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Le logiciel (software) est la composante de l’ordinateur qui comporte la liste des instructions informatiques. Notamment parce qu’il est immatériel, on le distingue ordinairement du reste du matériel informatique (hardware). À l'époque des premiers ordinateurs, l’on n’achetait que le matériel informatique sans se soucier des logiciels qui étaient inclus dans la vente sans être considérés à part entière. Comme nul n’achetait un ordinateur sans être soi-même programmeur ou disposer d’une équipe de programmeurs, tout acheteur avait accès au code source, c’est-à-dire au texte qui représente les instructions du programme. Logiciels et codes-sources s’échangeaient alors volontiers – notamment dans les

milieux universitaires. Une éthique dite « du hacker » (hacker ethics) s’est ainsi développée dans les milieux informatisés des années 1950-1960, et notamment dans les université de Stanford et du MIT, pour désigner un comportement favorable aux pratiques d’échange et au partage et un esprit élevant le libre-accès au rang de valeur (Himanen and Torvalds 2001).

C’est dans cet esprit que se sont constitués les premiers réseaux électroniques à la fin des années 1960 et notamment, ARPANET, qui permettait à des scientifiques travaillant dans différentes régions des Etats-Unis de se connecter et de partager leur travail mais aussi de s’échanger des logiciels (Stevens 2015).

L’âge d’or du partage ne dure cependant pas longtemps. A partir des années 1970, les constructeurs de matériel informatique commencent à facturer séparément leurs logiciels. En quelques années, une nouvelle industrie émerge autour de l’édition de logiciels, organisée autour de la vente de licences d’utilisation. Alors que les logiciels acquièrent une valeur monétaire, leur partage devient de plus en plus problématique pour les industriels. En 1976, la lettre ouverte de Bill Gates aux « bricoleurs » (An open Letter to Hobbyists) enjoint ces derniers à cesser de copier illicitement les logiciels. Dans sa lettre, Bill Gates constate que la majorité des utilisateurs de logiciels développés par Microsoft ne l’ont pas acquis légalement, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas acheté les droits d’utilisation. Or, selon lui, une telle violation du droit d’auteur a pour effet de décourager les développeurs de programmes. Pour Bill Gates, il est injuste que l’on puisse tirer avantage du temps, de l’argent et des efforts d’auteurs de logiciels sans les rétribuer en retour. Parallèlement à cette lutte contre le partage de copies de logiciels, les constructeurs restreignent de plus en plus fermement l’accès au code source des programmes. À l’ère de la microinformatique, il devient de plus en plus difficile, voire impossible, d'étudier, de corriger ou d'améliorer les logiciels achetés avec les ordinateurs. Non seulement l'utilisateur ne peut plus adapter le logiciel à ses souhaits, mais en cas de bug, il se retrouve dépendant de l'éditeur du logiciel pour résoudre son problème. Les logiciels jusqu'alors librement échangés se retrouvent ainsi intégrés dans des produits commerciaux figés que l’on ne peut « bricoler » et que l’on n’a plus droit d’échanger.

C’est en opposition avec ces pratiques commerciales que se développe au début des années 1980 le mouvement du logiciel libre. Son représentant le plus connu, Richard Stallman, membre du laboratoire d’intelligence artificielle du MIT, crée en 1984 le projet GNU76. Son objectif est de construire un système d’exploitation compatible avec UNIX, déjà largement répandu et considéré comme suffisamment robuste par les universitaires et les

