• Aucun résultat trouvé

l’architecte enchaîné

Dans le document Rions ! La place du rire en architecture (Page 99-102)

‘‘Je crois que chercher une corrélation entre art et architecture relève de la dodécaphonie, voire de

l’atonie. L’art est une maîtresse infidèle. […] Les artistes sont au courant. Pas les architectes.

Les artistes opèrent à la limite de la lisibilité poli- tique. Les architectes activent la décision politique.

[…] Il faut être raisonnable.

Leur réflexion, pour exister, doit affronter les normes en vigueur, sécurité codifiée, urbanisme à la

réglementation dantesque, droit de la construction, etc. On est assez loin de l’autonomie des artistes.’’1

* Le doigt d’honneur de Frank Gehry, agacé par la question ‘‘stupide’’ d’un jour- naliste en conférence de presse, le 23 Octobre 2014

Karissa Rosenfield, ‘‘Frank Gehry Claims Today’s Architecture is (Mostly) «Pure Shit»”, Archdaily, 23/10/2014, http://www.archdaily.com/560673/frank-gehry-claims-today-s-architecture-is-most- ly-pure-shit, [consulté le 01/06/2016]

1 Rudy Ricciotti, L’architecture est un sport de combat / Conversation avec David

d’Equainville [p. 75], Textuel, Paris, 2013, 96 p.

ECOLE

NATIONALE

SUPERIEURE

D'ARCHITECTURE

DE NANTES

DOCUMENT

SOUMIS

AU DROIT

D'AUTEUR

e l l e c o u r t , e l l e c o u r t l a m a l a d i e d ’ h u m o u r

96

A P P L I Q U O N S !

Les propos de Rudy Ricciotti sont le commencement d’une expli- cation à l’absence de rire que nous avions constaté en première partie. Pour lui, l’Architecte n’est pas un artiste à proprement parler. Il n’est en tout cas pas un artiste comme les autres. En effet, contrairement à un écrivain ou un sculpteur, l’Architecte porte sur ses épaules le fardeau d’enjeux sociaux, politiques et économiques qui altèrent son processus de création. Sous la pression importante des clients, on l’imagine mal avoir envie de ‘‘blaguer’’.

Ainsi, dans ‘‘La Grappe‘‘, pièce de théâtre du collectif nantais

Extra-Muros, il nous est donné à voir les relations entre un architecte-ur-

baniste et l’équipe des élus municipaux d’une ville imaginaire. Tout au long de la pièce, poussés par des intérêts économiques, le maire et son conseiller viennent bafouer les intentions de l’architecte. Une incompré- hension totale réside alors entre ces différents acteurs. Les élus justifient toutes leurs actions avec une poésie de bas étage. Ils improvisent un concept de ville en forme de ‘‘grappe’’ et non plus en forme de ‘‘pêche’’. Ils critiquent la folie de l’architecte et lui commandent des ‘‘rues connec- tées et intelligentes, vertes et généreuses’’, qui laisseraient transparaître une ‘‘sérénité créative’’2. Face à tant de contradictions, difficile alors pour

l’Architecte d’être fidèle à ses idées et encore plus de rechercher l’effet comique. L’Architecte a beau lutter, il dépend toujours des volontés du marché auxquelles il doit se plier s’il veut que ses réalisations se concré- tisent.

‘‘Le problème c’est que l’architecture est censée res- pecter des règles, entrer dans certains paramètres.

Au diable ! Tout ça ne rime à rien ! Moi je ferai ce que je sais faire de mieux, et c’est le marché qui

décidera si c’est bien ou non.’’3

Attention cependant, nous l’avons appris à travers notre petit inventaire théorique : donner à rire en architecture ne se fait pas né- cessairement au détriment de l’objet produit. Certains édifices qui sont volontairement risibles fonctionnent très bien. Néanmoins, il nous faut reconnaître que le rire ne doit pas être le dessein premier de l’Architecte. Ce serait une aliénation ! L’Architecte produit pour autrui. Il y a là une dimension sociale forte qui explique en partie la distinction qui existe entre art et architecture.

2 Benjamin Thomas, La Grappe [pièce de théâtre], Collectif Extra-Muros, Nantes, 2016

3 Frank Gehry [cité par Franco La Cecla], Contre l’architecture, Paris, Arléa, 2010, 174 p.

ECOLE

NATIONALE

SUPERIEURE

D'ARCHITECTURE

DE NANTES

DOCUMENT

SOUMIS

AU DROIT

D'AUTEUR

97

e l l e c o u r t , e l l e c o u r t l a m a l a d i e d ’ h u m o u r

‘‘Le temps passé à mener à bien un projet prend des années, huit ans pour le Pavillon Noir, onze ans pour le MuCEM. Une vie pour raconter une histoire

architecturale qui tienne debout.’’4

Le titre des entretiens entre Rudy Ricciotti et David d’Equainville ne s’y trompe pas : l’architecture est un sport de combat. Comme le souligne l’architecte, un édifice comme le MuCEM est le fruit de plusieurs années de travail, d’une lutte acharnée pour faire entendre ses intentions. Bref, un travail de longue haleine. Quand on comprend l’enjeu de ‘‘toute une vie’’ qui se cache derrière chaque production, on comprend que le rire ait tendance à s’absenter des cimaises...

À cette pression colossale s’ajoute une constante angoisse. En effet, si l’Architecte encaisse une pression exercée par les acteurs exté- rieurs et par lui-même, il doit aussi faire avec la peur de mal faire. Nul architecte n’est à l’abri d’une erreur. Cela fait beaucoup de paramètres anxiogènes à gérer. Il relèverait de la mauvaise foi et d’une exigence folle de vouloir que l’Architecte nous fasse rire malgré tout.

‘‘Et, en cas de problème, la garantie décennale est à sa charge, en son nom toujours. Ce métier est vrai-

ment un métier anxiogène. La peur de mal faire, qu’il faut dépasser,

se niche au sein de chaque projet.’’5

Néanmoins, il existe des architectes tels qu’Édouard François qui sont les exceptions qui confirment la règle. Dans une tentative de végéta- liser la façade de son ‘‘Immeuble qui pousse’’ à Montpellier, l’architecte a osé projeter du lisier de port sur son édifice... Tentative ratée dont il s’amuse aujourd’hui.

‘‘Elle consiste, une fois la façade réalisée, à proje- ter dessus des engrais organiques avec des graines

pour nourrir la façade. J’avais trouvé l’idée très séduisante, sans trop savoir ce qu’étaient ces fameux

engrais organiques. L’immeuble a été arrosé de lisier de porc. Une superbe couleur marron bien profonde. Une odeur infernale. L’immeuble était en

pleine commercialisation, on a failli se fâcher avec le promoteur.

4 Rudy Ricciotti, op.cit. [p. 81] 5 Rudy Ricciotti, op.cit. [p. 53]

ECOLE

NATIONALE

SUPERIEURE

D'ARCHITECTURE

DE NANTES

DOCUMENT

SOUMIS

AU DROIT

D'AUTEUR

e l l e c o u r t , e l l e c o u r t l a m a l a d i e d ’ h u m o u r

98

A P P L I Q U O N S !

[…] Même encore aujourd’hui ce n’est pas un bon sujet de conversation. Avec le temps, on finira bien

par en rire.’’6

Dans le document Rions ! La place du rire en architecture (Page 99-102)

Documents relatifs