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2.1 La construction et l’occupation du site

2.1.5 Le bâti roman : éléments de synthèse

2.1.5.3 Indices de datation

L’ensemble de ces comparaisons tendent à démontrer que l’ancienne église de Saint-André-des-Eaux s’inscrit bien dans les traditions architecturales de la Bretagne romane, elles mêmes fortement liées à celles des régions avoisinantes : Poitou, Maine-Anjou, Normandie. Cela étant, cette rapide mise en perspective, bien que nécessaire pour dégager des tendances générales et des aires d’influences, n’est pas suffisante pour proposer une datation précise de la construction de l’église. Celle-ci doit également s’appuyer sur d’autres critères de datation, fournis par des caractéristiques techniques mieux situées chronologiquement et, dans la mesure du possible, par le recours à des datations absolues.

• Les techniques d’appareillage

Les méthodes d’appareillage des murs fournissent un critère de datation auquel les archéologues ont souvent recours. Bien que celles-ci restent très peu étudiées en ce qui concerne la Bretagne médiévale160 il

est possible de se référer aux typo-chronologies établies dans les régions limitrophes161, puisque la

Bretagne semble participer des mêmes tendances architecturales.

À première vue, l’étude des maçonneries de l’ancienne église de Saint-André-des-Eaux la situe à une étape intermédiaire entre l’utilisation d’un petit appareil de moellons réguliers, plutôt caractéristique des débuts du XIe siècle et le recours à un appareillage de gros moellons et de moyen appareil, qui tend à se

développer à partir de la première moitié du XIIe siècle.

L’usage d’un moyen appareil, plus ou moins régulier, pour les chaînages et les encadrements, parfois renforcé sur un ou deux rangs et étendu à toutes les parties basses du mur triomphal, atteste du recours à un matériau régulièrement exploité en carrière. Les parements de moellons, dans les parties basses des

158 Grand 1958, p. 455-456 ; Déceneux 1998, p. 59. 159 Autissier 2005, p. 289.

160 Sur cette question voir Guigon 1998, 2, p. 167-170.

56 murs doivent sans doute leur irrégularité à leur provenance, puisqu’il s’agit manifestement de matériaux récupérés, au moins en partie. Quant aux parties hautes, elles présentent certes un appareillage régulier de petits moellons mais ceux-ci n’ont pas la forme cubique et calibrée souvent caractéristique d’une datation aux alentours de l’an mil162. Finalement, l’appareillage de Saint-André-des-Eaux s’apparente

plutôt à celui en vigueur dans le chœur de l’église de Tremblay par exemple163, donnée en 1058 aux

moines de Saint-Florent-de-Saumur pour être reconstruite (fig. 98, 99)164.

On note également l’absence d’autres critères d’ancienneté. Ainsi, même si les constructeurs disposent ici de moellons allongés qui permettraient une telle technique on ne remarque aucune tentative d’opus

spicatum, tel qu’on peut l’observer sur les parois extérieures des églises du Lou-du-Lac ou de Langast

(Côtes-d’Armor), sans doutes construites à la charnière de l’an mil165. De même, les briques utilisées en

remploi dans les murs ne sont pas organisées en assises horizontales ou en bandes d’appareillage décoratif, comme cela est le cas dans certaines églises de Normandie et d’Anjou (fig. 116), généralement datées au courant ou à la fin du Xe siècle (Notre-Dame-sous-Terre du Mont-Saint-Michel ; Vieux-

Pont-en-Auge dans le Calvados ; Savennières en Maine-et-Loire). Elles sont ici employées ponctuellement, en calage horizontal ou vertical et parfois des pierres de même module les remplacent dans cette fonction. Ces briques sont également absentes de l’appareillage des arcs, pour lesquels on leur a préféré des claveaux de granite.

Dans son étude sur l’Anjou, A. Valais constate un élancement progressif des dimensions des fenêtres à linteaux échancrés à mesure que l’on s’avance dans le temps. Selon lui, les baies les plus grandes (hauteur supérieure à 1 m) se situent à la charnière de 1100. Si cette évolution est identique en Bretagne, les dimensions des baies de Saint-André-des-Eaux (entre 1,10 m et 1,25 m) iraient plutôt dans le sens d’une datation basse, dans la seconde moitié du XIe siècle.

• Les analyses au radiocarbone

Deux analyses au radiocarbone ont été effectuées par le Centre de datation de l’université Lyon 1, à partir de charbons de bois piégés dans les mortiers de construction de l’église166.

