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Rions ! La place du rire en architecture

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Rions ! La place du rire en architecture

Théo Batiste

To cite this version:

Théo Batiste. Rions ! La place du rire en architecture. Architecture, aménagement de l’espace. 2016.

�dumas-01389993�

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année 2015-2016 | Mémoire master | sous la direction de marie-Paule halgand ENSA NANTES | DE1 Architecture contemporaine : cultures, pratiques, critiques

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Remerciements

À Marie-Paule Halgand pour son suivi, ses bons conseils et son ouverture d’esprit qui m’ont permis d’aborder ce mémoire avec enthou-siasme.

À ma mère pour ses recommandations et sa relecture. Et plus généralement à ma famille pour son soutien inébranlable et permanent.

À ma copine pour sa relecture.

À mes colocataires pour leur exigence intellectuelle. À mes amis, mes camarades et tous ceux qui me font rire au quotidien.

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Introduction

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• CONSTATONS!

01 • une mauvaise élève ?

02 • david contre goliath

03 • la théorie des moldus aware

SOMMAIRE

II

• APPRENONS!

01 • PETIT INVENTAIRE Théorique

02 • planète - maquette

03 • architecte - pantin

III

• APPLIQUONS!

01 • elle court, elle court la maladie D’HUMOUR

02 • rire pour innover

03 • un bienfaiteur social

conclusion

bibliographie

table des matières

7 11 13 25 33 45 131 93 47 134 95 65 138 107 79 119

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Peut-on rire de tout ? À première vue il semble qu’on ait beaucoup de mal en ce qui concerne l’architecture !

Le titre de ce mémoire n’est pas anodin : c’est un ordre ! Née du constat personnel que l’humour est bien trop peu présent en architecture, la démarche proposée ici est une progression méthodique afin que nous réussissions à exécuter cet ordre dans notre chère discipline : Rions !

Pour cela, nous allons tenter de répondre ensemble aux questions suivantes : Comment parvenir à rire de l’architecture, et pourquoi est-ce important ?

Constatons ensemble quels sont les obstacles au rire et tentons d’expliquer leurs origines ! Apprenons à laisser une place à l’humour dans la perception que nous avons de notre environnement !

Et enfin appliquons-nous à rire de bon cœur, c’est le remède à bien des maux de l’architecture !

Introduction

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une puberté tardive

‘‘L’humour vient tout seul à l’homme comme les poils au pubis.’’1

Il semble que dans le monde de l’architecture, la puberté mette du temps à produire ses effets. Pourtant, les architectes ne sont certaine-ment pas dénués de second degré. Le rire fait partie intégrante de notre quotidien à tous. Il nous libère bien souvent de la lourdeur de nos trains de vie. Alors pourquoi rions-nous si peu dès qu’il s’agit d’architecture ? La question peut étonner, elle mérite en tout cas d’être posée. Elle naît du constat personnel que l’Architecture avec un grand ‘‘A’’ peine à

accueil-* Erwin Wurm, Peter Weiber, Erwin Wurm, Ostfildern, Hatje Cantz Verlag, 2002, 280 p.

Ben, http://www.envrak.fr/arts/, [consulté le 10/10/2015]

John Cage, http://www.jmdarremont.net/tag/john-cage/, [consulté le 10/10/2015]

Samuel Beckett, http://www.feuillesderoute.net/Beckettrire.htm, [consulté le 10/10/2015]

Raymond Queneau, https://chaaabert.com/, [consulté le 10/10/2015]

Charlie Chaplin, http://charliechaplinfr.forumsfree.org/, [consulté le 10/10/2015]

Le Corbusier, http://www.artnet.com/artists/, [consulté le 10/10/2015]

1 Pierre Desproges

une mauvaise élève ?

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lir l’humour en son sein. Du moins, le rire n’y apparaît pas de manière spontanée et naturelle comme le laisserait sous-entendre l’analogie de Pierre Desproges.

Dans mon entourage, de très rares personnes confient le souvenir d’avoir ri devant une oeuvre architecturale. Cela s’explique peut-être par un manque d’éducation. Une sensibilité architecturale sous-développée. Nous aborderons cette question plus tard dans ce mémoire.

un manque d’humour déploré

‘‘Any expression of reality must be in architecture, and also the sense of humour. Because, to be always

serious, like most of architects are, is very boring.’’2

Des étudiants en architecture aux étudiants tout court, en passant par les gens ‘‘normaux’’, entre ceux qui n’y connaissent rien et ceux qui s’en fichent, peu de personnes racontent avoir déjà éclaté de rire devant un objet architectural. Les édifices nous fascinent, nous émerveillent, nous

2 {‘‘Toutes les expressions de la réalité doivent être présentes en architecture, y

compris le sens de l’humour. Parce qu’être tout le temps sérieux, comme le sont la majorité des architectes, c’est très ennuyeux.’’}

Marc Santo, Unbuilt : Gaetano Pesce [Interview vidéo en ligne], Crane.TV, 26/11/2014, http://www.crane.tv/unbuilt-gaetano-pesce, [consulté 11/12/2015]

Gaetano Pesce, Open Heart, New-York City, États-Unis, 2003, non réalisé

Crane TV, http://www.crane.tv/unbuilt-gaetano-pesce, [consulté le 11/12/2015]

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dégoûtent, nous révoltent ou nous indiffèrent. Ils font donc partie de notre paysage émotionnel, mais paradoxalement ils ne nous font que très ra-rement rire. Cette absence d’humour dès qu’il s’agit d’architecture est largement déplorée dans le milieu.

