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Chapitre 2 : Le Paléogène ………………………………………………………………..…..2 1

2.2. Contexte climatique global

2.2.2. Particularités climatiques du Paléogène

a. Températures moyennes

Une des principales particularités du climat au Paléogène, durant la période précédant la limite Eocène – Oligocène concerne les températures moyennes annuelles (Mean Annual Temperature, MAT). Celles-ci étaient nettement plus élevées qu’actuellement et ce, dans tous les environnements. En domaine océanique, l’analyse géochimique des foraminifères planctoniques montre que les températures océaniques moyennes de surface (Sea Suface Temperatures, SST) durant l’Eocène inférieur étaient d’environ 15°C (Zachos et al., 1994), diminuant d’environ 10°C au début de l’Oligocène. De même, les températures des eaux de fond des océans étaient beaucoup plus élevées qu’actuellement avec des valeurs comprises entre 10 et 15°C, la valeur actuelle étant comprise entre 0 et 2°C (Zachos et al., 2001, 2008 ; Figure 2-2).

La même tendance est observée pour le domaine littoral (Tivollier et Létolle, 1968 ; Buchardt, 1978 ; Kobashi et al., 2001 ; Huyghe, 2006 ; Huyghe et al., 2006 ; Lartaud, 2007), et pour le domaine continental (Greenwood et Wing, 1995 ; Mosbrugger et al., 2005) avec des températures moyennes supérieures à l’actuel, de l’ordre de 25°C au Lutétien.

Figure 2-3 : Gradient latitudinal de température à l’Eocène inférieur et moyen comparé au gradient thermique actuel (Greenwood et Wing, 1995).

b. Gradient latitudinal de températures

Une des caractéristiques majeures du climat au début du Cénozoïque est la distribution latitudinale des températures. En effet, il semble que le gradient latitudinal des températures ait été très peu marqué par rapport à ce que l’on connaît aujourd’hui, aussi bien en domaine océanique, littoral que continental (Zachos et al., 1994 ; Greenwood et Wing, 1995 ; Andreasson et Schmitz, 2000). Cela signifie que les températures aux hautes latitudes étaient beaucoup plus élevées qu’actuellement, avec en revanche des températures à l’équateur peu différentes de l’actuel (Figure 2-3).

c. Données de saisonnalité

La saisonnalité est une composante très importante du climat, puisqu’elle exprime l’écart de température entre l’été et l’hiver. L’analyse à haute résolution de coquilles de mollusques (Turritelles) datées du Lutétien montre que dans le bassin de Paris, le gradient saisonnier était équivalent à l’actuel (∆=14°C), mais avec des températures moyennes plus chaudes de 10°C (Figure 2-4, Andreasson et Schmitz, 1996). En revanche, dans le Golfe du Mexique, le gradient était plus réduit (∆= 8-9°C), avec des températures d’été équivalentes à l’actuel au même endroit et des températures d’hiver plus chaudes de 7 à 8°C (Andreasson et Schmitz, 1996). Cette différence de saisonnalité est expliquée par l’influence de courants froids actuels provenant de l’Arctique.

2.2.3. « Aberrations » climatiques au Paléogène

L’évolution climatique au Paléogène est ponctuée par plusieurs brèves anomalies climatiques (~103 à 105 années) qui constituent des ruptures majeures dans l’évolution climatique long terme, constituant ainsi des « aberrations climatiques » par rapport à l’évolution du climat sur le long-terme (Zachos et al., 2001).

a. le PETM (Paléocène – Eocène Thermal Maximum)

La première anomalie climatique qu’ait connu le Paléogène s’est produite à la limite Paléocène – Eocène (~ 55 Ma, Zachos et al., 2008, Figure 2-5). Celle-ci intervient pendant la phase de réchauffement initiée depuis le Crétacé supérieur, juste avant le paroxysme de l’EECO (Figure 2-2) et est caractérisée par une diminution globale et ponctuelle (∼ 200000 ans) du δ18O (-1,5‰) et du δ13C (-2,5‰). La brusque chute du δ13C a été interprétée comme étant le résultat de la déstabilisation d’hydrates de méthane (clathrates, Dickens et al., 1995), induisant un relargage de gaz à effet de serre (CH4 et CO2) estimé entre 2000 GtC (Dickens et al., 1997) et 4500 GtC (Zachos et al., 2005). La diminution contemporaine du δ18O correspondrait quant à elle à une augmentation des températures, de l’ordre de 5°C pour les eaux tropicales et 8°C aux hautes latitudes en ce qui concerne les températures de surface (Thomas et al., 2002 ; Zachos et al., 2003) et de l’ordre de 3°C pour les eaux de fond (Kennett et Stott, 1991 ; Le Callonnec, 1998 ; Norris et Röhl, 1999 ; Dickens, 2000 ; Zachos et al., 2001).

