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Chapitre 6 Sens et expériences : amours adolescents, amours matures

6.3 Aimer, c’est être amoureux de son futur ?

6.3.3 Futur lointain

Pour la grande majorité des participant∙e∙s, leur première union était davantage dans cette idée d’un engagement « pour le meilleur et pour le pire », et ce, même quand les personnes se sont divorcées ou séparées. Ce qui n’est pas nécessairement le cas de leur relation actuelle. Comme présenté ci-haut, le futur ne fait pas toujours l’objet d’une projection détaillée, ni immuable. Toutefois, il est important de souligner que cela ne signifie pas nécessairement que les participant∙e∙s n’envisagent pas que leur relation puisse durée « jusqu’à la fin de leurs jours ». Le flou entourant l’avenir, loin d’indiquer un désintérêt ou un manque d’engagement, révèle plutôt le champ des possibles que se laissent ouvert les participant·e·s, tant pour eux et elles- mêmes, que pour le couple.

Les couples sont orientés vers des projets qui ne sont pas toujours réalisés dans l’immédiat, mais qui demeurent souvent flous. Plusieurs personnes ont parlé de leurs projets de voyage dont certains vont se concrétiser très prochainement, mais aussi de projets de voyage pour les années à venir :

Si ça continue à aller bien, j’espère, pis on pense que oui aussi là, il veut vendre pis venir s’installer ici vraiment et puis… Ouin. Pis on a des voyages là, des voyages de planifiés, […] puis, on espère juste qu’on va pouvoir être santé pis être ensemble le plus longtemps possible. [Rire] - Mathilde

Que ça dure, oui, Mathilde m’en parle souvent, elle veut, elle dit « maintenant que je t’ai trouvé, je ne veux pas te perdre » pis moi je sais comment ça peut être, ça peut venir vite, tellement vite. Ça on ne peut pas rien faire, notre plan d’avenir c’est de durer, de profiter. – Jules

L’idée de « finir sa vie ensemble » présente pour certaines personnes un souhait, même si cela n’est pas forcément un engagement « définitif » : « [c’est] pour être heureux, pour vivre la fin de notre vie de la manière la plus époustouflante possible » (Joséphine).

De plus, le souhait qu’ont plusieurs personnes que leur relation se poursuive durant toute la période de la vieillesse introduit l’idée que celle-ci pourrait être de longue durée – encore

pour de nombreuses années, voire plusieurs décennies. Avec humour, plusieurs personnes ont fait allusion à cette longévité inégalée :

Je faisais des farces avec elle [sa conjointe actuelle] au début pis encore des fois je lui dis « on va être bon encore un bon 28 ans ensemble pis ça va me donner 95, pis à 95, je ne saurai plus si tu es ma sœur ou ma blonde faque ». [Rire] - Pierre-Paul

Et à quand le mariage?

L’engagement fait l’objet d’une large attention lorsqu’il est question de la conjugalité. Bien que le mariage ait perdu en popularité, il demeure porteur d’une symbolique forte, et ce, même pour les couples en union libre (Belleau, 2011). Plusieurs études sur le veuvage aux âges avancés se sont intéressées aux désirs de remariage des veufs et des veuves qui n’étaient majoritairement pas en couple, mais qu’en est-il des personnes qui ont vivent l’expérience de remise en couple dans la soixantaine? Est-ce que les discours des participant·e·s se rapprochent de ceux identifiés dans l’étude de Caradec (2004)?

Dès les premières minutes de l’entretien, Yves raconte son état d’esprit lorsqu’il a eu envie de chercher à rencontrer quelqu’un après de nombreuses années de célibat :

Un moment donné j’ai voulu avoir le goût, c’est plus pour avoir une compagne de vie, quelqu’un avec qui partager ce qu’on vit et j’avais le goût à nouveau de devoir tenir compte de quelqu’un dans ma vie plutôt que d’avoir juste à m’occuper de moi.

Et plus tard, concernant son couple actuel, il dit : « Je compte aller dans cette aventure- là, moi mon souhait c’est qu’on vieillisse, qu’on finisse notre vie ensemble. C’est mon souhait. » Ainsi, lui et sa conjointe ont même déjà parlé de se marier. Bien qu’Yves et sa conjointe vivent aujourd’hui ensemble, il ne pense pas que leur couple en soit rendu-là, mais il espère qu’un jour peut-être ils feront le choix de se marier.