À l’instar de Gaetano Pesce, architecte et designer italien, qui se désole du sérieux des architectes et de l’ennui qu’ils répercutent sur leurs productions. Il n’hésite pas à bousculer les codes établis et se risque volontiers au ridicule. Pour le projet du nouveau World Trade Center à New York, il a donc proposé cet exubérant Open Heart, comme un

rap-pel naïf du cœur rouge qui orne le célèbre logo ‘‘I love New York’’ des t-shirts de la Grande Pomme. L’image désolera certains et fera rire les autres, les goûts et les couleurs ne se discutent pas. L’homme qui fera rire l’humanité entière n’est pas encore né, néanmoins on ne peut reprocher à Gaetano Pesce d’avoir essayé de titiller nos zygomatiques. Il y a dans ce projet une volonté de faire rire. Bien peu de tentatives architecturales ont la même ambition.

‘‘J’ai l’impression que l’architecture est gravement malade. [...] À quelques exceptions près, l’humour a

disparu des cimaises.’’3

L’architecture mauvaise élève ?

Une hypothèse probable est que le rire se fait discret dans les arts en général. Peut-être que l’écrivain, le peintre et le sculpteur peinent au-tant que l’architecte à donner une place à l’humour dans leurs travaux ? De manière générale, le public semble mieux percevoir l’humour dans les œuvres non-architecturales que dans les œuvres architecturales. Pour tenter d’illustrer la véracité de cette thèse, soyons académiques. Procédons à une rapide exploration à travers les six arts que sont la sculpture, la peinture, la musique, la littérature, les arts de la scène et le cinéma. Le rire est-il spontanément présent dans chacun de ces arts ? Bien qu’incapables d’une quelconque exhaustivité, dressons ensemble une collection de références qui illustrent une certaine représentation du rire dans chaque discipline.

3 Rudy Ricciotti, L’architecture est un sport de combat / Conversation avec David

d’Equainville [p. 24], Textuel, Paris, 2013, 96 p.

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20/20 pour la sculpture

Entre un Erwin Wurm qui vous fait prendre part à des sculptures éphémères complètement absurdes le temps d’une minute, en vous met-tant dans des postures ridicules suivant un protocole précis4; un Hirotoshi

Itoh qui transforme avec magie trois pierres en un groupe de joyeux lar-rons pris d’un fou rire; et enfin un Piero Manzoni qui eut l’idée farfelue de pérenniser ses excréments dans une boîte de conserve sous le titre presti-gieux de ‘‘Merde d’Artiste‘’, les occasions de rire ne manquent pas dans le monde de la sculpture. Que celui qui n’esquisse pas le moindre sourire face à l’une de ces œuvres jette la première pierre à ce mémoire... Mais qu’il le fasse avec tendresse pour pouvoir en lire la suite !

La peinture, toujours au poil

Les trois œuvres qui suivent nous permettent de démontrer que la présence de l’humour dans l’art n’est pas un monopole de l’art contem-porain, représenté ici par la nonchalance du coup de bluff de Ben. Mais cela fait des siècles que l’artiste use de l’humour.

À l’image des traits grossiers du paysan d’Arcimboldo, tout en

4 Peter Weiber, Erwin Wurm, Ostfildern, Hatje Cantz Verlag, 2002, 280 p.

Erwin Wurm, One Minute Sculptures, 1997 Hirotoshi Itoh, Stone Work, 2010 Piero Manzoni, Merda d’Artista, 1961

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navets et en carottes, qui nous regarde du haut de ses 426 ans. De plus, si l’art - ici la peinture - nous fait rire à travers les âges, il nous fait égale-ment rire à travers les continents.

C’est le cas de l’œuvre de Kawanabe Kyōsai, figure de proue de la fin de l’époque Edo, et du Warai, l’art de faire rire dans la peinture traditionnelle japonaise5. Sa représentation de la ‘‘bataille des pets’’

fini-ra de séduire les plus fins d’entre nous.

La musique sur le bon ton

Difficile de faire vivre un air de musique à travers les lignes de ce mémoire. Néanmoins, la musique aussi recèle de musiciens en tous genres pour qui composer avec humour était chose courante. Camille Saint-Saëns nous a ainsi livré en 1886 la suite musicale pour orchestre

Le Carnaval des Animaux, dont le 11ème mouvement ‘‘Pianistes’’ simule le travail laborieux d’un pianiste novice révisant ses gammes, les amochant de-ci de-là de quelques fausses notes et dissonances risibles6.

La dérision était aussi dans les cordes d’Erik Satie. Ce dernier l’a souvent démontré, notamment dans le titre qu’il donnait à ses œuvres.

5 Wukali, L’humour dans l’art japonais warai,

http://www.wukali.com/l-humour-dans-l-art-japonais-warai#.V1gwU74qcYx, [consulté le 01/06/2016] 6 Musiphil, Le Carnaval des animaux, http://www.musiphil.org/stsaens/,

[consul-té le 20/05/2016]

Giuseppe Arcimboldo, L’Homme Potager, 1590, http://arts.clg.berlioz.online.fr/doc6e/arcimboldo/gallery.xml, [consulté le 13/03/2016]

Kawanabe Kyōsai, La Bataille des Pets, 1871, http://www.wukali.com/l-humour-dans-l-art-japonais-warai/, [consulté le 01/06/2016]

Ben, L’art c’est du bluff, 1995, http://radicalart.info/concept/ArtAgainstArt/Ben/, [consulté le 13/03/2016]

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Agacé par les conseils de son ami Claude Debussy - qui lui recomman-dait de plus travailler la ‘‘forme‘‘ de ses œuvres - Satie a composé en 1903 ‘‘Trois Morceaux en Forme de Poire’’. Titre qui aurait d’autant plus plu aux surréalistes (qui naquirent plus tard), vu qu’il comprenait... sept morceaux7.

