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Quelle est la part de la génétique et celle

Dans le document Jacques Lecomte (Page 126-132)

de l’environnement ?

La question de l’origine, génétique ou environnementale, de nos pensées, com-portements et émotions, fait l’objet de débats récurrents entre spécialistes des sciences humaines. Les recherches ont surtout porté sur les traits de personnalité, les comportements, les troubles mentaux et l’intelligence.

1. NE PAS CONFONDRE

Avant toutes choses, il est utile d’établir clairement certaines distinctions. En effet, certaines confusions sont fréquentes lorsque l’on aborde le domaine complexe des relations entre la génétique et l’environnement. Il faut donc éviter de confondre :

génétique et inéluctable: certains gènes ne s’expriment que lorsque des conditions environnementales sont présentes. Par exemple, la phénylcétonurie est une maladie génétique due à la sécrétion d’une quantité excessive d’un acide aminé, la phénylalanine. Elle entraîne un retard mental profond. Il est cependant possible d’éviter son apparition grâce à un régime alimentaire strict chez l’enfant et le jeune ;

génétique et héréditaire: un trait génétique n’est pas forcément transmis d’une génération à l’autre. Par exemple, la mastocytose est une maladie génétique non héréditaire, caractérisée par une prolifération anormale des mastocytes, cellules du système immunitaire, dans différents organes comme la peau, les os ou les muqueuses des voies digestives ;

génétique et inné: inné signifie présent dès la naissance (in-né). La plupart des caractéristiques innées sont d’origine génétique, mais pas toutes ; certaines sont le fruit de l’influence environnementalein utero. Dans ce cas, l’inné est acquis ! Par exemple, l’alcoolisme maternel grave peut entraîner chez le fœtus le « syndrome alcoolique fœtal », qui se traduit notamment par un handicap mental irréversible.

Ce trouble est donc inné, mais d’origine environnementale, non génétique.

2. COMMENT ÉTUDIER L’IMPACT DES GÈNES ET DE L’ENVIRONNEMENT ?

Partons d’un exemple concret : le trouble obsessionnel-compulsif est une

« maladie familiale », en ce sens que lorsqu’une personne est atteinte, la probabilité qu’une autre personne le soit également est plus forte que ce que l’on observe dans la population générale. Mais savoir cela ne nous dit pas si ce phénomène est dû à la présence de caractéristiques génétiques identiques chez les personnes atteintes

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ou au fait qu’elles vivent dans le même environnement familial. Dès lors, trois principales méthodes ont été utilisées pour déterminer la contribution respective des gènes et de l’environnement : les recherches sur les jumeaux, sur les enfants adoptés et, plus récemment, sur les marqueurs génétiques.

a Les recherches sur les jumeaux

Les jumeaux monozygotes (« vrais jumeaux »), issus d’un même œuf, ont le même patrimoine génétique, tandis que les dizygotes (« faux jumeaux ») n’ont en commun, en moyenne, que la moitié de leurs gènes. En comparant le taux de corrélation entre vrais jumeaux d’une part, et entre faux jumeaux d’autre part, sur un trait particulier, on peut déterminer la part d’influence respective de la génétique et de l’environnement. Ainsi, si un trait était entièrement déterminé par les gènes, le coefficient de relation génétique serait de 1 pour les vrais jumeaux (totale identité génétique) et de 0,5 pour les faux jumeaux.

Par ailleurs, les vrais jumeaux élevés séparément permettent théoriquement d’évaluer l’impact de l’environnement, puisque l’influence génétique est identique pour chacun des enfants. Cette situation est aujourd’hui rare. De plus, les travaux de René Zazzo (1910-1995) montrent les limites de cette méthodologie. En effet, cet auteur a mis en évidence le « paradoxe des jumeaux », processus qui pousse certains jumeaux élevés ensemble à agir d’une manière qui leur permet de se construire une personnalité différenciée1.

b Les recherches sur les enfants adoptés

Le problème majeur dans les études au sein de la famille est que les ressemblances entre frères et sœurs peuvent être dues à l’hérédité partagée ou à l’environnement partagé.

