• Aucun résultat trouvé

Les facteurs de variation du rapport isotopique de l’oxygène dans les

Chapitre 4 : Reconstitutions paléoclimatiques au Paléogène : apports de la géochimie

4.1.2 Les facteurs de variation du rapport isotopique de l’oxygène dans les

a. La température

Les travaux précurseurs d’Urey (1947) ont montré que l’incorporation des isotopes de l’oxygène dans les carbonates était dépendante de leur température de précipitation, que ceux-ci soient d’origine biogène ou non. Ce signal peut donc être utilisé comme traceur des conditions de températures. Ainsi, Epstein et al. (1953) ont proposé une première équation reliant la température, le δ18O de la calcite et celui de la solution parente à partir de l’analyse de coquilles de mollusques élevés dans un milieu dont les conditions étaient entièrement contrôlées. Cette équation a, par la suite, été complétée par Anderson et Arthur (1983) :

T (°C) = 16 – 4,14 (δ18Oc - δ18Ow) + 0,13 * (δ18Oc - δ18Ow)2

avec δ18Ow correspondant à la composition isotopique de l’eau à partir de laquelle a été minéralisé le carbonate (en ‰ SMOW) et δ18Oc à la composition isotopique du carbonate (en ‰ PDB). Selon cette équation, une augmentation de la température engendrera une diminution du δ18O des carbonates et inversement.

Cependant, la reconstitution de paléotempératures fiables requière plusieurs conditions :

(1) le matériel fossile doit avoir conservé sa composition isotopique originelle. C’est pourquoi, il est indispensable de contrôler l’impact de la diagenèse sur chaque fossile.

(2) il est nécessaire de savoir si le carbonate a été minéralisé en équilibre avec l’eau.

b. Composition isotopique de la solution parente

Comme nous venons de voir, le δ18O de l’eau est un facteur de contrôle prépondérant sur le rapport isotopique des carbonates. En ce qui concerne l’eau de mer, de nombreux travaux ont montré qu’il existe une relation entre la salinité et le δ18Ow (Epstein et Mayeda, 1953 ; Craig et Gordon, 1965 ; Fairbanks et al., 1997 ; Kirby et al., 1998 ; Pierre, 1999) en raison du fractionnement isotopique lors du passage entre les phases solide – liquide – gaz. Par conséquent, le rapport évaporation – précipitation aura un impact sur la composition isotopique de l’eau, le δ18Ow augmentant lorsque l’évaporation s’intensifie et diminuant quand la salinité chute. Ainsi, nous avons utilisé dans ce travail l’équation établie par Pierre (1999), reliant le δ18Ow et la salinité, valable pour la Mer Méditerranée actuelle :

δ18Ow (‰ SMOW) = 0,22 * S (‰) – 7,30 où S est la salinité

Nous avons choisi d’utiliser cette équation car la mer Méditerranée se trouve actuellement à la même latitude que le Bassin de Paris au Paléogène et présente une morphologie similaire avec une forme de bassin fermé.

La composition isotopique de l’eau de mer est également fonction du volume de glace présent sur Terre. En effet, à cause des effets cinétiques lors du passage entre les phases liquide et solide, le stockage d’eau sous forme de glace va avoir tendance à diminuer le δ18O des océans. Actuellement, le δ18Ow moyen des océans sur Terre est de 0‰. Mais en période totalement non glaciaire, Shackleton et Kennett (1975) ont estimé un δ18Ow = -1,2‰ (VPDB), c’est-à-dire -1‰ selon le standard SMOW. Une estimation du volume de glace et une correction de la valeur du δ18Ow seront donc nécessaires pour l’estimation des paléotempératures. Nous nous sommes fondé dans cette étude sur les valeurs proposées par Lear et al. (2000) qui estiment un effet glaciaire de plus en plus marqué depuis l’Eocène moyen.