Dans un registre plus contemporain, John Cage - musicien et plasticien américain né en 1912 et mort en 1992 - a démontré que le rire avait sa place dans la musique contemporaine. Travaillant sur une approche très conceptuelle du son, le compositeur disait accepter que certaines de ses productions sonores fassent rire son auditoire et ne dé-sirait pas lutter contre cela. Bien que le comique ne soit pas forcément l’effet recherché, Cage soufflait par exemple à la surface de l’eau avec une paille. Le son émis dénotant avec la solennité du concert, certains membres de l’assistance ne pouvaient s’empêcher de rire8.

La littérature, toujours le bon mot

‘‘Par les bois du Djinn, où s’entasse de l’effroi, Parle et bois du gin !… ou cent tasses de lait froid.’’

‘‘Aidé, j’adhère au quai ; lâche et rond je m’ébats. Et déjà, des roquets lâchés rongent mes bas.’’ ‘‘Ah ! Vois au pont du Loing, de là, vogue en mer, Dante !

Hâve oiseau, pondu loin de la vogue ennuyeuse.’’9 LE PETIT ENDROIT

‘‘Vous qui venez ici dans une humble posture, Débarrasser vos flancs d’un importun fardeau,

Veuillez, quand vous aurez soulagé la nature Et déposé dans l’urne un modeste cadeau, Épancher dans l’amphore un courant d’onde pure,

Puis, sur l’autel fumant, placer pour chapiteau Le couvercle arrondi dont l’auguste jointure Aux parfums indiscrets doit servir de tombeau.’’10

7 Étale Ta Culture, L’humour grinçant d’Erik Satie, http://www.etaletaculture.fr/ arts/lhumour-grincant-derik-satie/, [consulté le 20/05/2016]

8 Vivian Perlis, John Cage – I have nothing to say and I am saying it [DVD], Paris, Diffusion CNC / Images de la Culture, 1990, 54 min.

9 Alphonse Allais, À se tordre, Paris, Ollendorff, 1891, extraits

10 Alfred de Musset, Correspondances de George Sand et d’Alfred de Musset,

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ÉGOCENTRISME ‘‘Je m’attendais au coin de la rue

J’avais envie de me faire peur En effet lorsque je me suis vu

J’ai reculé d’horreur Faisant le tour du pâté de maisons Je me suis cogné contre moi-même

C’est ainsi qu’en toute saison On peut se distraire à l’extrême’’11

La poésie a une puissance qui se prête plus à une citation courte qu’un roman par exemple. Voilà pourquoi ne sont exposés ici que des vers de poésie. Le brio des mots d’esprit d’Alphonse Allais a marqué la Belle Époque. Quelques-uns de ses vers holorimes - vers totalement homophones - sont retranscrits ici.

Alfred de Musset peut se vanter de faire rire le lecteur de son poème. Ce dernier lui étant d’autant plus reconnaissant qu’il lui permet de tuer l’ennui lorsqu’occupé au petit coin. Statistiquement, 62,5% des ménages français ont déjà affiché ce poème dans leurs toilettes.

Raymond Queneau, quant à lui, séduira les adeptes du surréa-lisme. Fondateur du mouvement littéraire de l’OuLiPo - pour ‘‘Ouvroir de Littérature Potentielle’’ - l’absurde guette bon nombre de ses vers.

Un bon point pour les arts de la scène

Ce sont certainement ces disciplines qui se prêtent le plus effi-cacement au comique. Difficile de ne pas rire en lisant ce dialogue de Molière, entre Arnolphe et Agnès, qui s’opère autour d’un parfait qui-proquo, comme un numéro d’équilibriste, sur un fil entre courtoisie et obscénité.

Difficile encore de ne pas s’imaginer les débattements absurdes d’Estragon et Vladimir, les personnages le Samuel Beckett qui, du fait de leur bêtise, ne parviennent pas, l’un et l’autre, à retrouver leurs chapeaux respectifs. Ils abandonnent finalement au moment où ils avaient réussi... L’explication est décidément aussi absurde que la scène elle-même! Dans cette didascalie ridiculement longue, Beckett démontre que le comique repose aussi sur un bon sens du rythme. On imagine déjà le jeu des deux

Bruxelles, E. Deman, 1837

11 Raymond Queneau, Le Chien à la Mandoline, Paris, Gallimard, 1965

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comédiens sur scène, tel un numéro de clowns.

On retrouve cette importance du rythme dans les chorégraphies de la troupe Stomp. Ce sont des mises en scènes humoristiques de notre vie quotidienne où, par exemple, un groupe de simples balayeurs, bros-sant et frappant le sol se transforme en orchestre de percussions12.

‘‘ARNOLPHE. - Oui, mais que faisait-il étant seul avec vous? AGNES. - Il disait qu’il m’aimait d’une amour sans seconde,

Et me disait des mots les plus gentils du monde, Des choses que jamais rien ne peut égaler, Et dont, toutes les fois que je l’entends parler, La douceur me chatouille, et là dedans remue Certain je ne sais quoi dont je suis tout émue.