Les études sur l’adoption évitent cette difficulté. Les ressemblances entre enfants d’une même famille biologique mais élevés séparément sont liées à des facteurs génétiques. Inversement, les ressemblances entre enfants n’ayant pas de lien biologique mais adoptés dans une même famille sont dues à des influences environnementales communes.

c La recherche de marqueurs génétiques

Le Téléthon nous a habitués à la réalité des maladies d’origine génétique. De la même manière, des généticiens s’efforcent de découvrir les liens entre certaines particularités génétiques et tel ou tel comportement, trait de personnalité, etc.

3. LE PARADIGME INTERACTIONNISTE

Si, dans le passé, certains auteurs ont pu adopter des positions radicales dans ce débat, privilégiant soit un environnementalisme quasi absolu, soit un « généticisme » inéluctable, les conceptions actuelles sont devenues plus ouvertes. La grande majorité des chercheurs contemporains refusent l’opposition dichotomique entre

1. Zazzo R. (1984).Le Paradoxe des jumeaux, Paris, Stock.

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gènes et environnement, et adoptent une approche interactionniste. En fait, se demander ce qui est le plus important, des gènes ou de l’environnement, équivaut à s’interroger sur ce qui est le plus important pour déterminer la surface d’un rectangle : la longueur ou la largeur ? ; ou encore le plus important pour faire un trajet : la voiture ou l’essence ? Génétique et environnement sont inextricablement liés dans l’existence de chaque être humain.

Ainsi, la génétique, après avoir été longtemps mise à l’index, particulièrement en raison des atrocités nazies, est de plus en plus acceptée dans l’univers scientifique.

Mais les généticiens eux-mêmes ont généralement une vision non déterministe de leur discipline. Par exemple, Pierre Roubertoux affirme que « l’idée d’une relation quasi mécanique, d’une causalité linéaire entre gène, fonctionnement neuronique et comportement — ou phénotype, plus généralement — a vécu1». Ainsi, plusieurs gènes peuvent concourir à une même caractéristique humaine, et un gène peut influencer plusieurs facettes de l’individu. Il y a un réseau complexe de multiples causalités.

Voici trois exemples de recherche mettant en évidence ces liens complexes de causalité : tout d’abord deux études, rapidement décrite, l’une concernant la schizophrénie, l’autre la criminalité, illustrent le fait qu’une prédisposition génétique peut se manifester ou non, selon le type d’environnement ; ensuite une étude présentée plus en détail, montre l’influence respective des gènes et de l’environnement sur l’intelligence.

Une étude réalisée en Finlande a montré que les enfants adoptés qui avaient un parent biologique schizophrène avaient plus de probabilités de développer un ensemble de troubles psychiatriques (dont la schizophrénie) que les enfants adoptés sans risque génétique, mais seulement s’ils étaient adoptés dans des familles au comportement parental inadapté2.

Une recherche a été menée auprès d’enfants dont les parents biologiques avaient un parcours criminel3. S’ils étaient adoptés dans une famille fonctionnant bien, 12 % de ces enfants manifestaient une légère criminalité à l’âge adulte. Mais s’ils étaient adoptés dans des familles à risque, ce taux s’élevait à 40 %.

4. L’EXEMPLE DE L’INTELLIGENCE

De nombreuses études ont fait appel à des enfants adoptés pour étudier l’impact de l’environnement ou de la génétique sur l’intelligence. Mais l’on peut aboutir à des résultats très différents selon la méthodologie utilisée.

1. Roubertoux P. (2004).Existe-t-il des gènes du comportement ?, Paris, Odile Jacob, p. 73-74.

2. Tienari Pet al. (1994). « The Finnish adoptive family study of schizophrenia : implications for family research »,British Journal of Psychiatry, 164 (suppl. 23), 20-26.

3. Bohman, M. (1996). « Predisposition to criminality : Swedish adoption studies in retrospect », in G.R. Bock et J.A. Goode (éd.).Genetics of Criminal and Antisocial Behavior(p. 99-114). Chichester, England, Wiley.

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Si l’on s’intéresse surtout aux parents adoptants, on constatera l’impact de l’environnement ; en revanche, si l’on s’intéresse surtout aux parents biologiques, on constatera l’impact de la génétique.

