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la parodie pour s’en sortir

Dans le document Rions ! La place du rire en architecture (Page 128-132)

“Il faut rire de l’absurdité qu’on ne peut enlever au monde.”7

Nous avons la faculté d’encaisser les erreurs architecturales. Certes nous sommes les victimes de première ligne, mais nous pouvons faire preuve de souplesse, à l’inverse des architectes qui nous font du tort. Tel un roseau, le peuple peut plier sous la contrainte et éviter de rompre. Ainsi, le rire est l’arme par laquelle nous pouvons nous approprier les œuvres de l’Architecte, lorsque celui n’a pas su écouter les brimades émanant de la société. Cela ne rend pas l’architecture meilleure, mais nous aide à supporter ses excès de folie.

La parodie est l’un des biais les plus courants par lesquels nous tournons en dérision des réalités qui nous meurtrissent. Le rire aide ainsi à faire passer la pilule.

Preuve en est cette animation de l’artiste Sergej Hein, qui s’amuse à reconstruire les grands logements soviétiques berlinois à la manière du jeu vidéo Tetris.

‘‘The idea is based on a kind of parody of the former Socialist building style. They used to build whole cities where each house was designed identically to

create cheap housing for workers. These «blocks» were so similar that in Soviet times, you could easily

wake up at a friends place in another city and still feel like you are in your flat. Even the furniture was

the same.’’8

L’artiste dénonce ici le style résolument monotone de l’architecture berlinoise héritée de l’époque soviétique. Il joue notamment avec le fait que ces édifices gigantesques sont construits comme on empile des blocs les uns sur les autres. L’analogie avec le jeu vidéo Tetris tombe à pic !

7 Jean-Pierre Martel, Les Oeuvres Complètes de Marguerite T-Barné, Paris, Cercle du Livre de France, 1973, 157 p.

8 {‘‘L’idée est basée sur une forme de parodie du style des anciens bâtiments socialistes. Ils construisaient des villes entières où chaque maison était iden- tique afin de créer des logements ouvriers bons-marché. Ces «blocs» étaient si ressemblants que, pendant l’époque soviétique, tu pouvais facilement te réveiller dans la chambre d’un ami dans une autre ville, en ayant la sensation d’être toujours chez toi. Même les meubles étaient identiques.’’}

Sergej Hein, Berlin Block Tetris, Janvier 2016 http://sergejhein.com/Berlin-Block-Tetris

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Ainsi, dans l’animation, ces blocs tous identiques viennent s’agglutiner jusqu’à monter trop haut et atteindre le point critique du ‘‘Game Over’’. On retrouve assez évidemment le caractère mécanique du comique dé- crit dans la théorie bergsonienne. Finalement, Hein nous démontre ici avec humour que l’exigence architecturale qui motivait les soviétiques ne dépassait pas la bête logique d’un jeu vidéo d’arcade.

Subsiste néanmoins cette architecture imposante, uniformisée, standardisée et déshumanisée où tout se ressemble dans une morosité ambiante. Le vice étant poussé jusqu’à son paroxysme avec un mobilier lui aussi standardisé. Quelle folie ! Le travail de Hein ne fera pas dis- paraître les blocs soviétiques du tout Berlin, mais il fera rire certains et aidera les habitants à essuyer l’affront de tant de radicalisme.

L’humour est tout aussi palpable chez Jordi Colomer, artiste ca- talan qui s’est amusé, dans sa série des ‘‘Anarchitektons’’, à parodier plusieurs édifices à travers le monde. Il photographie ainsi, du Brésil au Japon en passant par l’Europe, un manifestant armé d’une maquette géante qui n’est pas sans rappeler l’aliénation qui touche l’architecture environnante.

Sergej Hein, Berlin Block Tetris, Janvier 2016, captures d’images

http://sergejhein.com/Berlin-Block-Tetris, [consulté le 15/05/2016]

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Dénonçant la hauteur exagérée des hôtels barcelonais en bord de mer, les immenses façades publicitaires d’Osaka et les barres d’im- meubles vétustes qui foisonnent à Brasilia, l’œuvre le Colomer reven- dique une grande part de subversion.

En effet, le titre d’‘‘Anarchitektons’’ ne s’est pas vu affublé de ce préfixe par hasard : la série joue avec humour sur le ton de l’anarchie. En voyant ce manifestant esseulé, dénonçant ces icônes architecturales, on a l’impression que l’artiste nous invite à le rejoindre. Là où précédem- ment le rire n’était destiné qu’à ‘‘faire passer la pilule’’, il est ici le moyen par lequel Colomer fait passer un message de révolte contre l’hégémo- nie de ces aliénations architecturales. Révolte à laquelle il souhaiterait nous voir prendre part.

Jordi Colomer, Anarchitekton (Barcelona), Tirage lambda contrecollé sur aludibon, 2004 Anarchitekton (Osaka) Anarchitekton (Brasilia) http://www.jordicolomer.com/, [consulté le 15/05/2016]

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La parodie joue donc un rôle important dans le processus par lequel nous controns les effets néfastes de l’architecture. Pour Philippe Trétiack, c’est même notre meilleure arme. Il va même jusqu’à affirmer que c’est seulement par le rire qu’un ‘‘faux-pas’’ architectural peut se faire accepter dans la société. En se retrouvant affublé d’un surnom hu- moristique, le bâtiment se fait adopter par ses usagers. Sans ce trait d’esprit risible, l’architecture n’est que contrainte.

Le ‘‘petit nom‘‘ comme dit Trétiack est une marque d’affection. Il permet à la société de s’approprier son architecture, aussi détestée soit- elle.

‘‘Comme les Bruxellois le sont devant le Parlement Européen requalifié de Caprice des Dieux, comme les Londoniens séduits par le Cornichon

(Gherkin) édifié par Norman Foster, comme les romains devant la Machine à écrire, pesant édifice érigé en hommage à l’empereur Vic-

tor-Emmanuel II,

comme encore les Shangaïens quand ils contemplent le sommet du Décapsuleur

[...] ils étaient chez eux car ils avaient baptisé d’un petit nom ce qui les avait hier meurtris. Ils avaient apprivoisé la bête. Le petit nom est une marque

d’affection, comme une bourrade amicale. [...] La distanciation critique reste la meilleure arme de défense face aux agressions d’architectures

omnivores. Des verrues plaquées en force on finira par en rire. [...]

Règle 7

Quand un bâtiment détesté est affublé d’un petit nom, c’est qu’il a fini par se faire adopter.’’9

9 Philippe Trétiack, L’architecture à toute vitesse : 56 règles glanées autour du

monde, Paris, Seuil, 2016, 304 p.

Le caprice : Atelier Espace Léopold , Parlement Européen de Bruxelles, Bruxelles, Belgique, 1995

http://www.isabelledurant.eu/2014/03/bruxelles-capitale-de-leurope-leurope-capital-pour-bruxelles/, [consulté le 10/05/2016 ]

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