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La psychologie économique

Dans le document Jacques Lecomte (Page 90-93)

La psychologie économique s’est intéressée à divers domaines tels que les conduites d’épargne, les conséquences psychologiques du chômage, l’impact du marketing ou encore les motivations d’achat. Mais au cours des dernières décennies, elle s’est surtout fait remarquer par la remise en question radicale qu’elle a provoquée de la vision « standard » de l’économie. Ceci a été couronné par le prix Nobel d’économie 2002, attribué non seulement à un économiste (Vernon Smith), mais également à un psychologue (Daniel Kahneman). Tous deux, ainsi que d’autres chercheurs, mènent depuis de longues années des travaux expérimentaux qui ont fortement ébranlé les convictions des économistes.

Pour bien comprendre cette évolution, il faut tout d’abord partir de l’homo œconomicus, représentation théorique de l’être humain et fondement de la théorie économique. Deux attitudes essentielles le caractérisent : d’une part, il est rationnel et donc apte à analyser avec justesse les données qu’il reçoit ; d’autre part, il est égoïste, mû essentiellement par son intérêt personnel. Double postulat aujourd’hui contesté.

1. L’ÊTRE HUMAIN NE FAIT PAS DES CHOIX RATIONNELS

Deux prix Nobel d’économie, Maurice Allais, puis surtout Herbert Simon (prix Nobel en 1978) avaient déjà ébranlé l’édifice. En particulier, Simon a montré que les individus optent généralement pour des choix satisfaisants plutôt que des choix optimaux, ce qu’il a qualifié de rationalité limitée.

Mais ce sont surtout Daniel Kahneman et Amos Tversky (décédé en 1996) qui ont établi des liens entre économie et psychologie cognitive. Au travers de multiples études expérimentales, ils ont mis en évidence que les décisions des acteurs économiques, loin d’être rationnelles, sont souvent sous-tendues par des erreurs de jugement et d’interprétation, ce que ces auteurs appellent des heuristiques.

Ces deux auteurs ont proposé en 1979 la théorie des perspectives (prospect theory), dont un des aspects majeurs est que lorsqu’un individu se trouve dans une situation incertaine, il accorde plus d’importance, dans son calcul, aux pertes possibles qu’aux gains envisageables1. Les heuristiques permettent aux individus de prendre rapidement des décisions, mais ne constituent en rien des raisonnements logiques pertinents, contrairement à ce que prétend la théorie économique classique.

1. Kahneman D. et Tversky A. (1979). « Prospect theory : An analysis of decision under risk », Econometrica,47 (2), 263-291.

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Une étude de terrain a d’ailleurs montré que les échanges réalisés par des traders au sein du London Stock Exchange ressemblent plus à des choix aléatoires qu’à des décisions strictement rationnelles1.

2. L’ÊTRE HUMAIN EST MOINS ÉGOÏSTE QU’ON NE LE PENSE SOUVENT

De multiples résultats d’études ont remis en question le second postulat majeur de la théorie économique classique selon lequel les individus sont égoïstes et essentiellement motivés par leur intérêt personnel. Ces expériences utilisent ce que l’on appelle des « jeux », c’est-à-dire des situations dans lesquelles le comportement de chaque participant est en interaction avec celui d’une autre personne. Elles sont à chaque fois représentatives d’un « dilemme social », c‘est-à-dire d’un conflit entre l’intérêt individuel et l’intérêt d’autrui, voire l’intérêt collectif.

Prenons par exemple « le jeu de l’ultimatum ». Au cours de cet exercice, les sujets doivent se répartir une certaine somme d’argent. Ils sont informés de ce montant, ils ne se connaissent pas et ne communiquent pas entre eux. Le joueur 1 doit faire une offre au joueur 2. Si celui-ci accepte, il reçoit le montant offert et le joueur 1 garde la différence. S’il refuse, ils ne reçoivent rien. Il s’agit donc d’une situation de type « à prendre ou à laisser », ce qui explique l’appellation

