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C. La place centrale des biobanques dans la bioéconomie

3. L’éthique des biobanques, une source inattendue de biovaleur

La notion de déchet est déterminante dans la bioéconomie. Mais si cette notion s’applique intuitivement à certains produits corporels qui inspirent le dégoût (Kristeva 1980) et que la catégorie de déchet d’activité de soin peut être mobilisée pour nous amener à considérer comme inutiles des éléments prélevés lors de soins qui ont été menés dans notre intérêt, comme l’a révélé l’interprétation de la décision de la Cour suprême dans l’affaire J.

Moore (Waldby and Mitchell 2006a), il n’en reste pas moins que d’autres matériaux

biologiques résistent plus ou moins à cette appellation. C’est notamment le cas de l’embryon humain.

L’embryon, de par son statut à l’origine de la vie humaine, est une entité particulièrement sensible. Sa réification, voire sa marchandisation, comportent des enjeux éthiques concernant directement la dignité humaine. À ce titre, l’embryon est donc protégé.

On peut, à ce propos, citer la directive Européenne 98/44 du 6 juillet 1998 qui prévoit que

« (l)e corps humain, aux différents stades de sa constitution et de son développement, ainsi que la simple découverte d’un de ses éléments, (…) ne peuvent constituer des inventions brevetables. » Mais qu’en est-il exactement de son utilisation dans la recherche. En fonction des pays, les lois et les pratiques varient.

La France, qui a ratifié en 2011 la Convention d’Oviedo sur les droits de l’homme et la biomédecine, instrument du Conseil de l’Europe qui mentionne que les recherches doivent assurer une protection adéquate de l’embryon et qu’il est interdit de créer des embryons à des fins de recherche, légifère sur le sujet en autorisant un usage par la recherche des seuls embryons conçus dans le cadre d’une Aide médicale à la procréation (AMP)64. Cette autorisation n’est valable que pour des embryons dits « surnuméraires ». Ces embryons sont ceux qui ne font pas l’objet d’un projet parental et qui ont de ce fait un statut différent. Cette logique prévaut en France parce que l’on considère l’embryon comme une personne humaine potentielle - mais seulement dans le cas où il existe un lien entre l’embryon et un désir parental. Comme la France, de nombreux pays Européens ainsi que l’Australie, le Brésil, le Canada, l’Inde ont une législation restrictive, qui permet sur dérogation ou après autorisation spécifique, une recherche ayant une pertinence scientifique. L’Angleterre est plus permissive car elle n’a aucune restriction à l’utilisation des cellules souches embryonnaires65 et n’encadre que la création de nouveaux embryons pour la recherche. D’autres pays ont des législations encore plus permissives (Russie, Ukraine, Israël, Égypte, Chine, Japon) n’interdisant que les

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64 Trois types d’embryons sont concernés : des embryons sains mais ne faisant plus l’objet d’un projet parental (avec l’accord du couple) ; des embryons porteurs de maladies congénitales identifiées lors d’un diagnostic préimplantatoire ; enfin, des embryons écartés de l’AMP car l’on redoute un mauvais développement.

65 Les cellules souches se caractérisent par le fait qu’elles peuvent générer de manière continue des cellules filles identiques à elle-même, qui peuvent ensuite se « différencier » en cellules fonctionnelles différentes selon les organes de notre corps. On retrouve des cellules souches dans tous les tissus chez l’adulte (peau, foie, cerveau..).

Ces cellules souches « adultes » sont déjà spécialisées, ne donnant des cellules filles que pour les tissus auxquels elles appartiennent. Contrairement à ces dernières, les cellules souches embryonnaires sont, elles, pluripotentes, c’est-à-dire capable d’être à l’origine de toutes les cellules de l’organisme. Ces cellules ne sont présentes que dans les embryons précoces, soit dans les quelques jours suivant la rencontre des spermatozoïdes et des ovules.