ARNOLPHE. - (Bas, à part.)

O fâcheux examen d’un mystère fatal, Où l’examinateur souffre seul tout le mal!

(Haut.) Outre tous ces discours, toutes ces gentillesses,

Ne vous faisait-il point aussi quelques caresses?

AGNES. - Oh! tant! il me prenait et les mains et les bras,

Et de me les baiser il n’était jamais las.

ARNOLPHE. - Ne vous a-t-il point pris, Agnès, quelque autre

chose?

(La voyant interdite.) Ouf!

AGNES. - Eh! il m’a... ARNOLPHE. - Quoi? AGNES. - Pris... ARNOLPHE. - Euh? AGNES. - Le... ARNOLPHE. - Plaît-il? AGNES. - Je n’ose,

Et vous vous fâcherez peut-être contre moi.

12 Stomp, Out Loud, Universal Video, 1997, https://www.youtube.com/ watch?v=fN5T8y8bCJ4 [consulté le 28/05/2016]

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ARNOLPHE. - Non. AGNES - Si fait.

ARNOLPHE. - Mon Dieu! non. AGNES. - Jurez donc votre foi. ARNOLPHE. - Ma foi, soit.

AGNES. - Il m’a pris... Vous serez en colère. ARNOLPHE. - Non.

AGNES. - Si.

ARNOLPHE. - Non, non, non, non. Diantre! que de mystère!

Qu’est-ce qu’il vous a pris?

AGNES. - Il...

ARNOLPHE. - (à part.) Je souffre en damné.

AGNES. - Il m’a pris le ruban que vous m’aviez donné.

A vous dire le vrai, je n’ai pu m’en défendre.’’13

‘‘Estragon prend le chapeau de Vladimir. Vladimir ajuste des deux mains le chapeau de Lucky. Estragon met le chapeau de Vladimir à la place du sien qu’il tend à Vladimir. Vladimir prend le chapeau d’Estragon. Estragon ajuste des deux mains le chapeau de Vladimir. Vladimir met le chapeau d’Estragon à la place de celui de Lucky qu’il tend à Estragon.

Estragon prend le chapeau de Lucky. Vladimir ajuste des deux mains le chapeau d’Estragon. Estragon met le chapeau de Lucky à la place de

celui de Vladimir qu’il tend à Vladimir. Vladimir prend son chapeau. Estragon ajuste des deux mains le chapeau de Lucky. Vladimir met son chapeau à la place de celui d’Estragon qu’il tend à Estragon. Estragon prend son chapeau. Vladimir ajuste son chapeau des deux mains.

Estra-gon met son chapeau à la place de celui de Lucky qu’il tend à Vladimir. Vladimir prend le chapeau de Lucky. Estragon ajuste son chapeau des deux mains. Vladimir met le chapeau de Lucky à la place du sien qu’il tend à Estragon. Estragon prend le chapeau de Vladimir. Vladimir ajuste

des deux mains le chapeau de Lucky. Estragon tend le chapeau de Vladi-mir à VladiVladi-mir qui le prend et le tend à Estragon qui le prend et le tend à

Vladimir qui le prend et le jette. Tout cela dans un mouvement vif.’’14

13 Molière, L’École des Femmes [acte II, scène 5], Paris, Librio, 1662

14 Samuel Beckett, En Attendant Godot [p. 101], Paris, Éditions de Minuit, 1952, 134 p.

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Félicitations du jury pour le cinéma

Plus jeune que les arts abordés précédemment, le cinéma a vite rattrapé son retard en matière de productions humoristiques. Les comé-dies, récentes ou anciennes, sont légion dans le 7ème art.

Les adeptes d’humour anglais ont été séduits par les situations loufoques dans lesquelles se retrouvent les personnages des films des

Monthy Pythons.

Les plus chauvins d’entre nous n’ont quant à eux cessé de rire de-vant les péripéties de Pierre Brochan et du ‘‘con de son dîner’’ François Pignon, dont la bêtise n’a d’égal que son amour pour les maquettes en allumettes.

Charles Crichton, Un Poisson Nommé Wanda, Metro-Goldwyn-Mayer, 1988, 1 h 48 min. Francis Veber, Le Dîner de Cons, Gaumont, EFVE, TF1 Films Production, 1998, 1 h 17 min. Stomp, Out Loud, Universal Video, 1997, 45 min.

https://miloupartenlive.wordpress.com/2009/12/08/, [consulté le 7/01/2016]

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Enfin, les amateurs de films en noir et blanc se sont inclinés devant le génie et le courage de Chaplin, dénonçant à travers l’un des films les plus drôles de l’histoire du cinéma la folie de la période la plus sombre du XXème siècle.

Zéro de conduite pour l’architecture ?

La présence de ces œuvres dans ce modeste catalogue humo-ristique n’enlève rien au génie de chacune d’entre elles, ni à leur pouvoir artistique fort. Peut-être avons-nous même parfois vu du comique là où l’auteur lui-même n’en voyait pas... Cela importe peu.

Cette première approche, malgré sa simplicité, a le mérite de montrer que le rire foisonne dans l’art. Cependant, quiconque mène de rapides recherches, dans une bibliothèque ou même sur internet, trouve-ra facilement des œuvres comiques enclines à le faire sourire... Excepté pour ce qui est de l’architecture.