« ultimatum ». La théorie économique classique prévoit que le joueur 1 va faire une offre très peu généreuse, et que le joueur 2 acceptera n’importe quelle offre, puisqu’après tout, cela est préférable à ne rien avoir du tout. Or ce n’est pas du tout ce qui se passe. Le joueur 1 offre généralement 40 %-50 % de l’argent disponible à l’autre personne. Quant au joueur 2, s’il est confronté à une offre basse (moins de 25 % de l’argent disponible), il la rejette la plupart du temps. Le motif qu’il invoque alors est, comme on peut le deviner, qu’il considère que la proposition faite est injuste. Une des études, menées en Indonésie, a montré que ces réactions ont lieu même lorsque la somme mise en jeu correspond à trois mois de salaire2.

Des chercheurs ont également étudié l’impact de sanctions. Ces études montrent que, quelle que soit la somme accordée par le joueur 1, la somme retournée par le joueur 2 est environ deux fois plus élevée lorsque l’individu 1 choisit explicitement de ne pas faire usage de sanctions à son égard que lorsqu’il décide de sanctionner.

Par ailleurs, lorsque les jeux sont répétés à plusieurs reprises avec les mêmes personnes, le degré de coopération augmente au fil du temps. Cela permet en quelque sorte au joueur 1 (celui qui accorde l’argent) de se construire une réputation aux yeux de l’autre et de s’y conformer, même s’ils ne font pas connaissance.

Signalons enfin une nouvelle réjouissante pour les individus portés à l’altruisme.

Lorsque les joueurs coopèrent, cela active une zone de leur cerveau appelée striatum, qui est associée au sentiment de satisfaction et de récompense.

1. Farmer J.D., Patelli P. et Zovko I. (2005). « The predictive power of zero intelligence, in financial markets »,Proceedings of the national academy of sciences, 10 (6), 2254-2259.

2. Cameron L.A. (1999). « Raising the Stakes in the Ultimatum Game : Experimental Evidence from Indonesia »,Economic Enquiry, 37, 47-59.

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3. UNE RATIONALITÉ ALTRUISTE

Ces comportements ont fait dire à certains que la théorie économique se trompe au sujet de la nature humaine1. En revanche, ils sont parfaitement explicables et rationnels si l’on remplace la conception économique traditionnelle par une autre vision de l’être humain selon laquelle celui-ci fonde son comportement à la fois sur l’intérêt personnel et sur l’intérêt d’autrui.

Dans cette nouvelle orientation, deux types d’explication ont été fournis de ce comportement :

• l’aversion pour l’inégalité : l’individu n’apprécie pas d’avoir moins que les autres, mais pas non plus que les autres aient moins que lui ;

• La prévision des intentions d’autrui : l’individu souhaite que le partenaire qui lui semble bien intentionné retire un gain élevé, et inversement que le partenaire qu’il perçoit comme malintentionné n’obtienne qu’un faible gain.

Les recherches menées jusqu’à présent montrent que les deux « stratégies » peuvent être présentes, mais que c’est plutôt la prévision des intentions d’autrui qui domine. À noter à ce sujet qu’il peut y avoir une « spirale vertueuse ». Si chacun anticipe de bonnes intentions chez l’autre, les sujets vont coopérer, ce qui leur démontrera qu’ils avaient raison de considérer leur partenaire comme digne de confiance.

4. BIBLIOGRAPHIE

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EBER N. et WILLINGER M. (2005).

L’Économie expérimentale, Paris, La Décou-verte.

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GAUTHIERB.Y.M. (2006).Les Neurosciences et l’économie, mémoire en économie, document disponible sur Internet.

GIRONDE S. (2008). La Neuro-économie, comment le cerveau gère mes intérêts, Paris, Plon.

LASSARRED. (1995)Psychologie sociale et économie, Paris, Armand Colin.

MANGOTM. (2007).50 petites expériences de psychologie de l’épargnant et de l’investis-seur, Paris, Dunod.

Problèmes économiques (2005).

Numéro 2883, sur les « Nouveaux regards sur l’homo œconomicus ».

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1. Vaillancourt Rosemau P. (2006). « Is economic theory wrong about human nature ? »,Journal of Economic and Social Policy, 10 (2), 61-78.

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