. Selon Stéphane Beaud et Mathias Millet  (2018), « l’indicateur statistique, le chiffre noir officiel, qui sous‐tend la mise en place des prérequis,  est le taux d’échec en première année de L1 à l’université, annoncé comme toujours plus élevé dans les  débats  publics  (30 %,  40 %  ou  50 %  selon  les  cas) ».  Pourtant,  depuis  plusieurs  années,  ce  taux  fait  l’objet de plusieurs critiques. Ce taux s’avère certes pratique et peu coûteux à mettre en place dans  les  différentes  universités  (Calmu  &  Le  Jacques,  2014)  qui  peuvent  mobiliser  leurs  données  administratives (inscrits, présents aux examens, reçus aux examens, non‐réinscrits) pour le calculer et  ainsi  participer  au benchmark  des  établissements  et  des  formations  universitaires.  Cependant,  il  constitue une opérationnalisation d’une définition parmi les plus restrictives et partiales de la réussite  ou de l’échec à l’université. 

 

À  Poitiers,  Bodin  et  Millet  (2011)  ont  souligné  les  redoublements  et  les  réorientations  cachées  derrière ces apparentes non‐réinscriptions à l’université (11 %). Internes aux établissements, ces taux  ne disent rien des poursuites d’études dans le même cursus mais dans un autre établissement, une  autre région. On dispose aujourd’hui d’une vision plus précise des destins des étudiants à l’issue de la  première  année  à  l’échelle  nationale :  parmi  les  bacheliers  de  2008  inscrits  en  licence,  24 %  ont  retenté une première année en licence, 17 % se sont réorientés vers un autre cursus que la licence et  en fait, seuls 6 % ont arrêté immédiatement leurs études. L’obtention ou non de la première année  donne  finalement  un  aperçu  partiel  et  fragmentaire  de  l’entrée  à  l’université.  Et,  les  données  administratives des établissements (SISE ou Apogée) qui les produisent ne disposent pas d’autant de  variables scolaires ou sociales permettant d’en expliquer les variations. 

 

Comme  le  note  Michaut  (2012,  p.  57),  derrière  les  variations  du  taux  d’obtention  ou  non  de  la  première année se joue tout à la fois l’organisation pédagogique et le recrutement scolaire et social  de  chaque  formation.  Dans  l’enseignement  supérieur  français,  un  recrutement  scolaire  et  social  proche peut en effet se traduire par des taux d’obtention de la première année, très différents : en  2003, dans les deux formations supérieures les plus sélectives, les trois quarts des étudiants des CPGE  (76 %)  passent  en  seconde  année,  quand  ce  n’est  le  cas  que  de  15 %  des  étudiants  de  médecine  (Delthare, 2005). Hiérarchisant les filières et formations de l’enseignement supérieur sans dissocier le  fonctionnement institutionnel et pédagogique du recrutement scolaire et social, le taux d’obtention  de la première année se révèle être un indicateur partiel pour quantifier et éclairer les mécanismes  d’élimination scolaire et sociaux à l’université. 

 

1.2. Obtenir une licence 

Pendant  du  premier  indicateur,  l’obtention  de  la  licence  dans  les  trois  ou  quatre  années  suivant  l’entrée  à  l’université  s’est  aussi  de  plus  en  plus  imposé  dans  les  publications  du  ministère  de  l’Éducation nationale fondées sur des enquêtes par panel et dans les universités, à partir des données  administratives.  

 

