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Désirs, corps et sexualité dans la vieillesse

Chapitre 2 Représentations sociales, expériences et récits de la vieillesse

2.1 Les représentations sociales de la vieillesse : au cœur des ambivalences

2.1.3 Désirs, corps et sexualité dans la vieillesse

Les représentations ambivalentes de la vieillesse touchent également celles de la sexualité. Jusqu’à récemment les gérontologues s’étaient peu intéressé∙e∙s à l’intimité et la sexualité des personnes âgées (Barusch, 2008). Cet intérêt marque sans doute un changement notable puisque pendant longtemps la vieillesse a été perçue comme incompatible avec la sexualité, la séduction et la passion (Trincaz, 1998 ; Connidis, 2006). Ce changement n’est toutefois pas si étonnant si l’on considère les représentations sociales de la vieillesse désormais plus ambivalentes (Caradec, 2001) : certains discours plus positifs se popularisent dernièrement, dont, par exemple, l’idée que « l’amour n’a pas d’âge ».

Bien que cela tende à changer, le « coup de foudre », l’amour « fou », les désirs passionnels sont dans les productions culturelles réservées aux plus jeunes adultes, excluant ainsi les plus âgé·e·s de ces représentations. Le désir sexuel dans la vieillesse est nié, voire méprisé et l’intériorisation de ce mépris peut avoir comme effet de déposséder les personnes âgées de leurs désirs (Lagrave, 2011). Ainsi, de nombreuses personnes âgées en viennent elles- mêmes à un certain renoncement sexuel, validant alors les préjugés âgistes concernant leur désintérêt pour la sexualité. Les femmes sont particulièrement touchées par ces préjugés : la ménopause ayant longtemps été vue comme marquant la fin du désir sexuel féminin13, les femmes se trouvent plus rapidement exclues du « marché de la sexualité » que les hommes. Ainsi, le « désir des vieilles devient risible, comme leurs amours, puisque la société n’attend plus d’elles qu’elles jouent le jeu de la séduction » (Lagrave, 2011).

Genre et corps vieillissants

L’enjeu du corps est saillant dans les expériences de l’avancée en âge : « How we experience our aging bodies is thus complex, influenced by structural, institutional, and cultural forces and the myriad interactions that occur in the overlapping and discrete contexts in which we live » (Holstein, 2006 : 315). La retraite est associée à un risque majeur de « laisser-aller », ce contre quoi les individus doivent lutter (Gestin, 2003). Les discours normatifs prescrivent

13 Cela s’explique notamment par le fait que la sexualité des femmes a été pensée en fonction de leur

aux femmes de « conserver » leur forme, leur minceur et leur beauté tandis qu’ils prescrivent aux hommes de « rester » en forme, forts et virils. Le modèle du « vieillir-jeune » et les normes liées aux corps présentent des différences genrées, tout comme les expériences qui en découlent : alors que les hommes mûrissent, les femmes se fanent.

Le vieillissement des corps des femmes apparaît comme une expérience d’autant plus douloureuse qu’elles sont socialement davantage objets que sujets. Les femmes ont été et sont encore intrinsèquement liées à leur corporéité (Clair, 2015). La beauté associée à la culture féminine représente un devoir auquel les femmes sont contraintes (Remaury, 2000). Il semble qu’il en aille de même pour les femmes âgées, qui doivent se plier à des nouvelles normes; ne pouvant plus espérer être associées au modèle de beauté, elles doivent retarder ou masquer les signes du vieillissement. Les normes de beauté construisent pour les femmes âgées le diktat du paraître jeune, ce qui passe par une opération de travestissement du corps (Lagrave, 2009). Subséquemment, en tâchant de ne pas paraître leur âge, elles peuvent résister aux représentations négatives de la vieillesse afin de « rester dans la vie » (Marchand, Quéniart et Charpentier, 2010).

