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Chapitre 6 Sens et expériences : amours adolescents, amours matures

6.3 Aimer, c’est être amoureux de son futur ?

6.3.1 Quand avenir rime avec vieillesse

Le thème de la vieillesse s’est invité à différents moments dans les discours des participant∙e∙s et de manière plus récurrente pour certain·e·s. Toutefois, lorsque l’avenir a été abordé, l’aspect de la vieillesse a systématiquement été abordé.

Tel qu’abordé au deuxième chapitre, la vieillesse se pose pour les individus plus souvent en lien avec un problème de santé qu’à un âge chronologique particulier. En concordance avec ces études, les participant∙e∙s de ma recherche ne semblent pas se considérer comme étant vieux ou vieille, étant des personnes actives et qui n’ont pas ou peu de problèmes de santé. Certain·e·s le disent explicitement : « je ne suis pas vieille non plus » (Line). Le vieillissement, s’il est parfois entrevu comme quelque chose qui ne se vit pas au présent, demeure toutefois pour plusieurs une préoccupation : « C’est dur un peu de vieillir pis de voir le regard des autres, moi dans mon cœur j’ai à peu près 40 ans, pour vrai là, mais tu regardes dans le miroir pis tu te dis : "estik". C’est ça c’est dur… » (Brigitte).

La préoccupation à l’égard de la vieillesse prend néanmoins une importance particulière dans les discours des participant∙e∙s lorsqu’il est question de l’avenir. L’anticipation de celui-ci apparaît inévitablement liée à l’anticipation de sa propre vieillesse. Plusieurs participant∙e∙s

évoquent leurs souhaits concernant leur état de santé futur ainsi que dans certains cas celui de leur partenaire. Cela n’est pas étonnant si l’on considère les résultats des études montrant la vieillesse comme étant plus souvent appréhendée par le domaine de la santé, c’est-à-dire par les pertes liées à sa santé et à sa mobilité (Cavalli et Henchoz, 2009). Rejoignant d’une certaine façon l’idée que l’amour insuffle un sentiment de jeunesse, le couple est vu dans certains cas comme un moyen pour conserver la forme physique et la santé :

Veiller à t’sais quand il y en a un qui a moins le goût d’aller dehors, qui en a un pour dire « eille ça fait longtemps qu’on n’est pas aller dehors là ». Pis il faut se fixer des buts comme mettons « on vas-tu dîner au refuge ? », on s’amène un lunch, on peut même dormir là si on veut, se fixer des buts comme ça, des buts d’activités […]. Se stimuler pour rester actif, ça c’est clair. Je ne veux surtout pas m’éteindre parce que je vieillis. - Line

Les participant∙e∙s tiennent des propos qui s’inscrivent parfois en concordance avec l’injonction du « vieillissement réussi », notamment en se responsabilisant pour leur état de santé : « si je m’assois dans ma chaise pis que je mange des chips et que je bois du coke, c’est pas ça qui va m’aider. C’est vrai pareil. » (Brigitte) et en souhaitant « rester jeune » le plus longtemps possible.

Former un nouveau couple lorsqu’on est plus âgé semble néanmoins amener une certaine réflexion quant à son vieillissement et celui de son partenaire, notamment en ce qui concerne la maladie et les pertes liées à l’autonomie. Comme le raconte Line, la question peut même se poser avant la mise en couple :

Le fait aussi que « ah mais l’autre vas-tu devenir malade ? » t’sais s’il a eu des mauvaises habitudes de vie toute sa vie, est-ce que c’est moi qui va arriver dans sa vie pour le soigner? Mais t’sais nous autres ont est chanceux chacun de notre bord là parce qu’on ne vit pas ça ni un ni l’autre, on a vraiment des santés parfaites, ça c’est vraiment le fun, ça c’est sûr que si j’avais eu à dealer avec je l’aurais fait, mais ça je n’ai pas cette inquiétude-là. Ça c’est vraiment agréable.

Pour l’ensemble des partenaires rencontré·e·s, l’autonomie personnelle est valorisée à l’intérieur du couple. Ainsi, la perspective de vieillir en inquiète certain∙e∙s, qui craignent de ne pas pouvoir maintenir cette autonomie qu’ils et elles affectionnent.

Se projeter dans 5 ans ou 10 ans présente davantage d’incertitudes pour les participant∙e∙s, tant en ce qui concerne leur couple que sur le plan plus individuel. Il semble qu’il soit difficile d’anticiper aussi loin : « Bon écoutez, quand on est à 69 ans, comme on dit dans 10

ans c’est déjà du long terme, c’est du très long terme, c’est-à-dire qu’on arrive au bout du rouleau » (Didier). Pour les personnes veuves, la maladie et la mort sont des perspectives d’autant plus incertaines :

C’est la fatalité ou je ne sais pas comment appeler ça, c’est le destin. Ben écoute ben, qu’est-ce que tu veux… Il n’y a rien à foutre là-dessus… Pis peut-être qu’on va vivre ensemble [avec sa conjointe actuelle] pendant 20 ans, 30 ans pis peut-être ça va être demain. On ne le sait pas du tout, du tout, du tout. Ma mère a vécu jusqu’à 100 ans, la sienne est rendue à 94... Mais nos conjoints sont partis tôt, au début de la soixantaine, donc. - André

Les participant∙e∙s sont dans une perspective davantage « au jour le jour » pour leur couple, comme pour leur avenir, même si évidemment certaines personnes ont plus d’attentes, d’aspirations ou de plans pour les années à venir que d’autres. Les personnes veuves ne semblent pas entretenir plus de craintes que les autres participant·e·s par rapport à l’avenir. Même au contraire, ces personnes semblent accepter l’incertitude de l’existence et donc de la vieillesse.