Avant d’aborder la suite de ce mémoire, nous allons supposer que cela est faux : supposer qu’il y a autant d’œuvres potentiellement comiques dans l’architecture que dans les autres domaines artistiques; et supposer que le problème ne vient pas de l’architecture elle-même, mais du rapport que nous avons avec elle.

La question qui se pose alors logiquement est la suivante: Pourquoi éprouvons-nous tant de difficulté à rire de l’architecture ?

Charlie Chaplin, Le Dictateur, Charles Chaplin Productions, 1940, 2 h 04 min.

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une longue histoire

Avant de progresser dans ce mémoire, il est important de com-prendre comment naît le rire. Cette saccade respiratoire n’est pas si simple que cela à traiter. Depuis des siècles, nombre de philosophes et de sociologues se sont frottés à ce sujet épineux : Socrate, Démocrite, Diogène, Erasme, Rabelais, Kant, Spinoza, Nietzsche, Herbert Spen-cer… Nous allons nous intéresser plus précisément aux travaux de l’un d’entre eux : Henri Bergson, auteur en 1900 d’une théorie du rire mo-derne et séduisante1. Brillante par sa rigueur, elle a rencontré un vif

suc-cès lors de sa publication et demeure encore aujourd’hui une référence philosophique dans le registre du comique.

* Jean-Jacques Sempé, Un peu de Paris, Gallimard, Paris, 2001, 65 p.

1 Henri Bergson, Le Rire : Essai sur la Signification du Comique, Paris, GF Flam-marion, 1900, 270 p.

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rire contre émotion

‘‘Le rire n’a pas de plus grand ennemi que l’émotion. Je ne veux pas dire que nous ne puissions rire d’une personne qui nous inspire de la pitié, par exemple,

ou même de l’affection : seulement alors, pour quelques instants, il faudra oublier cette affection,

faire taire cette pitié.’’2

Ce point est un des fondements de la théorie bergsonienne : le rire ne rime pas avec compassion… Ou avec passion tout court d’ail-leurs. Il n’est pas un fait du cœur, il est au contraire un fait de l’esprit. Voilà déjà le début d’une explication qui s’entrevoit : on ne pourra rire d’une architecture dès lors qu’elle nous émouvra, nous fascinera, ou nous dominera. Or il semble que l’architecture tende naturellement à nous intimider.

Un réel complexe

‘‘Soldats ! Du haut de ces pyramides, quarante siècles vous contemplent.’’3

2 Henri Bergson, op. cit.

3 Napoléon Bonaparte, Embabèh, à quelques kilomètres des pyramides de Gizeh, le 21 juillet 1798

Jean-Jacques Sempé, op. cit.

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Peu de gens accordent une grande sensibilité à leur environ-nement bâti, et beaucoup avouent souvent s’en ficher un peu... Mais ignorer quelque chose qui conditionne à ce point la manière dont nous vivons relève d’un complexe qu’on ne s’avoue pas. Comme un complexe d’infériorité.

L’explication la plus triviale à cela se trouve dans un problème bê-tement physique. L’architecture nous intimide déjà du fait de ses dimen-sions. À l’instar des soldats de Général Bonaparte, au pied des grandes pyramides, difficile de ne pas se sentir petit face à un objet architectural qui - sauf exceptions - nous dépasse physiquement. Si c’est vrai pour des édifices pris individuellement, ça l’est encore plus pour des villes entières. En témoignent les quelques dessins de Jean-Jacques Sempé, disséminés de-ci de-là, qui croquent avec légèreté et poésie le rapport des parisiens avec leur ville. Bien que ce ne soit certainement pas l’intention première du dessinateur, ses illustrations sont un révélateur très intéressant du lien que nous tissons avec notre architecture. Ce rapport d’échelles déséqui-libré entre l’homme et son environnement bâti se retrouve tant horizonta-lement que verticahorizonta-lement.

Jean-Jacques Sempé, op. cit.

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Tantôt, ce sont les immeubles haussmanniens hauts de plusieurs étages qui viennent projeter leur ombre sur la façade d’en face, comme des monstres en ombres chinoises. Les passants marchant sur le trottoir profitent alors rarement de maigres rais lumineux, comme pris en étau dans des mâchoires ombragées. En se projetant à la place de ces pas-sants, on ressent une forme palpable d’écrasement.

Tantôt, c’est l’étalement des villes qui n’est plus à taille humaine. La traversée d’un boulevard sur passage clouté se transforme ainsi en épreuve de sprint. La ville est devenue hostile. Le ciel noir en arrière-plan et l’armée de phares sur les starting-blocks achèvent de donner à la scène un sentiment d’oppression

Une autre explication de ce ‘‘complexe d’infériorité’’, moins immédiate, relève d’une approche conceptuelle. L’architecture repose sur des idées. Des productions intellectuelles et physiques qui voyagent au fil du temps et de l’espace. Tels les soldats napoléoniens au pied de quarante siècles d’Histoire, difficile pour nous, simples mortels, de juger ces édifices et ces idées qui ont traversé les âges pour nous parvenir. Les aborder sans complexe est plus facile à dire qu’à faire.

Jean-Jacques Sempé, op. cit.