Dans les cahiers du réseau des observatoires de l’enseignement supérieur (RESOSUP) proposant une  synthèse des manières de quantifier l’échec et la réussite dans les universités à partir d’enquêtes ou  de  données  administratives  locales  (Calmu  &  Le  Jacques,  2014),  on  trouve  ainsi  une  proposition  d’opérationnaliser  la  notion  de  « santé  pédagogique » : « Pour  mesurer  la  santé  pédagogique,  on  utilise l'intensité de la réussite (le nombre de diplômés au bout des trois ans, des quatre ans ou plus,  divisé par "l'effectif initial de la cohorte" [ce dénominateur ne fait pas l'unanimité des praticiens des  études de cohorte, il est donc discutable] ». En période de restrictions budgétaires importantes, les  enjeux  sur  le  pilotage  par  de  tels  indicateurs  de  réussite  éclaire  en  partie  les  luttes  sur  le  choix  du  dénominateur retenu pour le calculer : selon que l’on retienne l’ensemble de la cohorte des inscrits,  l’ensemble  des  présents  aux  examens,  on  n’aboutit  pas  à  la  même  « santé  pédagogique »  de  l’établissement  ou  de  la  filière  enquêtée.  Cette  notion  s’avère  en  outre  problématique  puisqu’elle  désigne comme « contre‐performantes » les formations universitaires garantissant le moins un accès  rapide des étudiants au diplôme de licence.  

 

Les  données  des  panels  de  bacheliers,  fondées  sur  des  enquêtes  par  échantillon  aléatoire  et  suivi  dans  le  temps,  indiquent  qu’au  bout  de  quatre  années,  seule  la  moitié  des  bacheliers  2008  (50 %)  inscrits en première année a obtenu une licence, ce qui est inférieur de 4 points au taux de réussite  des bacheliers de 2002 (Jaggers, 2015). Non seulement le PRL n’a pas atteint son objectif de réduction  de l’échec en première année, mais il échoue aussi à augmenter le taux d’obtention de la licence. On  peut  même  faire  l’hypothèse  que  la  politique  menée  simultanément  par  la  ministre  (loi  sur  l’autonomie des établissements, austérité budgétaire…) a contribué à son augmentation. 

 

Mais,  là  encore,  cette  durée  de  quatre  ans  est  discutable  pour  décrire  les  parcours  étudiants :  le  nombre d’inscriptions successives dans un cycle de licence étant limité à 5, on observe seulement des  parcours les plus rapides et on rend invisibles les éventuels parcours d’accrochage, repérés par Th. De  Saint‐Pol et  J. Cayouette  dans le secondaire (2013) : « C’est‐à‐dire le fait de s’attacher  à rester  dans  une  filière  plus  valorisée  que  ce  que  les  acquis  scolaires  pourraient  permettre ».  Ces  parcours  d’accrochage ont déjà été repérés par la sociologie de l’éducation : ce sont les « exclus de l’intérieur »  décrits par Bourdieu et Champagne (1992), ce sont les « malgré nous de la démocratisation scolaire »  rencontrés par Beaud (2002), ceux qu’on peut aussi caractériser comme des « élèves de l’entre deux »  (Ould‐Ferhat & Terrail, 2005), dont les résultats oscillent entre la réussite et l’échec. 

 

La prise en compte de la durée totale du parcours dans l’enseignement supérieur par l’exploitation du  panel de suivi des élèves entrés en sixième en 1995, et suivis dans l’enseignement supérieur, invite à  un constat sensiblement moins dramatique (Brinbaum, Hugrée & Poullaouec, 2018) : il permet, d’une 

part,  d’intégrer  les  rares  étudiants  des  premiers  cycles  en  situation  d’accrochage  universitaire  qui  obtiennent  leur  licence  en  plus  de  4  ans ;  d’autre  part,  il  intègre  tous  les  étudiants,  qui  ayant  commencé leur parcours en IUT (15 % des licenciés), en STS (12 %) voire en CPGE (8 %), s’inscrivent  finalement  à  l’université  pour  y  décrocher  une  licence.  À  l’inverse  des  données  administratives  locales,  il  offre  surtout  une  occasion  d’en  comprendre  les  déterminants  sociaux,  scolaires  et  même  subjectifs. 