La résistance des femmes aux images négatives de la vieillesse a mené à « de nouvelles normes aussi contraignantes, voire aussi oppressives que les anciennes » (Gestin, 2003 : 187). Selon Holstein (2006), suite aux luttes féministes, l’agentivité d’un nombre de femmes s’est accrue dans plusieurs milieux et, ironiquement, cela semble s’être accompagné d’autant plus d’attentes envers le corps des femmes. À travers les époques, « la femme » a été un objet de désir et les techniques du corps se sont développées pour devenir de plus en plus sophistiquées et accessibles, en grande partie dû à l’essor du capitalisme. Ces techniques n’ont pas libéré les femmes de leur corporéité. Bien au contraire, elles doivent répondre à des standards de la culture dominante qui s’imposent avec force. Ainsi, les femmes doivent user des moyens à leur disposition pour correspondre aux standards de beauté ou à tout le moins s’en rapprocher le plus possible (Remaury, 2000).

Dans une culture qui valorise la jeunesse et responsabilise les individus pour leur apparence, le contrôle des corps vieillissants devient un terrain lucratif pour le marché de la consommation. La nouvelle fascination pour une vieillesse supposément plus positive par le « maintien » de sa forme physique et de sa santé, par le biais d’efforts individuels, a certes

repoussé le paradigme de la vieillesse comme un déclin. Toutefois, cela a eu comme effet de stigmatiser davantage les personnes âgées qui, elles, vivent des pertes physiques et cognitives. Par ailleurs, pour les personnes ayant le privilège de se « garder jeune » en bénéficiant notamment des moyens économiques pour le faire (voyages, loisirs, produits cosmétiques, conditionnement physique, etc.), le danger de stigmatisation reste présent, car les personnes disposant de ces moyens mais n’en faisant pas usage courent le risque d’être jugées négativement comme « se laissant aller » (Calasanti, 2008 : 156). Les droits à vieillir, et ce, de manière hétérogène se voient minés par cette norme de « l’éternelle jeunesse » (Gestin, 2003).

Sexualité

En regard des relations intimes, les préjugés âgistes présentent les personnes âgées comme guère intéressées aux liaisons amoureuses, surtout hors du mariage (Connidis, 2006). Les produits culturels comme les films, les émissions de télévision et autres, ont plus souvent qu’autrement présenté les personnes âgées comme peu attirantes et sexuellement indésirables, ce qui contribue à perpétuer le stéréotype voulant que celles-ci sont asexuées (Wada, Hurd Clarke et Rozanova, 2015). Les représentations concernant la sexualité des femmes âgées et des hommes âgés diffèrent et se voient distanciées de la sexualité des adultes en étant perçues comme à part de la normalité.

Par ailleurs, conséquemment à la diffusion de nouvelles représentations, en lien avec les normes d’une vieillesse « réussie » et « épanouie », la sexualité des personnes âgées commence à être représentée autrement. Selon une étude sur les représentations sociales de la sexualité aux âges avancés (Wada, Hurd Clarke et Rozanova, 2015), les résultats montrent néanmoins que de manière générale des représentations voulant que les personnes de 50 ans et plus soient intéressées par la sexualité et peuvent s’épanouir dans des activités sexuelles sont diffusées par les médias canadiens14. Il faut cependant nuancer le potentiel émancipateur de ces représentations, puisqu’elles ont aussi comme effet de renforcer l’injonction du « vieillir jeune » et « vieillir bien » en soutenant la vision que pour réussir son vieillissement il est important d’être engagé dans une sexualité active. De plus, cette injonction à maintenir une sexualité

« performante » passe notamment par le biais de la médicalisation15. Il y a fort à parier que ces représentations déstigmatisent la sexualité dans la vieillesse uniquement pour certaines personnes, un groupe duquel les plus âgées et les plus « fragiles » en sont probablement encore exclues.

En conclusion, concernant les relations intimes, il semble que l’amour et la vieillesse ne soient dorénavant plus forcément vus comme étant incompatibles. Les représentations de la vieillesse sont aujourd’hui ambivalentes, ainsi les représentations moins misérabilistes de cet âge de la vie, ouvrent de nouvelles brèches. Les perspectives amoureuses aux âges avancés se sont étendues. De plus, il est plausible de penser qu’avec les baby-boomers, qui depuis quelques années déjà atteignent et continuent d’atteindre « l’âge de la retraite », des transformations dans les trajectoires conjugales continueront de s’observer aux âges avancés. Et, plus il y a de personnes qui vivent plus longtemps, et plus les limites en lien avec l’âge devraient diminuer, puisque chaque jour des personnes étendent les possibilités de l’avancée en âge (Barush, 2008).