La cause de l’événement clathrate reste quant à elle sujette à controverse et de nombreux mécanismes ont été proposés, comme l’impact d’un objet extra terrestre (Kent et al., 2003), l’influence d’un volcanisme éruptif (Bralower et al., 1997 ; Schmitz et al., 2004), une réorganisation courantologique (Katz et al., 2001) ou encore le franchissement de l’effet de seuil de leurs conditions de stabilité en raison d’une augmentation progressive des températures (Thomas et Shackleton, 1996 ; Sluijs et al., 2007).

Ce maximum thermique de la limite Paléocène – Eocène (Paleocene-Eocene Thermal Maximum, PETM) est un marqueur stratigraphique fort, notamment du fait de sa signature caractéristique en ce qui concerne le rapport isotopique du carbone, mais aussi parce que la modification paléoenvironnementale contemporaine serait à l’origine d’une importante extinction des foraminifères benthiques (Benthic Extinction Event, BEE, Kennett et Stott, 1991). Une autre conséquence de la libération d’hydrates de méthane et donc de gaz à effet de serre, serait d’avoir induit une acidification des océans et donc une modification de l’équilibre des carbonates, qui aurait conduit elle-même à une forte diminution du taux de CaCO3 des carbonates pélagiques pendant toute la durée de l’événement (Figure 2-5, Zachos et al., 2008). Un second optimum climatique a récemment été identifié environ 2 Ma après le PETM, ayant les mêmes caractéristiques que ce dernier, mais avec une intensité moindre (Lourens et al., 2005).

b. L’optimum climatique de l’Eocène moyen

Le second événement climatique marquant du Paléogène s’est produit vers 40 Ma, à proximité de la limite entre le Lutétien et le Bartonien, et correspond à l’optimum climatique de l’Eocène moyen (Middle Eocene Climatic Optimum, MECO, Bohaty et Zachos, 2003). Cet événement, mis en évidence récemment, a tout d’abord été uniquement identifié dans l’hémisphère Sud, à partir de forages océaniques localisés autour de l’Antarctique (Bohaty et Zachos, 2003), puis dans l’océan Atlantique central (Sexton et al., 2006), en Europe (Jovane et al., 2007) et enfin dans d’autres sites océaniques de l’Atlantique central et du Pacifique (Villa et al., 2008 ; Bohaty et al., 2009). En ce qui concerne le milieu littoral, Ivany et al. (2008) ont mis en évidence l’enregistrement du MECO sur les côtes antarctiques.

Le MECO est caractérisé par une brève (500000 ans) diminution du δ18O des carbonates, correspondant à un réchauffement de 4 à 6°C pour les eaux de fond (Figure 2-6). Il est accompagné d’une augmentation du δ13C ce qui va à l’encontre d’un réchauffement

causé par la déstabilisation d’hydrates de méthane, ces derniers ayant un δ13C très négatif (Kvenvolden, 1996). La cause de ce réchauffement demeure donc encore énigmatique, même si la diminution du taux de carbonate dans les sédiments pélagiques et la remontée du niveau de compensation des carbonates supportent l’idée d’une augmentation de la concentration en gaz à effet de serre atmosphérique (Bohaty et al., 2009). Une perturbation du cycle global du carbone est en tout cas envisagée.

Figure 2-6 : Evolution du δ18O et du δ13

C des foraminifères benthiques et planctoniques et du taux de carbonates dans les sédiments pélagiques durant l’optimum climatique de l’Eocene moyen (~41 Ma, Bohaty et al., 2009).

entre les zones NP15 et NP17 selon les auteurs (Bohaty et Zachos, 2003 ; Sexton et al., 2006 ; Jovane et al., 2007 ; Ivany et al., 2008 ; Villa et al., 2008 ; Bohaty et al., 2009 ; Figure 2-7). Il semble cependant que les travaux les plus récents s’accordent sur le fait que le MECO ait dû se produire durant la première partie de la zone NP17, c’est-à-dire vers 40 Ma.