Ainsi, une étude de Michel Schiff et ses collaborateurs a porté sur des enfants d’ouvriers peu qualifiés, abandonnés à la naissance, et adoptés vers 4 mois par une famille dont le père se situait dans un niveau proche des cadres supérieurs1. Le QI de ces enfants adoptés s’est avéré sensiblement supérieur à la moyenne nationale (109 contre 100). À l’inverse, leurs frères et sœurs biologiques qui avaient été élevés dans la famille d’origine ont obtenu des scores de QI de 95. L’adoption a donc permis une élévation de 14 points de quotient intellectuel. De plus, le taux d’échec scolaire est quatre fois moins important dans le premier groupe que dans le deuxième.

Inversement, le QI d’enfants adoptés est d’autant plus élevé que la famille biologique est d’un niveau socio-économique élevé. Ici, c’est la génétique qui permet le mieux d’expliquer cette différence.

Une étude a fait appel aux deux méthodes2. Menée par Christiane Capron et Michel Duyme, du CNRS, sur des enfants adoptés, d’une moyenne d’âge de 14 ans, elle aboutit aux résultats dutableau 25.1.

Tableau 25.1. Impact conjoint de la génétique et de l’environnement sur le QI d’enfants adoptés.

Parents adoptants Écart : 11,65 points de QI

1. Schiff M., Duyme M., Dumaret A., Stewart J., Tomkiewicz S. et Feingold J. (1978).«Intellectual status of working-class children adopted early into upper-middle-class families »,Science, 200 (4349), 1503-1504.

2. Capron C. et Duyme M. (1989). « Assessment of effects of socio-economic status on IQ in a full cross-fostering study »,Nature, 34, no6234. 552-554.

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Entre autres informations, ce tableau met en évidence une différence de 11,65 points de moyenne de QI entre les enfants (bas du tableau), selon qu’ils ont été adoptés par des parents à haut ou à bas niveau socio-économique. Un résultat qui va dans le sens d’une influence environnementale.

Mais il y a également une différence de 15,55 points de QI entre les enfants (droite du tableau), selon que leurs parents biologiques étaient de haut ou bas niveau socio-économique. Un résultat qui va dans le sens d’une influence génétique. Les auteurs précisent cependant, à propos de ce second résultat qu’il ne faut pas oublier l’impact possible de l’environnement prénatal et que cette différence ne peut donc être entièrement attribuée à la génétique1.

Signalons enfin, pour la petite histoire « idéologique » le fait suivant. Cette étude a fait l’objet d’un compte rendu le même jour dansLe Monde et dansLe Figaro2. Ce dernier a titré « Les chemins de l’intelligence innée » etLe Mondea titré « Le coefficient intellectuel des enfants adoptés dépend de leur environnement socio-économique ». Sans commentaire.

5. UNE TROISIÈME SOURCE DE DIFFÉRENCES ?

Notons pour finir que la génétique et l’environnement ne semblent pas suffire pour expliquer les différences individuelles. Une troisième source, épigénétique, semble également jouer un rôle. L’épigénèse est une théorie biologique selon laquelle un organisme n’est pas préformé mais se développe progressivement. Selon une équipe de chercheurs hollandais, des processus épigénétiques non linéaires peuvent créer de la variabilité dans toutes les facettes physiologiques et comportementales d’un individu, grâce à des propriétés auto-organisatrices émergentes3. Ces processus sont rarement repérés dans les études de statistiques réalisées avec des êtres humains, car ils sont confondus avec les influences environnementales, en particulier au sein de la famille.

6. BIBLIOGRAPHIE

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1. Sur l’impact de l’environnement prénatal sur le quotient intellectuel, voir Devlin B., Daniels M. et Roeder K. (1997). « The heritability of IQ »,Nature, 388, 31 juillet, 468-470.

2. 22 août 1989.

3. Molenaar P.C.M., Boomsma D.L. et Dolan C.V. (1993). « A third source of developmental differences »,Behavior Genetics,23 (6), 519-524.

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Le fonctionnement

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