En milieu continental, le rapport isotopique de l’eau est également soumis à de fortes variations, notamment en réponse au bilan évaporation – précipitation. Le rapport isotopique des précipitations est lui même soumis à des fluctuations à cause de l’influence de l’altitude et

d’un effet de continentalité (Hoefs, 2009). Ainsi, plus l’altitude augmente, plus le δ18O des précipitation aura tendance à être négatif.

c. La minéralogie

Parmis les différents polymorphes du carbonate de calcium existant dans la nature, plusieurs peuvent être précipités par les organismes vivants. Nous avons présenté ci-dessus l’équation reliant le δ18O des fossiles calcitiques à la température. Mais de nombreux organismes précipitent leur carbonate en aragonite. Carlson (1984) a mis en évidence que la différence de fréquence de vibration interne entre les structures cristallographiques de l’aragonite et de la calcite est susceptible d’impliquer une modification dans l’incorporation des isotopes stables de l’oxygène et du carbone. Tarutani et al. (1969) ont évalué un enrichissement isotopique en 18O de 0,6‰ dans l’aragonite par rapport à la calcite. Dès lors, Grossman et Ku (1986) ont établi une équation de paléotempérature pour l’aragonite biogène à partir de l’analyse de foraminifères et de mollusques aragonitiques actuels :

T (°C)= 20,6 – 4,34 (δ18Oa - δ18Ow)

avec δ18Oa correspondant au rapport isotopique de l’oxygène de la coquille aragonitique (en ‰ PDB) et δ18Ow au rapport isotopique de l’oxygène de l’eau (en ‰ SMOW).

d. Effets chimiques

Il existe un fractionnement sur le δ18O en fonction de l’alcalinité des eaux (Kim et O’Neil, 1997). Des études actuelles sur des eaux littorales ont montré que le pH présentait une très faible variabilité. Il n’apparaît donc pas suffisamment discriminant. Au Paléogène, une

pCO2 plus élevée impliquait un pH de l’eau de mer légèrement plus basique et plus fluctuant compris entre 7,4 et 8,1 (Pearson et Palmer, 2000). Il est donc possible qu’un effet de fractionnement dû au pH puisse être enregistré, mais sa gamme de variation semble très largement inférieure à celle enregistrée lors de modifications de la température. Nous allons

e. Effets cinétiques

Les variations du taux de croissance des organismes ont été évoquées comme pouvant être responsables d’un biais sur l’enregistrement du δ18O. Cet effet dit « cinétique » induit l’incorporation préférentielle des isotopes légers de l’oxygène dans les carbonates, ce qui implique une diminution du δ18O au cours de la croissance (Turner, 1982 ; Wefer et Berger, 1991).

f. Effets métaboliques

Wefer (1985) et Wefer et Berger (1991) ont montré à partir de l’étude de différents producteurs carbonatés que la valeur isotopique des carbonates biogènes n’est pas toujours en équilibre avec celle de la solution parente à partir de laquelle ils ont été minéralisés. Ce fractionnement isotopique ou « effet vital » est spécifique à chaque espèce biominéralisatrice (Wefer et Berger, 1991) et peut être la conséquence de plusieurs facteurs qui sont la variabilité génétique, l’impact de l’activité physiologique, du taux de croissance ou de la photosynthèse. Il a été démontré que ce déséquilibre est très réduit voire inexistant pour les mollusques (Wefer et berger, 1991), mais peut être assez important chez certains groupes comme les dasycladales (Wefer et Berger, 1991 ; Lee et Carpenter, 2001) et les characées (Huon et Mojon, 1994 ; Jones et al., 1996), jusqu’à ±1‰.

4.1.3 Les facteurs de variation du rapport isotopique du carbone des carbonates

a. La température ?

La possibilité d’un fractionnement thermodépendant sur le δ13C a été proposé par Grossman et Ku (1986) à partir de l’analyse de coquilles de mollusques et de foraminifères. Cependant, Romanek et al. (1992) ont montré qu’il n’y avait pas de relation entre le δ13C et la température pour l’aragonite et la calcite synthétique, du moins entre 10° et 40°C.

b. Composition isotopique de la solution parente

De nombreux auteurs (Khim et al., 2000, Surge et al., 2001, 2003, McConnaughey et Gillikin, 2008) ont montré qu’il existait une relation entre le δ13C de coquilles de mollusques et le δ13C du carbone inorganique dissous (CID) dans l’eau de mer. La complexité est que la composition isotopique du carbone de l’eau de mer est fonction de nombreux paramètres.

