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Partager dans le couple ou partager sa vie?

Chapitre 6 Sens et expériences : amours adolescents, amours matures

6.2 La conjugalité : récits de la quotidienneté

6.2.4 Partager dans le couple ou partager sa vie?

L’âge est un élément qui a été mobilisé par les participant∙e∙s pour expliquer les décisions prises par rapport à leur relation conjugale actuelle. Tel que nous l’avons vu au début de ce chapitre, certaines personnes insistent sur le fait qu’en vieillissant elles en sont venues à se connaître davantage et savoir ce qu’elles veulent ou non dans une relation de couple. L’idée voulant que vieillir puisse amener à l’accumulation d’un certain savoir sur soi est partagée par les participant∙e∙s. Ainsi, lorsqu’il est question de prendre des décisions concernant leur relation conjugale, les partenaires rencontré∙e∙s se disent davantage en mesure de s’affirmer que par le passé. Plusieurs personnes parlent aussi du cheminement qu’elles ont dû faire pour en arriver à cette plus grande connaissance de leurs besoins et de leurs limites : « Je suis rendu que je peux travailler sur moi pis là où j’en suis rendu, je suis plus près d’être en équilibre » (Marco). Toutefois, il me semble nécessaire de préciser que la vieillesse n’est pas toujours garante d’une plus grande connaissance de soi; il est nécessaire que les individus soient attentifs à leurs expériences passées pour en tirer des « leçons » (Membrado, 2010).

Dans son étude sur la transition à la retraite au sein de couple de longue date, Caradec (1996a) évoque la nécessité pour les partenaires de devoir « trouver la bonne distance ». Cependant, il est plus juste de parler de retrouver la bonne distance (les conjoint·e·s étant dans des relations longues au moment d’arriver à « l’âge de la retraite »). Cette précision se comprend d’autant mieux que les partenaires de couples formés dans la soixantaine doivent eux trouver

cette distance. Ils doivent établir tout le fondement et les arrangements de leur relation conjugale.

Contrairement aux expériences de l’entrée en couple au début de l’âge adulte, les partenaires ont des « bagages » plus nombreux et potentiellement plus volumineux, tant au niveau émotionnel que matériel et relationnel :

Parce que comme Brigitte elle a ses enfants et petits-enfants, ce sont ses grands amours, si je suis un gars égoïste, ben là regarde, je ne peux pas l’empêcher, ça ne peut pas marcher cette affaire-là. Comme moi elle connaît mes voyages sportifs, mais elle sait que ses voyages-là elle ne peut pas les faire elle, t’sais on va en faire ensemble des voyages, on en parle […]. Quand tu arrives à 60 ans, tu as des habitudes. Tu ne peux pas tout chambouler ça, si tu veux être chamboulé parce que tu l’aimes, ben il va arriver un problème un moment donné. Tu ne peux pas faire autrement je pense. En tout cas, c’est ma philosophie à moi. - Pierre-Paul

Les discussions et les choix concernant la mise en couple et plus largement le déploiement de la relation conjugale sont nombreuses et variées, mais ne s’appliquent pas à tous les couples de la même manière. Les prises de décision surviennent à des moments différents. De plus, des décisions ne se poseront peut-être jamais dans certains couples. Par exemple, Didier, qui est en couple depuis environ dix ans avec sa partenaire actuelle, dit qu’il n’a jamais été question d’emménager ensemble. Mais, parmi les participant·e·s qui sont dans des couples en VCCS, Didier est le seul33 qui dit ne jamais avoir eu de discussion sur cette question dans son couple. Il donc est clair que les trajectoires conjugales ne sont pas déterminées par la durée de la relation.

Au sein d’un couple, les partenaires ont des intérêts, des attentes, des volontés qui ne sont pas nécessairement les mêmes, pouvant potentiellement entrer en conflit. Toutefois, nul besoin qu’un conflit survienne pour que les partenaires doivent s’ajuster l’un·e à l’autre. Dans un couple, les divergences entre les partenaires vont les amener à tenter de trouver une solution mutuellement désirée. Il est à noter que les divergences peuvent se situer à un niveau plus large que la dynamique relationnelle. La conjugalité peut être source de « tension dialectique entre individualisme et fusion » (Kellerhals, Widmer et Levy, 1982). Comme présenté au premier

chapitre, le couple contemporain peut être source de contradictions pour l’individu qui est simultanément à la recherche d’autonomie personnelle d’intimité conjugale.

Par ailleurs, comme nous l’avons vu dans la revue de littérature, l’union libre est devenue un mode de conjugalité légitime au Québec, particulièrement chez les jeunes. Et, cela s’est reflété dans l’expérience des personnes rencontrées. En effet, si la très grande majorité des participant·e·s ont adopté un mode de conjugalité traditionnel lors de l’entrée à l’âge adulte, se mariant avant même de cohabiter, ils et elles ont expérimenté des relations conjugales moins traditionnelles plus tard dans leurs trajectoires de vie. Ces changements de comportements s’expliquent notamment par le fait que les mentalités ne sont pas figées ; certaines personnes m’ont confié avoir été beaucoup plus religieuses et pratiquantes au moment de se marier qu’elles ne le sont aujourd’hui.

En ce qui concerne précisément la forme conjugale VCCS, il est peut-être plus difficile d’en évaluer la légitimité sociale puisque le phénomène est plus récent. Ce mode de conjugalité est d’ailleurs parfois confondu avec la période de fréquentation qui précède la formation du couple ou comme un mode de conjugalité plus juvénile. Néanmoins, les participant∙e∙s ayant adopté cette forme conjugale ne semblent pas avoir vécu de difficulté concernant la reconnaissance sociale de leur couple.