L’étude de Caradec (2004) présentée au troisième chapitre s’est penchée sur cette question et a dégagé une « logique de fidélité au mariage » qui s’exprime de deux façons différentes chez les couples formés après 50 ans. Dans les couples du corpus, cette logique de fidélité voulant que les partenaires ne se remarient pas par fidélité à leur défunt·e époux ou épouse n’a pas été observée.

Tandis que pour la majorité des couples, le mariage n’est pas réellement envisagé, ou cela sous la forme d’une plaisanterie avec leur partenaire pour signifier qu’ils et elles considèrent

leur relation actuelle comme tout autant importante. Certaines personnes affirment que cela n’a jamais été une option dans leur couple actuel et des personnes divorcées comme Didier et Brigitte insistent sur le fait que le mariage ne leur donne plus du tout envie. Néanmoins, après avoir dit : « Jamais de la vie! », Brigitte se ravise :

La seule affaire, mais ça c’est vraiment par intérêt, si mettons tsé pour les pensions là, mettons que demain matin… Ça ça pourrait être une raison que je me remarie, mettons que demain matin ils disent : « Bon ben Brigitte dans 6 mois tu vas mourir », ma pension pis toute je le marierais pour qu’il ait la moitié de mes affaires.

Le mariage semble pour la majorité des participant∙e∙s davantage associé à l’idée de former une famille ou encore à un rite de passage religieux. Pour nombreuses personnes rencontrées, le mariage n’est pas gage d’un engagement plus sérieux.

À nos âges, qu’est-ce que le mariage voudrait dire, je ne sais pas, on est engagé l’un envers l’autre, ça serait pour faire une grosse fête pis dire au monde entier qu’on s’aime, mais je pense que j’aimerais mieux un petit voyage plutôt que… - Joséphine

Aucun·e des participant∙e∙s ne sont marié∙e∙s puisque cela était un des critères de la recherche. Toutefois, seulement une minorité ont même abordé le sujet avec leur partenaire actuel∙le.

L’unique « exception » est le cas du couple de Jules et Mathilde, qui ne sont pas mariés, mais qui ont tout de même décidé de s’offrir des joncs. Mathilde est d’ailleurs l’unique participante qui n’a jamais été mariée. À ce sujet, elle dit : « Moi je n’ai jamais été mariée, même avec le père de mes enfants, ce n’était pas la mode là, quand j’étais jeune on ne se mariait pas. Ben surtout les gens qui étaient un petit peu rebelles là, moins conventionnels. » Au sujet de l’idée des joncs, Mathilde raconte d’ailleurs que Jules lui a offert une bague lors d’une fête de Noël devant des proches. Il ne demeure toutefois pas question d’un mariage officiel, ni même l’idée que cela symbolise réellement des fiançailles. Il reste que l’on peut y avoir une certaine symbolique d’une union profonde. Concernant les plans d’avenir pour son couple, Mathilde dit : « on espère juste qu’on va pouvoir être santé pis être ensemble le plus longtemps possible. ». Quant à Jules il dit :

Notre plan d’avenir c’est de durer, de profiter […]. Pis faut respecter l’autre. Pis le plan d’avenir c’est ça « prendre soins, take care », si tu prends soins, elle va prendre soins pis… C’est ça. Pis il ne faut pas s’oublier non plus, faut que ça soit égal, faut pas se perdre, faut rester soi, faut être là pour soi et pour l’autre, en tout cas…

Le futur, bien qu’incertain, est présent dans leur vision de leur couple même si les deux partenaires ne sont pas dans une logique du « pour le meilleur et pour le pire » autrefois associée au mariage.

Malgré un horizon temporel inévitablement plus limité qu’à 20 ans, les couples formés dans la soixantaine ne sont pas forcément ancrés dans la logique du « jusqu’à ce que la mort nous sépare », pas plus que dans une logique de simple compagnonnage, en couple « pour passer le temps ». Les participant·e·s ont tous et toutes des projets pour leur couple, même si parfois ils concernent davantage le quotidien que l’avenir. Par ailleurs, les incertitudes concernant la vieillesse amènent les partenaires à formuler leurs projections pour leur couple davantage comme des souhaits que comme de véritables plans d’avenir. Cela étant dit, les sentiments amoureux n’en sont pas amoindris et la volonté que leurs relations se poursuivent le plus longtemps possible est bien réelle. Les incertitudes quant à a la relation conjugale des participant∙e∙s semblent en partie liées à celles découlant de leur santé et leur autonomie ainsi que celles de leur partenaire.

6.4 La mise en couple aux âges avancés : rapports de genre et