Tout d’abord, il a été montré qu’il existait une relation entre le δ13CCID et la productivité primaire (Park et Epstein, 1960, Killingley et Berger, 1979, Arthur et al., 1983, Hellings et al., 2001). En effet, lors de la photosynthèse, le 12C du CO2 dissous de l’eau de mer est préférentiellement incorporé par la microflore, ce qui induit une diminution de sa concentration dans l’eau de mer. Cela conduit ainsi à une augmentation du δ13CCID.

Les processus de minéralisation de la matière organique jouent également un rôle sur la valeur du δ13CCID (Arthur et al., 1983, Purton et Brasier, 1997, Savoye et al., 2003).Ceci fonctionne de manière inverse par rapport à ce que nous venons de voir : la dégradation de la matière organique induit un relargage de CO2 enrichi en 12C dans l’eau de mer, diminuant ainsi le δ13CDIC. De ce fait, les périodes suivant les blooms phytoplanctoniques peuvent être accompagnées par de brusques diminutions du δ13CCID.

L’érosion, continentale et océanique, participe également à la variation de la composition isotopique du CID (Salomons et Mook, 1986, Dettman et al., 1999, Surge et al., 2001). Surge et al. (2001) et Gillikin et al. (2006) décrivent une relation entre la salinité et le δ13CCID. Il ne semble cependant pas exister de relation linéaire stricte entre le δ13CCID et la salinité, mais la nature des produits d’altération semble avoir une influence sur le δ13CCID (Dettman et al., 1999).

Les variations de la teneur en CO2 atmosphérique sont également susceptibles de faire diminuer le δ13C, ainsi que celui du CID marin et de la matière organique phytoplanctonique (Bentaleb et Fontugne, 1996, Cullen et al., 2001). Enfin, Zhang et al. (1995) montrent une influence de la température sur la composition du CID en modifiant l’équilibre des effets de fractionnement entre bicarbonate, carbonate et CO2 gazeux. Une augmentation de température entraîne une diminution du fractionnement HCO3- - CO2 conduisant à l’augmentation relative

c. La minéralogie

Comme pour l’oxygène, un décalage est observée entre la minéralogie calcitique et aragonitique sur l’incorporation des isotopes du carbone. Un fractionnement de +1,7‰ a été mis en évidence en faveur de l’aragonite par rapport à la calcite pour des températures de formation comprises entre 10°C et 40°C par Romanek et al. (1992).

d. Effets cinétiques

Certains auteurs (Turner, 1982 ; Wefer et Berger, 1991) ont évoqué la possibilité de l’influence de la vitesse de croissance sur le δ13C des mollusques. A cause de cet effet cinétique, les isotopes légers (12C) sont préférentiellement incorporés dans les carbonates par rapport au 13C (McConnaughey, 1989, Mitchel et al., 1994).

e. Effet vital

Les travaux de Wefer (1985) et Wefer et Berger (1991) ont également montré que selon le groupe étudié, il pouvait exister des déséquilibres forts entre la valeur isotopique de la solution parente et celui des carbonates précipités. Cet « effet vital » peut être lié à plusieurs facteurs, comme une variabilité génétique, un impact de l’activité physiologique, du taux de croissance ou de la photosynthèse.

f. Rôle du régime trophique

Peu d’études portent sur la comparaison du δ13C des parties minéralisées d’organismes ayant un régime trophique différent. Latal et al. (2006) ont pourtant décrit l’influence de ce paramètre sur le δ13C de coquilles de gastéropodes ayant un mode de nutrition différent. Quelques études récentes ont cependant tenté de quantifier l’influence de la nourriture sur le δ13C d’un même organisme (Vander Putten et al., 2000, Lartaud, 2007, Lartaud et al., 2009).