On les récupère sur des embryons formés en laboratoire comme ceux obtenus par fécondation in vitro utilisée lors de l’assistance médicale à la procréation. On a pu récemment générer à partir de cellules « adultes » des cellules souches induites à la pluripotence ou « iPS » qui sont proches, mais non équivalentes, aux CSE. Cette approche permet d’éviter d’utiliser des embryons pour obtenir des cellules pluripotentes.

approches liées au clonage humain reproductif – lequel est actuellement universellement banni. Inversement, certains pays comme l’Allemagne, la Hongrie, l’Italie ou la Slovénie sont plus restrictifs que la France en limitant fortement l’accès aux cellules souches embryonnaires. Enfin, certains pays interdisent toute recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires – dont en Europe : l’Autriche, l’Irlande, la Pologne, la Slovaquie, la Lituanie, la Bulgarie ; et dans le reste du monde : la Tunisie, le Maroc, la Jordanie, le Vietnam, Taiwan, les Philippines, la Malaisie, la Colombie, l’Equateur, le Pérou, l’Uruguay, le Venezuela, et le Chili (Mahalatchimy 2015). Ce bref rappel de la diversité des situations actuelles doit permettre de rappeler à quel point la question du statut des embryons et, plus précisément, de leur utilisation dans la recherche peut être controversée et faire l’objet de traitements normatifs distincts aboutissant à des pratiques disparates. La création de biobanques spécialisées dans la conservation d’embryons issus de l’AMP et mis à disposition de la recherche constitue un moyen efficace de traiter d’enjeux normatifs (même partiels, instables et controversés) grâce à la mise en place de routines concrètes de gouvernance.

L’historien des sciences Ben Hurlbut propose une analyse d’une biobanque d’embryons destinés à la recherche, aux Etats-Unis, qui lui permet de mettre au jour le fonctionnement de « l’efficacité éthique des biobanques » (Hurlbut 2016). L’intérêt d’un tel travail est d’expliquer comment ce type de fonctionnement peut s’appliquer à l’embryon, qui est précisément l’objet de nombreux enjeux normatifs. Il faut rappeler qu’aux Etats-Unis, l’AMP a lieu dans des cliniques privées qui sont en concurrence pour obtenir les meilleurs

« rendements procréatifs ». Dans ce contexte extrêmement compétitif, de nombreuses fécondations in vitro (FIV) sont réalisées dans l’espoir que les clientes tombent enceintes.

C’est la raison pour laquelle autant d’embryons sont produits et conservés. On compterait plus d’un million d’embryons entreposés dans les congélateurs d’Amérique du Nord (Lomax and Trounson 2013). Dans la plupart des cas, ces embryons sont conservés pour des individus spécifiques et restent sous le contrôle de ces derniers, dans la clinique de la FIV. Cependant, des biobanques sont chargées de collecter les embryons qui ne seront pas utilisés à des fins de reproduction, pour en assumer la responsabilité et les mettre à disposition de la recherche. Ce qu’il faut bien comprendre c’est que l’utilisation de ces embryons surnuméraires produits par l’AMP permet de fournir à la recherche un matériel biologique précieux et que l’on estime aujourd’hui ne pas pouvoir remplacer - sans assumer la responsabilité de créer ces embryons, ni même de les détruire puisque s’ils n’étaient pas utilisés par les chercheurs, il faudrait de toutes façons s’en débarrasser une fois le projet reproductif abouti ou abandonné. Autrement

selon le Littré, correspond à l’étymologie du « déchet », l’ancien participe du verbe déchoir : ce qui est tombé, perdu. Pourquoi donc ne pas en faire usage ? Ils sont déjà considérés comme des déchets et on ne peut concevoir comme un dommage supplémentaire le fait d’extraire une connaissance de ce qui est voué à disparaître. Cet état de fait neutralise une grande part des discussions sur la recherche sur les embryons.

Le passage de la clinique à la biobanque de recherche n’est toutefois pas sans conséquence.