 

On se concentre ici sur les seuls entrants en licence. Qu’ils l’aient obtenue en trois ans ou plus, selon  une trajectoire linéaire ou pas, qu’ils aient ensuite obtenu d’autres diplômes ou non, 61 % de ceux  qui sont entrés dans les études supérieures par un premier cycle universitaire (hors santé et IUT) ont  décroché  une  licence,  dans  la  filière  où  ils  ont  débuté  leurs  études  ou  dans  une  autre,  après  réorientation. Les écarts sociaux d’obtention de la licence sont assez importants au sein des premiers  cycles universitaires. Les étudiants dont les deux parents sont cadres ou professions intermédiaires  ont 7 fois sur 10 décroché la licence. Ils sont moins d’un sur deux parmi ceux dont un des parents est  ouvrier ou employé et l’autre inactif. En outre, il y a encore des variations significatives à l’intérieur  des classes populaires. Dans les cas très fréquents où l’un des parents est employé et l’autre ouvrier,  60 % des étudiants entrés en premier cycle obtiennent une licence. Autrement dit, les étudiants issus  des  classes  populaires  qui  obtiennent  une  licence  viennent  le  plus  souvent  des  familles  dans  lesquelles les parents sont les plus qualifiés de ces milieux sociaux. 

 

Seuls 51 % des inscrits en premier cycle universitaire ont obtenu une licence parmi les étudiants ayant  au  moins  un  parent  immigré,  contre  61 %  en  moyenne.  Les  inégalités  liées  à  l’origine  migratoire  masquent  en  partie  celles  que  subissent  les  classes  populaires,  puisque  la  majeure  partie  des  étudiants d’origine immigrée appartient à ces milieux sociaux dans ce panel. Cet écart est très lié aux  types de bac obtenu. Les bacheliers ayant au moins un parent immigré et appartenant à des ménages  des classes populaires ont en effet plus souvent obtenu des bacs technologiques ou professionnels ;  et  lorsqu’ils  ont  décroché  un  bac  général,  il  est  plus  rarement  avec  mention.  Si  les  filles  accèdent  davantage  aux  filières  universitaires, a  fortiori  quand  elles  sont  issues  de  l’immigration,  elles  en  sortent aussi plus souvent diplômées : toutes origines sociales confondues, 58 % des garçons et 63 %  des  filles  sortent  licenciés  de  l’enseignement  supérieur  après  y  être  entrés  par  un  premier  cycle  universitaire  (hors  études  de  santé).  Cet  écart  est  maximal  quand  un  des  parents  est  agriculteur,  artisan,  commerçant  ou  chef  d’entreprise.  Et  il  disparaît  quand  les  deux  parents  sont  cadres  ou  professions intermédiaires. Mais il est aussi assez important dans les classes populaires.  

 

L’obtention d’une licence indépendamment de la durée qui sépare son obtention de l’inscription dans  l’enseignement supérieur offre une réelle plus‐value pour rendre compte des mécanismes d’élection  scolaire  à  l’université.  Lorsque  leurs  résultats  aux  évaluations  en  français  et  en  mathématiques  les  situent  dans  le  quart  inférieur  des  élèves  de  sixième,  seuls  37 %  des  inscrits  en  premier  cycle  universitaire obtiennent une licence. À l’inverse, quand ils faisaient partie du meilleur quart, 71 % ont  décroché  cette  licence  en  premier  cycle.  Certes,  les  élèves  les  plus  en  difficulté  en  fin  de  primaire  parviennent  très  rarement  en  premier  cycle  universitaire.  Ils  ne  représentent  qu’une  toute  petite  minorité des étudiants qui s’y sont inscrits l’année suivant leur bac (5 %). Plus nombreux en revanche  sont les étudiants dont les résultats se situaient dans le second (16 %) ou le troisième quart (31 %)  aux évaluations de sixième. Dans ces deux derniers cas, la part d’entre eux qui obtiennent une licence  reste inférieure à la moyenne. 

 

Cette liaison entre la réussite des apprentissages en primaire et l’obtention d’une licence est valable  dans tous les milieux sociaux. À niveau comparable à l’entrée en sixième, les enfants de deux parents  cadres  ou  professions  intermédiaires  obtiennent  certes  plus  souvent  la  licence.  Mais  cet  avantage  disparaît chez les étudiants qui figuraient parmi les meilleurs élèves en fin de primaire. 

 

2. Penser les « ruptures universitaires » depuis les sorties 

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