Figure 2-7 : Comparaison des âges attribués à l’Optimum climatique de l’Eocène moyen, d’après (1) Bohaty et Zachos, 2003, (2) Sexton et al., 2006, (3) Jovane et al., 2007, (4) Villa et al., 2008, (5) Ivany et al., 2008 et (6) Bohaty et al., 2009.

c. La limite Eocène – Oligocène

La plus grande rupture climatique du Cénozoïque s’est produite à la limite Eocène – Oligocène, c’est-à-dire il y a environ 34 Ma. Cette limite est caractérisée par une augmentation d’environ 1,4‰ du δ18O et 0,8‰ du δ13C des foraminifères benthiques en 350000 ans (Figure 2-8). L’augmentation du δ18O s’est faite en deux étapes, avec une première hausse de 0,6‰ en 300.000 ans, suivie par une seconde de 0,8‰ en 50000 ans. La rapidité et l’intensité de cet accident isotopique est accompagné par l’apparition de blocs erratiques dans les sédiments océaniques bordant l’Antarctique, signifiant l’existence de glaces contemporaines en quantité significative sur ce continent (Zachos et al., 1993).

Des estimations ont permis de quantifier la part relative de l’influence de l’effet glaciaire (i.e. la quantité d’eau stockée sous forme de glace) et celle de la diminution des

températures sur le δ18O des carbonates (Zachos et al., 1996). Il a ainsi été reconstitué que sur l’augmentation totale de 1,4‰, 0,5‰ peuvent être attribués à l’effet glaciaire et le reste à la diminution de température, ce qui équivaut à un refroidissement des eaux de fond de 3 à 4°C (Zachos et al., 1996). De plus, il a été estimé que le volume de glace existant au maximum de la glaciation était à peu près équivalent au volume de glace actuel en Antarctique (Lear et al., 2000 ; Coxall et al., 2005).

Figure 2-8 : Evolution du δ18O et du δ13

C des foraminifères benthiques profonds autour de la limite Eocène – Oligocène (Zachos et al., 1996).

Des analyses des variations saisonnières de températures mesurées sur des otolithes de poissons et sur des mollusques ont montré qu’en plus d’une diminution des températures moyennes annuelles, il s’est produit une augmentation de la variation saisonnière des

Enfin, cette glaciation a eu un impact global sur la profondeur de compensation des carbonates (Carbonate Compensation Depth, CCD), induite par la combinaison de plusieurs facteurs. Tout d’abord, une glaciation entraîne une diminution du niveau marin, qui se répercute d’autant sur la profondeur de la CCD. Mais aussi, une baisse du niveau marin diminue l’aire disponible pour la production de carbonates en domaine de plate-forme. De plus, les carbonates de plate-forme précédemment déposés sont exposés aux processus d’érosion suite à la chute eustatique. Ces deux derniers facteurs induisent un transfert de la production carbonatée et des carbonates érodés vers le domaine océanique profond. En augmentant ainsi la concentration en CaCO3 dans les océans, la CCD s’approfondit d’autant plus.

D’un point de vue paléontologique, la limite Eocène – Oligocène est marquée par un grand nombre de disparitions d’espèces (Prothero, 1994), aussi bien en domaine marin qu’en domaine continental (Cavelier, 1986). Cette « Grande Coupure » a été mise en évidence pour la première fois par Stehlin (1909) chez les mammifères des bassins européens et plus récemment par Brunet (1979) et Cavelier (1979). Celle-ci est également bien marquée chez les mollusques (Ivany et al., 2003 ; Merle, 2008) et chez les micro-organismes marins (Cavelier et al., 1981). La flore n’a pas non plus été épargnée par cette rupture climatique (Reid et Chandler, 1933 ; Châteauneuf, 1980). Au contraire, certains organismes tels que les charophytes n’ont pas été affectés par la crise, mais ont au contraire suivi une évolution graduelle (Riveline, 1986).