• Aucun résultat trouvé

Gestes d’Aide et déclinaisons

Ces quelques images présentent elles aussi une œuvre comprenant la figure de Geste d’aide, thermo-imprimée sur deux voiles sombres, mais photographiée dans un contexte différent215. La double figure représente le même modèle, dans une position courbée vers le sol. La direction du corps indique que le personnage est en train de ramasser un linge blanc sur le sol à l’extérieur. C’est précisément cette action que Patrice Hugues capture et désigne par ce qu’il nomme lui-même, la série des Geste d’aide. Elle consiste à enregistrer en images des instants liés à la pratique quotidienne des tissus. De fait, ce qui fascine ici l’artiste, c’est la manière dont l’acte de saisir et d’étendre le linge à l’extérieur prend soudainement un aspect chorégraphique. De plus, ces images nous permettent également de comprendre la façon dont les deux voiles fonctionnent, pour créer de nouveau de la dynamique et du mouvement dans la réception de l’œuvre216. Le spectateur se déplaçant autour de l’œuvre peut ainsi avoir la sensation que cette double figure est un mouvement : tantôt elle se déplace de droite à gauche, tantôt elle semble s’éloigner et se rapprocher de nous, etc.

215 Figures 67 à 70, photographiées dans le fonds d’atelier de l’artiste à Angers en octobre 2016. 216 Figures 67 à 70.

162 Figure 67

Patrice Hugues, Geste d’Aide, deux voiles thermo-imprimés, 1990. Image réalisée dans le fond d’atelier de l’artiste, Angers, octobre 2016.

163 Figure 68

Patrice Hugues, Geste d’Aide, deux voiles thermo-imprimés, 1990. Image réalisée dans le fond d’atelier de l’artiste, Angers, octobre 2016.

164 Figure 69

Patrice Hugues, Geste d’Aide, deux voiles thermo-imprimés, 1990. Image réalisée dans le fond d’atelier de l’artiste, Angers, octobre 2016.

165 Figure 70

Patrice Hugues, Geste d’Aide, deux voiles thermo-imprimés, 1990. Image réalisée dans le fond d’atelier de l’artiste, Angers, octobre 2016.

166 Pour ce qui est de l’œuvre avec motifs floraux217, bien qu’il s'agisse d’éléments à la base sans correspondance formelle, les motifs qui bordent le haut de l’image rappellent les feuillages de l’image en noir et blanc – tout comme la veste, de la même tonalité que la photographie et qui produit un effet de profondeur accentué. L’image apparaît comme une sorte de brèche, une ouverture aux contours incertains (comme réalisés à la main). L’on retrouve ainsi l’idée d’une trouée au cœur du tissu, ici en trompe l’œil, comme ce fut le cas pour les Eurydice en ovale218. Une composition bien singulière et propre à l’artiste, qui se joue de nos perceptions et de nos points de vue.

Mais au-delà de ces exemples appartenant plutôt à l’univers des surfaces planes, penchons-nous à présent sur un exemple d’œuvre monumentale et extrêmement volumique219. Cette image est une capture de vidéo d’exposition présentant deux ensembles tout à fait dimensionnels. Il s’agit de deux structures en métal volumiques sur lesquelles l’artiste a installé deux voiles thermo-imprimés. On distingue sur la première structure deux voiles présentant une figure de Geste d’aide – dans une posture inclinée vers le sol et ramassant un linge – que l’on retrouvera dans la seconde grande partie de notre étude. L’autre structure, que l’on peut entrevoir dans le fond de l’image, présente une version de la même figure : cependant, l’image a été thermo-imprimée et inversée. Ainsi, le spectateur de cet ensemble imposant se retrouve face à deux blocs de métal et de voiles en transparence. Patrice Hugues créer une structure qui s’impose dans l’espace. La place laissée ici à l’entre-deux des voiles est très importante ; en effet, l’air a tout le loisir de participer et de circuler au creux des structures. Ainsi, en observant l’installation au-devant de l’image, l’on remarque qu’il existe un important vide entre le devant et l’arrière de la structure métallique. Ce vide, qui est un entre-deux, participe activement à cette création. C’est ce qui est à la fois fascinant et déroutant dans la création de Patrice Hugues ; ce dernier parvient à créer avec du vide des œuvres poétiques qui font sens et qui impactent fortement le spectateur. De ce fait, nous pouvons remarquer que l’espace entre-deux de cette structure en métal n’aurait pas le même effet visuel et sensationnel, si les deux voiles avaient été directement superposés l’un sur l’autre220. Pour illustrer cela, reprenons la figure de Geste d’aide sur les voiles bleu cobalt…la différence n’est-elle pas de taille ? Nos perceptions ne sont pas sollicitées de la même manière d’une réalisation à l’autre. Pour les voiles bleu cobalt, le regard n’a pas le loisir d’appréhender une structure en volume, laissant une large place au vide221.