« (…) une fois que la responsabilité de la conservation des embryons passe de la ou des personnes qui ont contracté la création d'embryons à une organisation qui les collectionne pour les utiliser dans la recherche, leur situation change. Ils sont traités comme une catégorie singulière de matériel de recherche, et les méthodes pour les procurer, les comptabiliser, les rendre disponibles pour le retrait de la banque et régir leur acquisition et leur utilisation sont standardisées66. » (Hurlbut, 2016, p. 309)

Les biobanques jouent un rôle dans la création de la valeur de ces déchets devenus ressources : elles contribuent à une plus grande efficacité de la recherche, notamment dans le domaine de l’éthique, puisque les questions normatives cessent d'être le sujet de délibérations éthiques (potentiellement) longues et sont remplacées par des routines de pratique déjà établies. La biobanque Renew, chargée de maintenir un approvisionnement fiable et facilement accessible d'embryons humains aux instituts de recherche de l'Université de Stanford, illustre ce phénomène (Hurlbut 2016).

Cette biobanque a été développée en 2008 afin de rationaliser le processus de transfert des embryons humains depuis les cliniques de fertilité vers les chercheurs, à un moment où la demande d’embryons était forte pour toute une recherche menée à partir de la dérivation de lignées de cellules souches embryonnaires. La biobanque a plusieurs rôles. Non seulement elle doit permettre de simplifier l’accès des chercheurs aux embryons mais elle permet aussi de standardiser les procédures de don, pour tous les clients de cliniques de fertilité. Dans la biobanque Renew, les gestionnaires de la banque ont en effet élaboré un protocole de

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66 Nous traduisons de l’anglais : “Yet once banked—once custodial responsibility shifts from the person(s) who contracted to have the embryos created to an organization that holds them in reserve for use in research—the situation is reversed. They are treated as a singular category of research material, and the methods for procuring them, accounting for them, making them available for withdrawal from the bank, and governing their acquisition and use are standardized”.

consentement standard qui couvre tous les dons d'embryons et permet de déconnecter le processus de consentement de tout protocole de recherche particulier. Sans cette banque, les chercheurs qui ont besoin d’embryons pour un projet de recherche doivent prendre contact avec une clinique de FIV et négocier un accès circonstancié. Ces projets de recherche doivent également faire l'objet d'un processus d'examen éthique, au minimum par un comité d'examen institutionnel et potentiellement par un comité de surveillance de la recherche sur les cellules souches embryonnaires. Autrement dit : avant la création de la banque Renew, un chercheur de Stanford aurait dû élaborer un consentement permettant d’éclairer le donateur des recherches spécifiques pour lesquelles ses embryons seraient utilisés et ce processus aurait fait l'objet d'un examen par la comité d’éthique de l’Université. Mais, dans la mesure où la banque Renew utilise un consentement normalisé au moment de la collecte, le protocole de recherche n'est plus assujetti à l'examen d’un comité d’éthique. Qui plus est, le consentement utilisé est général67 : il ne porte plus sur un projet particulier et fait donc a priori peser moins de contraintes sur les chercheurs qui n’ont plus à faire connaître la portée et les objectifs de leur recherche et à veiller à ce que cette recherche (et ses conséquences) soient conformes aux attentes des donateurs.

Pour résumer, le développement de telles biobanques a deux conséquences importantes sur la dimension éthique de la recherche avec les humains. Premièrement, la standardisation des consentements et des processus de donation restreint les opportunités de délibération sur un type de recherche qui reste controversé. De fait, cette réorganisation modifie la relation entre chercheurs et donateurs dans la mesure où les premiers n’ont plus à obtenir un consentement précis pour leurs recherches et donc peuvent faire l’économie d’un travail de communication permettant de formuler précisément les procédures et les finalités de leurs recherches d’un point de vue qui convainque le donateur de leur utilité. D’ailleurs, les donateurs ne sont plus invités à faire l’effort d’anticiper les conséquences de leur don puisque,

