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2.3 Le premier décor peint roman : éléments de synthèse

2.3.3 Les peintures romanes : conclusions

L’ancienne église de Saint-André-des-Eaux reste un édifice modeste, relativement éloigné des grands centres de la création architecturale romane. Elle n’en demeure pas moins un exemple synthétique et original de plusieurs courants artistiques qui s’exprimèrent au cours des XIe-XIIe siècles, comme l’illustre

l’exemple du premier programme pictural.

Le contraste est saisissant ici entre la sobriété et la simplicité de l’architecture et la richesse des décors peints, tels qu’ils devaient apparaître à l’origine sur les murs de l’église. L’importance et la qualité de la peinture murale à Saint-André-des-Eaux n’est pas limitée à une seule campagne picturale, mais elle s’est maintenue sur une période relativement longue, comme l’atteste cette Crucifixion disparue, dont l’étude mériterait d’être reprise avec plus de précision. Pourtant, la péninsule armoricaine n’a jamais été réputée pour la qualité de sa peinture murale romane. Peut-être alors faut-il voir dans Saint-André-des-Eaux l’exception qui confirme la règle ? Mais notre vision est sans doute biaisée par l’historiographie du sujet, imprégnée par une certaine ignorance envers les expressions de l’art roman en Bretagne et par l’histoire patrimoniale de cette région, particulièrement affectée par les nombreuses destructions et débadigeonnages intervenus entre le XIXe et le XXe siècle. L’histoire de l’ancienne église elle-même est

assez éloquente : ce n’est qu’à la fin des années 1980, lorsque presque tous les revêtements peints avaient déjà disparu, qu’elle a été classée au titre des Monuments historiques ; la Crucifixion, qui était connue depuis le début du XXe siècle, aurait pourtant justifié à elle seule une mesure de protection. Aussi, le

faible nombre de vestiges qui nous sont parvenus ne doit pas nécessairement être interprété comme la conséquence d’un semblable état des choses à l’époque médiévale. On peut au contraire présumer que la peinture murale a joué un rôle essentiel dans la décoration de ces édifices modestes, en se substituant à la rareté de la sculpture et à la sobriété du décor architectonique.

La singularité du premier décor peint de l’église ne doit pas non plus faire illusion. Les ensembles ornementaux romans sont peu étudiés et seules des enquêtes plus vastes seraient à même de s’assurer de cette originalité. L’exemple de l’église de Saint-André-des-Eaux démontre toutefois que la peinture murale ne peut définitivement pas être envisagée comme une part négligeable de l’architecture romane et de l’architecture médiévale, même si la représentation figurée y est reléguée à un rôle marginal. Si ce constat est désormais bien admis dans les milieux scientifiques, la restitution au public des édifices médiévaux est encore trop souvent détachée de cette préoccupation.

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CONCLUSION GÉNÉRALE

Un certain nombre de questions sur l’histoire du site demeurent en suspens au terme des trois années d’étude de l’ancienne église.

Si la chronologie relative a pu être bien établie, les datations absolues des différentes phases restent délicates à déterminer avec précision. Ainsi, la datation de l’édifice antérieur à la première église est inconnue et les fourchettes chronologiques proposées pour la construction de l’église romane et pour la réalisation du premier décor peint restent assez lâches : gageons que les nouvelles datations au radiocarbone, envisagées pour 2010-2011, permettront d’affiner la chronologie générale du site.

L’origine du site ne fait désormais plus de doute : le bâtiment roman n’est pas fondé

ex nihilo mais il

remplace bien un édifice plus ancien. Si l’hypothèse d’un sanctuaire alto-médiévale est tout à fait envisageable, l’absence de mobilier résiduel antique ne permet cependant pas de plaider en faveur de la permanence d’une occupation antérieure au christianisme. Là encore, les interrogations sont nombreuses et ne pourraient être levées que par une fouille exhaustive de l’église et de l’enclos paroissial. En effet, il conviendrait de déterminer précisément l’emprise et le plan de ce premier édifice, afin de le dater et de comprendre sa fonction, et de s’assurer d’éventuelles phases d’occupation plus anciennes.

La question de la nécropole mériterait également d’être approfondie. Il faudrait en effet déterminer l’ancienneté du cimetière associé à ce lieu de culte, ce que n’ont pas permis les sondages localisés réalisés en 2008. Si les sépultures anciennes ont été régulièrement relevées, comme nous en avons émis l’hypothèse, les ossements ont sans doute été disposés dans un ossuaire, comme on en voit apparaître de nombreux exemples dans les cimetières paroissiaux bretons à partir des XVIe-XVIIe siècles330. Mais il est

également possible que subsistent des fosses de réduction dans l’enceinte de l’enclos paroissial et des sépultures médiévales, dans la nécropole ou l’église. La surreprésentation des inhumations d’immatures est intrigante : s’agit-il d’une simple incidence liée à la localisation des sondages, ou bien la nécropole était-elle spécifiquement dévolue à cette fonction, du moins à la période moderne ?

