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3. L’enseignement des langues étrangères

4.1 Eléments d’un cadre théorique : recherches sur la formation à l’ALAO / l’ALMT

4.1.1 Attitudes et croyances des enseignants

4.1.1.1 La pensée enseignante

La pensée enseignante a été définie par Borg comme

des réseaux complexes et personnalisés de savoirs, pensées et croyances qui sont axés sur la pratique et s’inscrivent dans un contexte spécifique.

(Borg, 2006, p. 272)

C’est la pensée enseignante qui sous-tend la pratique enseignante. Phipps et Borg (2009) soulignent la systématicité de la pensée enseignante et distinguent les croyances « centrales » ou convictions profondes d’autres attitudes moins bien affirmées qui, elles, seraient « périphériques. » Cette distinction explique certains écarts entre les orientations de programmes de formation et les attitudes des nouveaux enseignants qui en sortent, ainsi qu’un décalage entre les opinions exprimées par des enseignants et leur pratique de classe (Feryok, 2010 ; Orafi & Borg, 2009; [16, p. 67]).

Dans une première étude que j’ai menée dans ce domaine dans le contexte d’un projet de visioconférence en anglais à l’école primaire (Whyte, 2011, [18]), cette notion de la pensée enseignante a permis d’élucider un certain nombre de contradictions apparentes entre les commentaires des enseignants qui mettaient en place des activités de langue lors des séances de visioconférence et leur gestion de ces activités dans les classes. Dans ce projet organisé dans le cadre du projet 1000 visioconférences pour l’anglais à l’école primaire, plusieurs tandems de classes primaires dans une même académie étaient reliés dans un dispositif caractérisé par Macédo-Rouet comme un usage « classique » de la visioconférence pour la « diffusion de cours à distance » (Macédo-Rouet, 2009, p. 69) : un enseignant expérimenté faisait cours à ses propres élèves (la classe émettrice) et diffusait ce cours en même temps par visioconférence à une classe distante dont le professeur avait moins d’expérience d’enseignement de l’anglais (la classe réceptrice). Dans leurs commentaires lors de séances de formation en amont des séances de classe, ainsi que pendant les entretiens d’auto-confrontation en aval, les enseignants et formateurs ont tous souligné le potentiel du dispositif pour faciliter les interactions authentiques entre apprenants qui donneraient du sens aux apprentissages de l’anglais.

L’étude a révélé que les trois tandems d’enseignants ont conçu dans ces conditions deux types d’interactions bien distinctes qui sont présentés dans la figure 4 :

Figure 4 : Interactions entre classes émettrices et réceptrices

A gauche dans la figure 4 apparaît un premier type d’interaction observée, dans laquelle les apprenants de la class émettrice (P1, P2 etc) présentaient en anglais à la classe réceptrice (derrière la ligne verticale qui représente l’écran du TBI, qui servait de cadre pour la projection de la visioconférence). Ces apprenants se comportaient en quelque sorte comme s’ils présentaient une pièce de théâtre ou une poésie, c’est-à-dire en récitant un texte mémorisé, sans l’intervention des interlocuteurs dans la classe partenaire, ni de l’enseignant (T1, en retrait à l’arrière de la classe). C’est le premier type d’interaction observée. Il concerne des représentations préparées et répétées à l’avance et qui se déroulaient sans la participation directe de l’enseignant.

Un second type d’interaction est présenté sur le côté droit de la figure 4. Il s’agit ici d’interactions que j’ai qualifiées de triangulaires (voir aussi Dausendschön-Gay, 2006; Macaire, 2005). L’intention déclarée des enseignants était de permettre un échange direct par visioconférence entre un apprenant de chaque classe, chacun devant le TBI et observé par sa classe. Au lieu de créer un échange limité à ce binôme, qui pourrait être représenté par une droite dans la figure, les enseignants dans les deux classes s’interposaient en s’adressant directement aux deux apprenants, créant ainsi des interactions triangulaires de part et d’autre. Dans chacun des types d’interactions de la figure 4 une absence d’interaction spontanée est à noter, dans un cas parce que les

interventions des apprenants sont programmées à l’avance et dans l’autre parce que les enseignants interviennent eux-mêmes après chaque tour de parole des apprenants.