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67 « La biobanque RENEW tente d'éviter ces sortes de problèmes en offrant un menu limité d'options aux donateurs. L'option 1 permet de donner des embryons pour la «recherche sur le développement humain». L'option 2 consiste à donner des embryons pour «la reprogrammation génétique et / ou la production de lignes cellulaires». Les deux options stipulent qu'il n'y aura

«aucune restriction sur les utilisations futures» et décrivent une gamme de recherches effectivement illimitée dans laquelle des lignées cellulaires pourraient être utilisées (‘‘RENEW Biobank Embryo Cryo Research Consent’’, 2014). Avec ces restrictions minimales, les chercheurs peuvent acquérir des embryons sans avoir à interagir avec le donneur ou la clinique. » (Hurlbut, 2016, p.316)

Nous traduisons de l’anglais : “The RENEW biobank attempts to avoid these sorts of problems by offering a limited menu of options to donors. Option 1 donates embryos for ‘‘human development research’’. Option 2 is to donate embryos for ‘‘genetic reprogramming and/or production of Cell Lines’’. Both options stipulate that there will be ‘‘no restrictions on future uses’’, and describe an effectively unlimited range of research in which cell

comme le stipule leur formulaire de consentement : la recherche pour laquelle leur don sera mobilisé « ne peut être prédite au moment présent » (‘‘cannot be predicted at the present time’’, ‘‘RENEW Biobank Embryo Cryo Research Consent’’, 2014). Le processus de standardisation a donc pour conséquence de réduire les enjeux éthiques à des routines administratives.

Deuxièmement, la banque peut acquérir et collectionner un grand volume d’embryons en suivant un même protocole qui a pour effet de rendre homogène ce pool de ressources. Les embryons sont ainsi déconnectés de leur origine et deviennent des ressources indifférenciées.

Ce traitement contribue à les considérer comme des biens. Quand l’embryon transite d’un espace où les relations qui se tissent à son endroit le constituent (- pensons notamment au rôle que joue la notion de projet parental dans la loi française) à un espace complètement décontextualisé, où il devient une unité dans une collection homogène, la valeur normative qu’on lui accordait cède le pas à une autre représentation, « la forme fantastique d'un rapport des choses entre elles ». (Marx, 2009 [1887], p.70). La mise en banque permet donc de traiter les embryons comme des marchandises. La biobanque, par son opérationnalisation de l’éthique, permet de traiter concrètement d’un objet d’incertitude morale importante, comme l’embryon humain, comme d’un objet d’échange économique – ce qui, si cela était soumis à un examen moral ou à une consultation publique, n’aurait rien d’évident.

Cette marchandisation de l’embryon crée les conditions pour construire une nouvelle forme de valeur, la biovaleur, ici obtenue par un travail de conversion du déchet en ressource.

Ce travail consiste en deux tâches : la collecte et la facilitation de l’accès à la collection.

« La première étape de la valeur ajoutée consiste dans le travail de collecte des déchets. Une fois collectés et organisés, les embryons de la banque deviennent plus précieux précisément en raison des gains d'efficacité d'accès et d'utilisation que la banque permet. Cela inclut les formes d'efficacité éthique qui permettent un large éventail d'utilisations qui, comme un chercheur me l'a dit, font de la banque un «guichet unique 68. » (Hurlbut, 2016, p. 316)

En supprimant les frictions causées par de complexes délibérations morales et en les remplaçant par des mécanismes standardisés de gouvernance – bref, en alliant éthique et

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68 Nous traduisons de l’anglais : “The first value-adding step is in its waste collecting labors. Once collected and curated, the embryos in the bank become more valuable precisely because of the efficiencies of access and use that the bank makes possible. This includes the forms of ethical efficiency that allow the wide range of uses that, as one researcher put it to me, make the bank a ‘‘one stop shop.’’

efficacité –, la banque peut servir de médiateur entre les fournisseurs et les utilisateurs de ressources et, au passage, contribuer à « faire de l’éthique » d’une façon légale mais pas nécessairement morale.