Ces deux échantillons proviennent du gouttereau sud du chœur et doivent être complétés par une nouvelle série d’analyses qui interviendra courant 2010-2011. L’objectif est de fournir une troisième datation sur les mortiers de construction, une datation du sol charbonneux lié au bâtiment antérieur à l’église et deux datations de l’enduit sous-jacent qui supporte le premier décor peint.

Le premier échantillon donne un âge calibré compris entre 1024 et 1166 après J.-C. La courbe de calibration présente des pics de probabilité décroissante à 1090, 1149, 1121 et 1139.

Le second échantillon, plus précis, donne un âge calibré compris entre 992 et 1148 après J.-C et présente un seul pic de probabilité, en 1023.

Les sondages archéologiques réalisés dans l’église n’apportent pas d’éléments de datation supplémentaires suffisamment probants. En effet, les investigations n’ont pas été poussées assez loin dans le chœur pour mettre au jour des niveaux d’occupation liés à la construction de l’église.

L’ensemble de ces données – caractéristiques formelles, techniques de construction et datations absolues – interdisent donc de voir dans l’ancienne église de Saint-André-des-Eaux un édifice construit avant ou aux alentours de l’an mil, contrairement à ce que suggérait R. Grand en 1958.

162 M. Baylé, « Traditions d’ateliers… », op. cit.

163 D’après nos observations, le mur méridional de la nef de cette église pourrait subsister de l’édifice antérieur à la reconstruction de 1058, contrairement à ce qui à été souvent avancé (Grand 1958, p. 463-464 ; Guigon 1998, 2, p. 165 ; Déceneux 2001, p. 52).

164 Guillotin de Corson 1886, 2, p. 506-507.

165 Le seul appareillage en opus spicatum ne peut cependant pas être retenu comme unique critère d’une datation haute : ce mode d’appareillage s’est maintenu jusqu’au XIIe siècle en Normandie (voir F. Margo, « Le traitement des roches autres que le calcaire dans les églises romanes de la Manche » dans Désiré dit Gosset & Leroy éd. 2004, p. 47-58).

57 Il convient plutôt de s’accorder avec les hypothèses de M. Déceneux et de Ph. Guigon qui placent respectivement la construction à la fin de la première moitié du XIe siècle pour l’un et dans la seconde

moitié de ce siècle pour l’autre. Cela étant, il reste difficile de trancher entre les deux propositions en l’absence de données supplémentaires. On peut tout au plus proposer une fourchette chronologique large, comprise entre 1025 et 1075. La limite haute est donnée par le pic de probabilité, assez précis, d’une des deux datations au radiocarbone, tandis que la date basse englobe la date de reconstruction du chevet de Tremblay (1058), mentionnée par la charte de donation de cette église à Saint-Florent de Saumur. Néanmoins, cette fourchette 1025-1075 reste une hypothèse de travail qui ne pourra être affinée que par des datations au radiocarbone supplémentaires et par des investigations archéologiques plus poussées sur le site. Il est évident qu’une meilleure connaissance des techniques de constructions romanes dans la péninsule bretonne permettrait également de proposer des datations plus précises. En ce qui concerne le contexte historique de la construction, l’hypothèse de M. Déceneux – selon laquelle l’édification de l’église, comme celles de Tréfumel et du Quiou serait redevable à l’initiative du seigneur Guirmharoc, qui fonde un prieuré à Saint-Pern vers 1050 – bien que séduisante, ne peut absolument pas être confirmée dans l’état de nos connaissances. Du reste, contrairement à ce qu’affirme cet auteur, cette reconstruction ne doit pas non plus être en lien avec l’émancipation de la paroisse si celle-ci intervient tardivement au cours du XIIe siècle. Les inconnues documentaires restent finalement

trop importantes pour mesurer, à partir des seuls indices fournis par les caractéristiques architecturales et une date approximative de construction, le rôle respectif joué par les différentes autorités politiques et spirituelles dominant la région au cours du XIe siècle (évêché-abbaye de Dol, seigneurs locaux, abbayes

ligériennes).

En l’absence de datations et d’investigations archéologiques supplémentaires, la date de construction du bâtiment antérieur ne peut pas être estimée. On peut seulement émettre l’hypothèse que son édification se situe antérieurement à l’an mil, ou bien aux alentours de cette date, en postulant d’une occupation d’au minimum un demi-siècle pour ce premier bâtiment. Sa date d’abandon doit en effet correspondre à la construction de la nouvelle église vers 1025-1075.

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