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Trop-plein d’informations

‘‘A force d’aller toujours plus avant et plus haut au risque d’exploser, New York est devenue une ville

écrasante, inouïe, violente, excitante et vivace.’’4

Dans des villes telles que New-York, où les dimensions de l’archi-tecture sont poussées à l’extrême, le sentiment d’intimidation est encore plus important. Mais un autre facteur, indépendant des dimensions des édifices, renforce ce ressenti. C’est l’accumulation d’informations. L’archi-tecture prend mille et une formes, mille et une proportions et mille et une couleurs. Elle se pare de façades et d’intérieurs tous différents les uns des autres. Pour un œil non avisé, il est facile de se sentir rapidement perdu au milieu de tout cela. De ne plus pouvoir faire le tri et ne plus savoir à quoi se raccrocher.

La citation ci-dessus insiste ainsi non seulement sur l’aspect ‘‘écra-sant’’ de la ville de New-York, mais aussi sur sa ‘‘vivacité’’. On l’imagine noyée sous une marée d’informations. Un bouillon d’images et d’archi-tectures dont il est difficile d’émerger.

4 H. I. Brooks, Titre d’article inconnu, The New York Times, 03/11/1935, p. 55

Jean-Jacques Sempé, op. cit.

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‘‘Et fenêtre et fenêtre et fenêtre et Fenêtre et fenêtre et autre porte autre

Porte autre porte autre porte. Jusqu’au plus dur de l’infini moderne

Avec son enfer de feu quadrillé Et la patrie de la géométrie Qui remplace la patrie de l’homme.’’5

5 Pablo Neruda [cité par Franco La Cecla p. 115], Contre l’architecture, Paris, Arléa, 2010, 174 p.

Jean-Jacques Sempé, op. cit.

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Les mots de Pablo Neruda, écrivain-poète chilien du milieu du XXème siècle, vont aussi dans ce sens. La figure de style de la répétition donne au poème un ton très las; comme usé par la succession monotone de ces portes et fenêtres, qui ne sont plus qu’un amas dans lequel on ne sait plus trier l’information. Portes. Portes. Portes. Et fenêtres. Fenêtres. Fenêtres n’ouvrent plus que sur un infini indigeste où l’homme ne trouve plus sa place. C’est la géométrie qui régit désormais la ville moderne.

D’emblée, il semble donc que notre rapport à l’architecture soit biaisé. Celle-ci suscite bien souvent chez nous intimidation et crainte.

Dans une vision bergsonienne de la chose, aucun rire ne pourra émerger tant que ces émotions n’auront pas été combattues. Comment alors pouvons-nous espérer rire de l’architecture qui nous entoure ?

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la théorie des moldus Aware

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de la nécessité d’être aware

‘‘Je pense donc je suis.’’1

C’est un fait désormais : l’architecture nous domine. Mais il semble que nous n’en rions pas, simplement parce que nous n’osons pas. Ou tout simplement parce que nous ne savons pas que nous pouvons le faire. À travers un petit exercice Cartésien, nous avons le pouvoir de nous émanciper de ce complexe d’infériorité. Se questionner à propos d’une quelconque domination, c’est déjà une manière de se sortir de ce rapport de force. Un moyen de cesser de se sentir écrasé.

Ce que René Descartes suggère, c’est donc d’abord d’opérer une prise de conscience. Sans cela, rien ne pourra émerger. Les mots du philosophe étant quelque peu datés, on préférera une approche plus contemporaine du ‘‘cogito ergo sum’’, à travers la prose d’un penseur émérite du XXIème siècle : Jean-Claude Van Damme.

* Jean-Claude Van Damme,

http://www.premiere.fr/Series/News-Series/, [consulté le 17/03/2016]

1 René Descartes, Le Discours de la méthode, Paris, Librio, 1637

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‘‘Je suis méfiant. I am aware de la méfiance. Et la méfiance, elle est méfiante. C’est-à-dire que je mets en jeu de comprendre ce qu’il se passe : la méfiance est là, et je suis conscient de cette méfiance. C’est-à-dire que la méfiance est une chose qui

t’ap-partient, qui colle à ta peau. L’amour, la méfiance, la peur, la faim, la peine, la joie, la méchanceté… Tout ça c’est des élé-ments de nos vies. Et quand t’es conscient de ces choses, tu peux

les atténuer et progresser dans les choses bonnes. […] C’est-à-dire : tu es conscient de ces choses, donc tu peux commencer à

les compresser jusqu’à les atténuer. Et tu peux pousser avec ta conscience – being aware – sur les choses meilleures de ta vie,

et tu deviens beaucoup plus successful.

Tu deviens une histoire de succès à cause de la conscience des choses et ça c’est le mot « aware ».’’ 2

Cette citation de Jean-Claude Van Damme, bien que prêtant à sourire, n’a pas sa place dans ce mémoire par hasard. Malgré toutes les moqueries qu’a pu essuyer le karatéka, cette théorie du ‘‘being aware‘‘ (‘‘avoir conscience‘’ en anglais) n’est rien d’autre qu’un ‘‘cogito ergo sum‘‘ du XXIème siècle.

Au-delà de cette reformulation très imagée, ce qui est intéressant, c’est que Van Damme s’exprime avec ses propres mots. Certes il ne peut rivaliser avec l’éloquence de Descartes, mais il a le mérite de s’être ap-proprié son propos. Et c’est bien là l’essentiel !