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ingénieurs, en implémentant un code source libre d’accès, diffusé sur les réseaux électroniques ou distribué sur disquettes, qui pourrait être complété par de nouveaux composants, eux aussi libres de droit, au fur et à mesure de leur création et de leur diffusion par tout un chacun. Ce projet s’oppose clairement aux modèles commerciaux dont Microsoft représente l’exemple le plus abouti. Il faut noter que l’originalité de GNU ne tient pas seulement à son objectif mais aussi à son mode de fonctionnement. R. Stallman n’est pas un homme seul : il invite la communauté hacker à le rejoindre pour participer au développement de ce programme et de ses différents modules. Or les hackers qui se joignent bientôt à cette communauté ont des motivations qui sont à la fois sociales, politiques et éthiques. Le logiciel libre représente un véritable programme d’ « émancipation de l’homme » (Stallman 2002). En faisant la promotion du « libre », les hackers affichent leur volonté de s’affranchir d’un modèle commercial qui asservissait les hommes plutôt que de les servir. Les hackers redoutent en effet que les usagers de la microinformatique ne soient doublement asservis : d’abord parce qu’en n’étant plus capables d’intervenir sur le code source de leur ordinateur, ils perdraient leur maîtrise sur la machine ; d’autre part, parce que certains cartels, en ayant l’exclusivité de la programmation, monopoliseraient les moyens informatiques de production de la connaissance en fonction de leurs propres intérêts. L’aventure du logiciel libre, en ce sens, peut être lue comme un véritable projet de société. Pour R. Stallman, « toute personne qui met en œuvre le copyright porte atteinte à la société tout entière à la fois matériellement et spirituellement77 » (Stallman 2002, 37). En résumé, le projet GNU œuvre pour une diffusion libre des connaissances.

Au début des années 1990, la majorité du système GNU est fonctionnelle. Seul le noyau manque. Il est finalement proposé par Linus Torvalds qui le publie sous une licence publique générale et le nomme Linux. La licence publique générale proposée par GNU s’oppose au copyright : elle est d’ailleurs nommée un copyleft (laisser copier ou gauche d’auteur par opposition à droit d’auteur). En d’autres termes, Linux est un commun. A partir de ce moment, un système d’exploitation complet est désormais disponible, complètement libre et pleinement utilisable78. La qualité du produit est garantie par sa mise à jour continuelle dans la mesure où plusieurs versions du logiciel sont mises à disposition chaque semaine, lesquelles à leur tour suscitent des retours et des corrections de la part de milliers d’usagers.

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77 Nous traduisons de l’anglais : “a person who enforces a copyright is harming society as a whole both materially and spiritually”.

78 Dans les années suivantes, de nombreux projets de logiciel libre sont lancés. La Fondation pour le Logiciel Libre (Free Software Foundation) en recense actuellement plus de 30 000.

L’attrait pour Linux ne tient pas seulement au produit lui-même mais à l’élan communautaire qui l’accompagne : les usagers de Linux croient d’abord dans l’efficacité de la coopération (Himanen and Torvalds 2001).

Si le succès de Linux convainc un nombre de plus en plus importants de programmeurs de l’intérêt de travailler de façon collaborative, flexible et décentralisée, l’idéologie libertaire qui s’oppose à l’exclusivité d’exploitation reste une barrière pour les entreprises qui voudraient suivre ce modèle. C’est notamment pour cette raison que naît le mouvement du logiciel à code ouvert (Open Source) qui permet de combiner la vente du logiciel avec la mise à disposition d’un code-source ouvert. Cette approche alternative est plus pragmatique et moins radicale que celle du logiciel libre. L’on peut résumer la divergence entre les deux mouvements en indiquant que la valeur du logiciel libre est la liberté ; tandis que celle du logiciel à code ouvert est la technique. Cette alternative a l’intérêt de montrer que ceux qui choisissent les logiciel à code ouvert et/ou à licence libre (rassemblés sous l’étiquette de FOSS, Free and open-source software), peuvent le faire pour une variété de raisons : tout simplement parce que les produits sont de meilleure qualité, parce qu’ils peuvent les adapter à leurs besoins ou parce qu’ils estiment qu’il s’agit d’une approche plus juste sur le plan politique ou éthique.

Rassemblés sous l’étiquette globale du FOSS, le libre et l’ouvert désignent tous deux un type particulier de logiciels produits par le modèle de développement logiciel spécifique (par opposition aux modèles des logiciels propriétaires). Malgré les divergences des deux courants, le mouvement original du logiciel libre insistant davantage sur le concept de liberté tandis que le mouvement des logiciels à code source ouvert met en valeur l'aspect technique et pratique du développement ouvert et collectif, le FOSS entérine les pratiques de coopération, de décentralisation et de flexibilité comme des normes incontournables dans les milieux académiques et professionnels de l’informatique. Reste à savoir ce que l’adoption de ces logiciels libres et ouverts dans la science génomique aura comme répercussions sur les pratiques scientifiques.