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Des passages à expérimenter

Si nous prenons à titre d’exemple l’œuvre suivante, nous comprenons davantage cette idée de niveaux d’intégration226. Au premier niveau, l’on peut observer la double figure de l’ange : le personnage doublé par son ombre qui semble progresser sur la gauche, vers un hors champ du tissu. À l’arrière de l’installation, un autre tissu à motifs a été disposé. Et entre les deux, une figure réelle de spectateur est venue s’introduire et participe furtivement de l’œuvre. Nous comprenons ainsi que la notion de passage et d’entre-deux va être aisément exploitée par les passants, dans le cadre de l’exposition des tissus. Ainsi, nous pouvons à loisir observer sur cette photographie prise sur le vif, l’entre-deux en action des tissus qui accueillent les passants en son sein. À cela s’ajoute le phénomène suivant : la transparence des noirs qui permet d’accentuer ce phénomène esthétique d’entre-deux227. Cela étant dit, il n’y a pas qu’à travers la transparence des voiles noires que les autres niveaux d’intégration opèrent dans les œuvres. Par exemple, si nous étudions la photographie de cette monumentale installation, nous pouvons observer la présence d’un autre passant photographié entres les voiles228. Celui-ci est pris dans un entre-deux que nous pouvons observer avec du recul.

Les thermo-impressions sont suspendues de part et d’autre de l’abside d’une église créant, de ce fait, une sorte de labyrinthe229. Un dédale fait de voiles et de tissus dans lequel le spectateur est invité à se perdre. En parcourant cette structure monumentale, le passant se met à redécouvrir sans cesse, sous divers aspects, les tissus et l’espace environnant ces derniers.

225 Hugues, Patrice, Le tissu entre le vivant et la conscience [en ligne], disponible sur : http://patrice.hugues.pagesperso-orange.fr/tisviva8.htm, consulté le 27/02/2017. 226 Figure 73.

227 Ici la transparence des noirs est figurée par l’ombre de la silhouette de l’ange. 228 Figure 74.

229 L’installation se situait dans une église de Colombes, lors d’une exposition d'Art textile présentée par La revue TEXTILE-ART (Driadi), Colombes, Textile-art-langage, 1979.

172 Figure 73

Un visage d’enfant photographié au travers de l’œuvre L’Ange noir et l’Ange à motifs étendus sur

173 Figure 74

Patrice Hugues, Les anges sur plusieurs voiles et tissus, 1978, installation, 5 à 6 modules de chacun 230/320 cm, tissus et voiles thermo-imprimés, collection des Musées d’Angers et fonds d’atelier,

174 Tout se joue, selon l’artiste, dans ces espaces de passages entre le corps et l’esprit :

« C’est bien entendu, vous l’aurez certainement noté que je suis soucieux d’une intégration enfin atteinte entre corps et esprit au point qu’on écarte tout dualisme ; lequel dualisme est toujours derrière soit des philosophies idéalistes soit des sentiments religieux qui ne me concernent absolument pas et ne me paraissent plus être d’urgence majeure. Donc entre corps et esprit tout ce qui est favorable à une intégration230. »

Une intégration : c’est bien cette idée qui est développée dans le travail d’installation de Patrice Hugues. En cela, chacun a son rôle à jouer dans la structure : aussi bien le spectateur/passant que les voiles comme parois transparentes et animées. Si nous prenons à titre de démonstration ce détail d’installation, nous comprenons que les voiles de l’artiste présentent de multiples chassés croisés entre les différentes figures231. En effet, sur cette image deux figures sont présentes : un ange de grande échelle tourné vers la droite, et un autre ange de taille réduite disposé dans le sens opposé. Dans l’image, on peut observer une source lumineuse naturelle qui éclaire l'ensemble. Elle provient d’une ouverture qui vient littéralement mettre en lumière, les jeux de transparence des voiles qui se superposent232. Cela a pour effet de créer un espace harmonieux et profond, où notre regard circule d’un ange à l’autre. La couleur magenta de la thermo-impression concourant à créer des formes denses et séduisantes. Un dialogue s'établit ici entre figures, formes, couleurs et motifs. Ces derniers étant présents ponctuellement sur les tissus. On les retrouve sous forme de croix assez espacées les unes des autres, mais également sous forme de petits motifs floraux à droite. Ils sont imprimés en bandeau rectangulaire imposant et accolés à la figure de l’ange magenta de grande échelle. De telle sorte que l’on peut recevoir l’illusion suivante : l’ange semble toucher de sa main ces petits motifs contenus dans une forme géométrique.

Cette installation nous éclaire sur l’idée suivante : l’artiste, en créant ses multiples parcours nous incite à nous perdre dans nos repères spatiaux habituels. Il nous amène à nous habituer à des repérages et des points de vue relatifs. Ainsi, les perceptions d’usage qui sont les nôtres s’estompent. Les parois et les murs ne sont plus solides et fixes, mais au contraire légers et mouvants. De même, l’espace en perspective géométrique est désormais habité par de multiples effets de trompe l’œil. Des réalisations capturées sur les tissus. L’espace d’exposition est donc ainsi brillamment repensé par la force du parcours. Se perdre et entrevoir des formes qui dialoguent avec des figures et des motifs, tel pourrait être un des leitmotivs de l’artiste.

230 Correspondance personnelle avec l’artiste, courriel daté du 10 janvier 2015. 231 Figure 75.

175 Figure 75

176 L’image suivanteest assez explicite en ce sens : elle nous aide à comprendre la manière dont les figures peuvent fusionner l’une avec l’autre, selon la manière dont on se place pour les observer233. En l’occurrence, sous cet angle de vue, l’assemblage des figures accompagnées de la lumière crée un effet de brume sur le voile et semble nous donner à voir un ensemble abstrait. En cela, il n’y a plus vraiment deux figures bien distinctes qui se chevauchent, mais davantage un conglomérat de couleurs et de traits qui entrent en symbiose pour créer un ensemble chimérique. En somme, un assemblage savant fait de la synthèse entre formes, couleurs, motifs et lumière. La transparence étant l’effet indispensable assurant la liaison entre les différents éléments de la composition. Pour le choix des figures, Patrice Hugues s’est directement inspiré ici de celle de L’Ange de l’Annonciation de Léonard de Vinci234.