Sur le plan éthique, cela signifie que des questions normatives importantes et potentiellement contentieuses peuvent ne pas être abordées adéquatement, mais aussi que les espaces institutionnalisés destinés à soulever ces questions normatives sont déplacés, sans que ce déplacement soit lui-même questionné. Si, comme nous le pensons, des enjeux politiques subsistent pour l’éthique des biobanques et des bases de données, alors, une attention particulière doit être accordée aux espaces définis pour traiter de ces questions – d’autant que biobanques et bases de données sont vouées à l’efficacité technique et d’autant plus soumises à des logiques de standardisation qu’elles sont organisés en infrastructures. Ce sont, en d’autres termes, des institutions où des problèmes éthiques, moraux, politiques, sociaux pourraient – sans doute de façon préjudiciable – en venir à être traités comme des problèmes techniques (Voir « Les limites du solutionisme », p. 418).

Cette menace est d’autant plus vive que l’organisation de la recherche éloigne des donneurs à la fois les chercheurs et les gestionnaires des institutions de recherche. Or la recherche en biobanque et en bases de données est fondée sur un jeu de substitutions où l’échantillon peut-être considéré comme un objet proximal pour le corps des participants et les données de séquence comme un objet proximal pour l’échantillon biologique (Mitchell and Waldby 2010, p. 338). Dans le cas des bases de données, on peut craindre que cette tendance à l’efficacité ne soit encore plus marquée que dans les biobanques. Cette tendance se doublerait qui plus est d’une facilité accrue à commercer avec des données.

« D'une manière générale, cependant, l'information se situe dans un paysage économique différent de celui des parties du corps humain, reflétant probablement une économie capitaliste dans laquelle le travail, les connaissances et les biens sont des objets appropriés par le commerce, alors que les êtres humains peuvent agir en tant que sujets: ce sont des consommateurs, pas des consommables, pour ainsi dire69. » (Hoeyer 2002, p. 13)

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69 Nous traduisons de l’anglais : “Generally speaking, though, information is located in a different economic landscape than human body parts, probably reflecting a capitalist economy in which labor, knowledge and

L’information se prêterait donc plus facilement à la commercialisation que les éléments du corps humain. Quant aux données, celles-ci rappelleraient moins à l’ordre des exigences éthiques que ne le font les échantillons. Il faut d’ailleurs reconnaître que tout ce qui fait l’objet d’un don à la recherche n’attire pas le même type d’attention du point de vue éthique : un échantillon de sang (qui possède une gamme d’applications larges et offre des opportunités financières) reçoit une attention éthique plus poussée qu’un questionnaire. Foucault parle de

« substance éthique » pour désigner « la façon dont un individu constitue telle ou telle part de lui-même comme matière principale de sa conduite morale » (Foucault 1997 (1984), p. 33).

On peut ainsi se demander comment telle ou telle activité gagne de la substance éthique, c’est-à-dire en vient à être traitée comme faisant l’objet d’un questionnement moral. Dans la législation française, par exemple, l’utilisation de matériel biologique humain est traité dans le cadre des lois de bioéthique, tandis que les données sont soumises à un règlement européen qui règlemente la circulation des données en général, sans constituer cette question en un problème éthique. Le fait même que la Commission Européenne délibère sur ce sujet indique bien qu’on ne le considère pas comme un problème éthique puisque ce sont les Etats qui ont la prérogative en matière de discussion éthique (cf. Enquête sur la bioéthique au cœur d’une infrastructure européenne de biobanques, p. 432). Si l’utilisation de matériel biologique humain engage encore les chercheurs sur le terrain de l’éthique, l’utilisation de données peut d’emblée sembler relever de procédures juridiques qui n’engageraient pas de réflexion éthique spécifique. C’est la raison pour laquelle, il nous faut nous intéresser plus précisément aux pratiques de recherche qui mobilisent des données de génomique et tenter de comprendre comment se posent les questions éthiques sur ces bases de données.

III. Tension autour des données de génomique : volonté de protection et