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Chapitre 1 Transformations dans la sphère conjugale depuis la seconde moitié du 20e

1.3 Conclusion

En conclusion, les changements survenus dans la sphère de la vie intime se sont inscrits dans des mouvances sociales plus larges, et la désarticulation du système matrimonial québécois ne se résume pas qu’à la désaffection de la société pour la religion. Les nouveaux courants de pensée et les mouvements sociaux de la seconde moitié du 20e siècle ont également contribué à l’éclatement des mœurs et de la cohérence normative qui avait jusque-là soutenu la prégnance du mariage comme mode d’entrée en conjugalité. Depuis la décennie 1960, les changements

survenus tels que l’accès à la formation pour les femmes ainsi qu’au marché du travail, le développement de techniques de contraception et le déploiement de politiques familiales nouvelles ont modifié le paysage familial. De nouvelles représentations collectives ont émergé de ces transformations et ont favorisé une diversification des styles de vie. Ces transformations ont eu des effets particulièrement sur les âges de la vie des femmes (Lemieux, 1996). Pensons, par exemple, au mariage qui ne représente plus comme autrefois l’unique (ou presque) seuil d’entrée à l’âge adulte pour les femmes. L’assouplissement des normes entourant le mariage, et évidemment la conjugalité, a permis de normaliser des modèles qui avaient été peu présents puisque fortement réprimés auparavant.

Les trajectoires conjugales, complexifiées et multiples, présentent de nouvelles possibilités, mais aussi de nouvelles contraintes. De plus, les changements dans les mentalités et les idéaux ne s’opèrent pas nécessairement au même rythme que les changements de comportements et de situations. En effet, les situations conjugales présentent des continuités en même temps qu’on y observe des transformations. Ainsi, les transformations dans l’intimité annoncées par des sociologues, comme Giddens (1992), se doivent aussi d’être confrontées à la réalité empirique. Il est évident que des transformations peuvent être observées, même statistiquement, dans le vécu de la conjugalité. Néanmoins, il semble que certaines situations n’aient que peu ou pas changé.

Si l’on reprend l’étude du couple hétérosexuel contemporain, il est évident que le portrait de deux individus autonomes, libres et égaux est à nuancer, notamment par une prise en compte des rapports de pouvoir qui s’articulent au sein du couple (liés à des structures qui lui sont extérieures). Les hommes et les femmes dans les relations hétérosexuelles continuent d’être influencé·e·s par des stéréotypes genrés et évitent généralement de poser leur regard sur certaines inégalités lorsqu’ils et elles font sens de leurs expériences d’amoureux·euses, de partenaires, de pères et de mères (Jamieson, 1999). Les récits et pratiques des couples présentent-ils certains changements quant aux rôles sociaux « traditionnels » liés aux genres ? Oui, très certainement. Toutefois, ce n’est pas l’égalité qui est atteinte, puisque des écarts continuent de s’observer (Lemieux, 2003).

Tel que le suggère Piazzesi (2014), la sociologie abandonne une « vision de l’intimité amoureuse qui croit à la fiction d’intimité dans laquelle tout ce qui compte est un couple de deux

individus unis par un sentiment intense » (2014 : 11). Les relations amoureuses doivent être comprises dans des structures sociales plus larges, qui viennent poser des limites et contraintes à nos choix, comme elles offrent aussi des opportunités et des possibles (Caradec, 1996a ; Connidis, 2006). La prise en compte des rapports de pouvoir dans la sphère intime ne doit pas nous amener à ne penser ceux-ci qu’en termes économiques, mais bien aux différentes formes de pouvoir qui s’y jouent (Duncombe et Marsden, 1993).

L’amour et la conjugalité continuent d’être très présents dans le domaine idéologique, particulièrement dans les représentations de la réussite et du bonheur. En effet, la vie amoureuse présente pour chacun∙e des rapports plus complexes au monde social que nous aimerions peut- être le penser. L’amour s’inscrit dans et participe à l’ordre social. Pour comprendre les relations conjugales, le point de vue sociologique doit dépasser les lieux communs sur l’amour. Comme l’écrivent Duncombe et Marsden : « For although romantic imagery may often disguise exploitation, people experience feelings of love as powerfully ‘real’ in ways which have very real consequences for their lives. » (1993 : 237). Si l’on prétend que l’amour rend aveugle, les sociologues ne peuvent se permettre d’être aveugles à ces expériences complexes (Piazzesi, 2014).

Malgré l’importance que revêtent l’amour et l’intimité dans nos vies et dans l’organisation sociale, ces thèmes ont été abordés principalement chez les jeunes adultes. Les recherches portant sur la mise en couple et la conjugalité ne se sont pas intéressées aux groupes plus âgés de la population. Cela n’est pas tellement étonnant si l’on regarde les histoires et produits culturels mettant en scène des rencontres amoureuses et la romance, puisque ceux-ci présentent presque uniquement des « êtres non ridés ». Dans la culture occidentale, la passion se voit réservée aux plus jeunes. D’ailleurs, lorsque l’on s’intéresse à l’intimité amoureuse, il apparaît clair qu’à l’instar des autres sphères de la vie, les normes associées à la jeunesse et la vieillesse diffèrent de manière significative. Quels effets ont ces normes liées à l’âge et les représentations qui en découlent sur le vécu et les expériences amoureuses des individus? Le prochain chapitre aborde la question des représentations sociales de la vieillesse et du vieillissement afin de mieux comprendre pourquoi les discours sur l’intimité amoureuse se

concentrent sur les jeunes adultes et, donc, pourquoi « l’âge de la vieillesse » semble être incompatible avec les désirs passionnels et les sentiments amoureux.

Chapitre 2 Représentations sociales, expériences et récits