2 {‘‘Je suis méfiant. Et je suis conscient de cette méfiance. Cette méfiance-là est

donc méfiante vis-à-vis d’elle-même. C’est-à-dire que je me dois de comprendre ce qu’il se passe : la crainte est là, et je suis conscient de sa présence. C’est une chose qui t’appartient, qui colle à ta peau. L’amour, la méfiance, la peur,

la faim, la peine, la joie, la méchanceté… Toutes ces passions sont des éléments de nos vies. Et quand tu es conscient de ces passions, tu peux les maîtriser et t’élever moralement. […] Autrement dit : tu es conscient de leur présence, tu peux donc commencer à les compresser jusqu’à les atténuer. Et tu peux, à proprement parler, agir par la pensée – en étant conscient – sur les valeurs de ton existence, et tu deviens beaucoup plus sain. Tu deviens un libre penseur grâce à la conscience de tes passions et ça c’est le mot ‘‘aware’’.’’}

Frédéric Benudis et Carole Thomé, Dans la peau de Jean-Claude Van Damme [Reportage vidéo], M6, Docs de Choc, 07/05/2003, https://www.youtube.com/ watch?v=JtCwLXMMOd4, [consulté le 02/04/2016]

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un langage à s’approprier

Descartes et Van Damme nous enseignent donc que lorsque nous sommes dominés, nous avons le pouvoir d’annuler la force qui nous écrase, simplement en prenant pleinement conscience de notre faiblesse. Nous parviendrons alors à nous émanciper de nos passions, à voir les choses telles qu’elles sont et non telles qu’elles nous paraissent. De ce regard éclairé pourra alors émerger le rire.

Cependant, le tableau n’est pas si blanc. Bien souvent des la-cunes d’expression nous empêchent d’entrevoir la moindre opportunité de nous approprier notre environnement.

S’approprier ce dernier, c’est tout simplement en être ‘‘aware‘‘ comme dirait notre ami belge. Le saisir dans sa globalité, avec tout ce qu’il suscite en nous comme émotions. Mais cela suppose que nous ayons les mots pour que ce cheminement de pensée ait lieu.

Cette appropriation n’est donc ni aisée, ni immédiate. Elle naît de l’expression d’une certaine sensibilité architecturale chez l’individu, mais cette dernière est rarement excitée. L’incapacité à exprimer cette

Jean-Jacques Sempé, op. cit.

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sensibilité débouche logiquement sur une incapacité à s’approprier le monde qui nous entoure.

Si on interroge des personnes lambda dans la rue et qu’on on leur demande ce qu’elles pensent du monde qui les entoure, de l’environnement bâti dans lequel elles évoluent. Peu de chances que l’on obtienne des té-moignages très instructifs et pertinents. Certains avoueront honteusement qu’ils n’y connaissent rien, d’autres s’en sortiront en disant que c’est comme ça depuis longtemps et qu’ils s’y sont faits, tandis que les derniers déver-seront des banalités qui n’engagent en rien leur sensibilité personnelle. Serait-il possible que l’architecture indiffère à ce point le commun des mortels ? Les concepts architecturaux sont-ils une mascarade destinée à une élite déconnectée de la population ?

Si l’on se fie à Lewis Mumford, historien de la deuxième moitié du XXème siècle qui a beaucoup travaillé sur la thématique des villes, il semblerait que non.

‘‘Dans la ville, le temps devient lisible […] et laisse une trace sur l’esprit même des ignorants et des

indifférents.’’ 3

La ville, et par extension l’architecture, marquent donc sensible-ment chacun d’entre nous, y compris ceux qui se prétendent indifférents. La question est de savoir si ces traces d’architecture peuvent potentiel-lement germer. Si les gens ont du mal à exprimer leur point de vue propre, c’est certainement parce qu’ils ne cultivent pas leur sensibilité. Bien sûr, c’est facile pour ceux d’entre nous qui abordent l’architecture au quotidien. Mais ça relève de la science-fiction pour beaucoup d’autres dont cette sensibilité n’a jamais été exprimée, stimulée ou parfois même soupçonnée.

Malheureusement, il ne suffit pas de faire parler les gens de leur cadre de vie pour que leur sensibilité s’éveille. Les architectes, urbanistes et sociologues qui sont chargés de récolter des témoignages ou des retours sur le terrain rencontrent beaucoup de difficultés à obtenir des informations sensibles, pertinentes et honnêtes de la part des habitants. En pratique, il est très difficile de faire parler une personne de la percep-tion qu’elle a de son environnement. Généralement, lorsqu’un habitant est questionné de manière spontanée, ils a tendance à ‘‘paniquer’’. Son

3 Lewis Mumford [cité par Mickaël Darin p. 28], La Comédie Urbaine, Gollion, Infolio Editions, 2009, 559 p.

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vocabulaire s’appauvrit. Par manque de lexique spécifique, il a tendance à s’exprimer dans un vocabulaire très pauvre, et de se cantonner à n’ex-poser que des faits objectifs4 . À l’instar de cet habitant de l’Immeuble

qui pousse conçu par Édouard François à Montpellier.

‘‘À l’intérieur, c’est pas comme à l’extérieur, c’est vraiment bien.

Et comme je ne vais jamais sur mon balcon, je ne vois jamais l’extérieur, alors ça ne me gêne pas.’’5

On remarque ici l’emploi d’un vocabulaire peu diversifié qui ne témoigne pas vraiment d’une sensibilité propre de l’interviewé. L’accu-mulation de phrases débutant par ‘‘c’est’’, ‘‘c’est pas’’ va dans le sens d’un essoufflement lexical. Par peur de dire des bêtises, et à cause d’un sentiment d’‘‘intrusion’’ de l’interviewer dans leur intimité, les habitants ne livrent que rarement des anecdotes subjectives. Heureusement, il existe quelques contre-exemples. À l’image de cet autre habitant Mont-pelliérain.