217 Figure 66.

218 Voir figures 36 et 37.

219Figure 71 : Capture d’écran, vidéo personnelle de l’artiste non datée.

220 Via cette structure, la saisie de l’espace est différente des voiles et tissus simplement superposés. 221 Pour le voile bleu cobalt, l’entre-deux du dédoublement est seulement de 1 à 15 cm.

167 Tandis qu’avec cette dernière réalisation, au contraire, c’est le vide qui majoritairement engendre le volume. Cela étant dit, ce vide n’en est pas réellement un puisqu’il est surtout un entre-deux, un lieu de passage essentiel à la juste appréhension de l’œuvre dans sa globalité.

168 Figure 71

Patrice Hugues, Double figure, Geste d’aide, 1990, thermo-impressions sur voiles noirs, deux voiles thermo-imprimés, structure cubique en métal, 120/90/70 cm, fonds d’atelier, Angers.

169

Chapitre 4 : les autres influences

Intéressons-nous à présent à d’autres représentations de l’artiste, qui elles aussi font usage de la double figure. La série des Anges réunie par exemple un panel de réalisations monumentales, qui présentent de nombreuses figures entre transparence et opacité222. Ici présentée sans dédoublement, la figure de l’ange est un personnage représenté dans un ample drapé223. Il tient un rameau de lys près de son visage et son corps est rattaché à des ailes semi déployées. Cette œuvre est une composition associant trois éléments : un voile blanc semi transparent (surtout dans la partie noire), un autre tissu blanc à motifs, et enfin quatre sangles élastiques. Le tissu blanc à motifs est accroché à l’arrière des sangles, tandis que le voile comprenant l’ange et les motifs en croix est suspendu au-dessus des sangles. Cela a pour conséquence de produire une œuvre composite au dispositif singulier. Notons ici l’importance de la transparence des noirs, représentant la silhouette de l’ange, qui laisse complètement transparaître les sangles. Ce sont donc ici les sangles qui produisent de l’entre-deux entre les deux tissus thermo-imprimés.

Cela a pour effet de produire un ensemble où la figure de l’ange gagne en extension dans la profondeur. Elle en deviendrait presque volumique. Ceci tient au fait que les sangles produisent un espace creux entre l’ange et les motifs du fond. Ainsi, tout comme dans l’exemple de la structure métallique évoqué en amont, c’est le passage de l’entre-deux qui participe activement à faire œuvre, selon le plasticien :

« Il s’agit de voir quel rôle le tissu peut jouer dans cette recherche de traits d’union là où ils manquent224. »

Cette citation précise assez justement, quels rôles unificateurs tiennent ces espaces entre deux tissus, dans les réalisations de Patrice Hugues. Ce ne sont ni plus ni moins que des traits d’union qui participent à la globalité des créations. Ils ne sont pas le fruit d’une manipulation hasardeuse, mais bien au contraire, la synthèse d’une réflexion profonde autour des pouvoirs agissants du tissu et des espaces de respiration qui les animent.

222 La série des Anges a été réalisée dans les années 1980. 223 Figure 72.

224 Hugues, Patrice, Le tissu entre le vivant et la conscience [en ligne], disponible sur : http://patrice.hugues.pagesperso-orange.fr/tisviva8.htm, consulté le 27/02/2017.

170 Figure 72

Patrice Hugues, L’Ange noir et l’Ange à motifs étendus sur quatre sangles, 1978-1984, voile et tissu thermo-imprimés, quatre sangles en cuir, 280/160/90 cm, collection des Musées d’Angers.

171 Avec l’aide des tissus, l’artiste invente de multiples passages :

« Des passages par le tissu peuvent être ouverts ou se trouver au moins suggérés, certainement plus faciles à établir qu’en ces autres domaines, des passages qui peuvent avoir une valeur modélisatrice. Le tissu peut ouvrir la voie à des niveaux de cohérence que l’on n’imagine pas, plus complètement en prise avec le réel, à d’autres niveaux d’intégration de la vie, de l’abstrait et du concret225. »

Nous l’avions vu auparavant, d’autres dimensions s’offraient à notre perception dans les œuvres de Patrice Hugues. Dans l’extrait ci-dessus, celui-ci écrit qu’il s’agirait également d’autres niveaux d’intégration. Mais de quelle « intégration » est-il question ?