Comment expliquer le décalage entre l’intention affichée des enseignants d’encourager les interactions spontanées et et le fait que ces pratiques de classe qui ne créent pas de telles interactions? D’après Borg l’importance prêtée aux interactions spontanées entre apprenants ferait partie des croyances périphériques des enseignants, qui s’effaceraient devant des attitudes plus centrales allant à l’encontre de ce type d’échange imprévisible : un besoin de maîtriser les échanges de classe et de paraître compétent aux yeux des autres, ou la peur de conduire les apprenants vers la déstabilisation ou l’échec, par exemple.

Dans une étude dans la prolongation de ces recherches sur la pensée enseignante et son rôle dans l’intégration des technologies par les enseignants de langue avec Euline Cutrim Schmid nous concluons :

the French teachers who employed the IWB to support videoconferencing, whose pedagogical use is predominantly associated with constructivist practice, appropriated the IWB to suit their own needs in maintaining teacher control of learning processes and in managing pupil behaviour.

[16, p. 319]

Ces résultats nous ont poussées à mettre en place un autre type d’échange à distance où les activités de visioconférence s’inscrivent de façon plus nette dans une perspective actionnelle : il s’agit d’un échange tandem entre élèves français et allemands. Ici, chercheurs et enseignants ont collaboré pour concevoir et mettre en place des tâches communicatives qui impliquent l’échange

d’informations entre binômes en communication orale synchrone par le TBI avec une connexion de visioconférence et un partage d’écran. Dans la figure 5 ce dispositif est illustré par une photo prise dans la classe allemande lorsqu’un élève français se présente en anglais (voir la fenêtre vidéo) et son interlocutrice allemande construit une carte d’identité sous les yeux de la classe allemande en manipulant les photos et autres éléments sur la page du logiciel TBI à partir des informations données dans les propos entendus. Cette configuration permet une communication plus proche de

celle recherchée dans le projet précédent, qui a alors été inhibée par les objectifs et attentes des enseignants.

Figure 5 : Tâche communicative en binôme par visioconférence

Ici encore nous observons l’effet de la pensée enseignante sur les attitudes des enseignantes par rapport aux conditions nécessaires pour l’acquisition de la langue. Lorsque les chercheurs leur demandent ce que les élèves ont appris lors des séances de visioconférence organisées de cette façon, elles répondent que les élèves n’ont rien appris de nouveau :

Teacher F explained that her learners ‘didn’t learn something in the sense of pure scholastic knowledge’ but instead ‘made a real effort to bring together everything that they had learned . . . to mobilise everything they had learned, and we could really see that’. Teacher G agreed: ‘They improved and tested their skills but . . . most did not learn something new (I mean in terms of language learning).’ [4: 89-90]

Il semble que pour ces enseignants, l’acquisition d’une langue étrangère est plus un produit qu’un processus et nous pouvons supposer que tant que la langue est considérée par l’enseignant comme un ensemble d’éléments lexiques et de règles grammaticales, l’apprentissage passera par la mémorisation cumulative de ces éléments et la mobilisation des ressources linguistiques passera au second plan dans l’enseignement.

Ces exemples montrent l’intérêt des perspectives des enseignants pour la didactique mais aussi pour la recherche. Leur absence dans ces domaines est à regretter : « the voices of non-native speaker language teachers in state schools too often go unheard » [16: 319]. Le sentiment d’efficacité personnelle relève d’un cadre théorique qui permet de remédier à cette situation en prenant en compte les points de vue des enseignants concernés et qui fait l’objet de la discussion dans la section suivante.