Concernant les peintures murales enfin, plusieurs aspects pourraient être précisés. Ainsi, il est impossible à l’heure actuelle de restituer la totalité du premier décor peint roman dont plusieurs éléments nous échappent, comme la présence d’un programme figuratif associé à cet ensemble ou l’ampleur des décors dans le chœur. Les aspects techniques pourraient également être mieux compris : des analyses physico- chimiques sur les couches picturales bleu-grises, prévues en 2010-2011, devraient ainsi permettre d’établir la nature des pigments utilisés et de mettre ces résultats en parallèle avec les multiples solutions employées à la période romane pour obtenir différentes teintes de bleus. La seconde phase romane mériterait également d’être mieux étudiée : la précision des relevés et des photographies du Musée des monuments français permettent de réaliser une étude iconographique et stylistique approfondie de la

Crucifixion, à laquelle d’autres scènes historiées devaient être associées. Deux apports documentaires

pourraient permettre de progresser notablement dans ces différentes voies : la découverte de documents iconographiques inédits, nous renseignant sur les stades intermédiaires de dégradation des revêtements muraux entre 1920 et 1980 d’une part ; la collecte et l’analyse fine de la totalité des fragments d’enduits peints conservés dans les niveaux archéologiques d’autre part.

L’ensemble de ces questionnements méritent évidemment d’être replacés dans des problématiques d’ensemble, qui ne pourront être éclairées qu’à condition de s’inscrire dans de vastes enquêtes croisant les différents types de sources, menées à l’échelle régionale et extrarégionale.

Ainsi, le phasage archéologique du site à la période moderne, tout comme les spécificités du recrutement de la nécropole, pourraient facilement être croisés avec une étude historique des sources textuelles disponibles sur l’église : les registres paroissiaux, remontant à 1581, qui n’ont pu être que survolés dans le cadre de cette étude, offriraient ainsi une matière propice à une telle enquête. Les différentes

102 transformations architecturales qui interviennent à cette période (retables, chaire à prêcher, clocher, sacristie, etc.), désormais renseignées par l’étude archéologique, gagneraient également à être mises en parallèle avec les nombreux changements des usages liturgiques et des espaces sacrés induits par la contre Réforme, dont Bruno Restif a proposé une analyse historique extrêmement précise pour les paroisses de Haute-Bretagne331. L’analyse de ces différents aspects gagnerait sans doute à être étendue aux paroisses

avoisinantes de Tréfumel, du Quiou, de Saint-Juvat, où les églises paroissiales présentent des similitudes architecturales frappantes avec Saint-André-des-Eaux. Ce type d’étude pourrait fournir un sujet approprié pour la réalisation d’un master d’histoire ou d’archéologie.

Par ailleurs, à l’échelle régionale, les investigations archéologiques sur l’architecture religieuse bretonne, et sur le bâti médiéval de manière générale, font cruellement défaut et il est extrêmement difficile de saisir avec précision les évolutions architecturales et les tendances artistiques qui s’exprimèrent dans la Péninsule entre la fin de l’Antiquité et les débuts de la période gothique. La Bretagne offre pourtant une situation géographique et historique particulièrement intéressante, à la croisée entre la vallée de la Loire, la Normandie et l’Angleterre et ouverte sur le reste de la façade occidentale de l’Europe par ses voies maritimes. L’histoire de sa christianisation, marquée par l’influence des missionnaires anglo-saxons, n’a jamais véritablement été entreprise selon une approche archéologique qui complèterait pourtant efficacement les nombreuses recherches toponymiques, hagio-toponymiques et historiques menées depuis la fin du XIXe siècle. L’appartenance de l’ancienne église à l’évêché de Dol pose par exemple le

problème de la constitution et de la topographie unique de ce diocèse. Les enclaves doloises conservent des monuments parmi les plus intéressants et les plus anciens de l’architecture romane bretonne : Lanmeur, le Lou-du-Lac, Lanleff, Langast, etc. Une étude systématique de ces édifices, basée sur les méthodes de l’archéologie du bâti et complétée par des sondages localisés, permettrait sans doute d’aborder différemment la question de l’évolution des possessions paroissiales de la grande abbaye- évêché.

Quoi qu’il en soit, les investigations sur l’ancienne église ont permis de démontrer l’important potentiel archéologique du site. La stratigraphie est riche et complexe et le mobilier archéologique, principalement représenté par les fragments d’enduits peints, est relativement abondant ; du moins dans le contexte d’une église paroissiale. Les fragments d’enduits affleurent à une dizaine de centimètre sous le niveau de sol actuel et présentent un état de conservation exceptionnel, sans doute favorisé par la nature limoneuse du terrain. Leur faible profondeur d’enfouissement invite à porter une attention soutenue aux projets d’aménagement futurs, qui pourraient endommager durablement les niveaux archéologiques, à travers l’aménagement de drains, de nouveaux niveaux de circulation, voire la simple pose d’échafaudages. Ainsi, si les projets de couverture totale de l’église et la reconversion du site en espace muséographique voient le jour332, une intervention archéologique plus étendue pourrait

difficilement être évitée.

331 Restif 2005.

332 Comme cela est envisagé par la commune suite aux premiers travaux de restauration (voir Saint-André-des-Eaux –

Ancienne église Saint-André, Travaux d’entretien – Exercice 2008, SDAP des Côtes d’Armor, p. 6 [http://www.bretagne.culture.gouv.fr/actualite/sdap22/Saintandredeseaux.pdf]).

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SOURCES &BIBLIOGRAPHIE