‘‘C’est pas l’an deux mille, c’est l’an débile. Faire pousser des plantes sur les murs d’une bâtisse alors que partout on s’évertue à mettre de l’anti-mousse.

Je vous jure !’’6

Ce témoignage a le mérite d’être brut. Mais rares sont ceux qui osent se mouiller comme cet habitant. Avec son franc-parler et son sar-casme, il témoigne malgré tout d’un réel ressenti sensible de site. Il im-porte peu ici de savoir si ce qu’il dit est fondé ou non. Ce qui nous intéresse, c’est l’honnêteté du propos.

Ce témoignage est également intéressant car il est très représen-tatif de la tendance qu’ont les gens à souligner les points négatifs de leur environnement. En effet ce sont des vérités relativement établies et objectives qui ne font écho à aucun avis personnel. Par peur de dire des bêtises, ils se limitent à une énumération de défauts. Ainsi les phrases se succèdent sans jamais apporter la moindre information intéressante. Moins on prend de risque, mieux on se porte!

4 Théa Manola, « Rapports multisensoriels des habitants à leurs territoires de vie, Retours critiques sur une démarche méthodologique », Norois, Rennes, 2013, n°227, pp. 25-42

5 Édouard François, L’immeuble qui pousse, Jean-Michel Place/Architecture, Paris, 2000, 30 p.

6 Édouard François, op. cit.

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‘‘Ça ne laisse pas indifférent. C’est de l’extrême. Dans le quartier, la majorité des gens n’aime pas. Mais ceux qui aiment, ils adorent. Pour ma part, je

n’ai pas d’opinion.’’ 7

Tous les symptômes de ce qu’on pourrait appeler une ‘‘panique de questionnaire’’ sont présents ici. Avec une maladresse assez drôle, la personne interrogée commence par dire que ça ne laisse personne indifférent, avant de se contredire en affirmant qu’elle n’a pas d’opinion. Elle souligne au passage le côté extrême qui déplaît massivement dans le quartier. Tous ces propos vides de vérité ne facilitent pas le travail des investigateurs. Il est tout de même intéressant de voir que même confrontés à une innovation architecturale majeure et fantaisiste telle que l’immeuble de François, les gens demeurent en majorité insensibles… Du moins en façade.

Un problème de moldus

Connaissez-vous Harry Potter ? Certes la référence de J. K. Rowling n’est pas des plus littéraires, mais elle a pour elle le mérite de se dérouler dans un imaginaire riche.

Harry Potter vit sur notre planète, dans la ville de Surrey, dans la banlieue du Grand Londres. Il mène une petite vie banale... À un détail près : Harry est un sorcier. Il étudie à l’École des Sorciers de Poudlard, où il côtoie des gens doués de pouvoirs comme lui. Ce qui est intéressant dans cette saga romancière, c’est qu’il y a une ségrégation entre sorciers et ‘‘moldus‘‘ : les gens qui n’ont pas de pouvoirs magiques. Il y a de plus une ignorance unilatérale : les sorciers côtoient les moldus mais les mol-dus n’ont absolument pas conscience de l’existence de ces sorciers. Peut-être qu’Harry Potter n’est pas une fiction et alors peut Peut-être sommes-nous nous-mêmes des moldus, persuadés à tort que la magie n’existe pas.

Bref! Là n’est pas le propos. L’analogie avec le roman devient in-téressante dès lors que l’on compare nos charmants habitants montpellié-rains à des moldus, et les amateurs d’architecture à des sorciers. N’ayant jamais été éduqués à une autre vérité, les moldus sont incapables d’ima-giner un monde hors de leurs codes. Il faut donc réveiller leur sensibilité. Leur montrer qu’ils ont longtemps ignoré l’existence des sorciers, mais qu’ils ont les moyens de prétendre aux mêmes pouvoirs qu’eux.

7 Edouard François, op. cit.

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Ça n’est ni plus ni moins qu’un manque d’éducation qui nous empêche de nous approprier le monde qui nous entoure. Le rire ne peut donc naître que d’une éducation au langage architectural.

Dans cette optique, certaines techniques permettent de pousser plus loin l’investigation et d’obtenir des informations plus intimes et inté-ressantes. Elles visent à éduquer les habitants en leur apprenant à opérer une sorte de lâcher-prise et à livrer leur perception du monde.

Chercheuse au laboratoire CRESSON de l’ENSA Grenoble, Théa Manola s’intéresse au ressenti des environnements architecturaux. Elle a expérimenté une approche d’investigation alternative en trois phases8

dont le principe est le suivant : plus on avance dans les phases, plus le témoin prend des initiatives dans la production de matière sensible, et plus la matière recueillie devient intime et personnelle.

La première phase qu’elle propose est une phase d’entretiens. Ils constituent un premier contact entre l’enquêteur et le sujet, comme une manière de briser la glace.

La seconde étape consiste en un parcours du quartier. Sur le ter-rain, les propos recueillis deviennent plus concrets et surtout plus spon-tanés.

Enfin, la troisième phase s’appuie sur ce qu’elle appelle des ‘‘ba-luchons multisensoriels’’. Ils contiennent un appareil photo jetable, un mi-crophone, un carnet de notes et sont confiés aux habitants pendant une semaine. Ils sont ainsi libres de produire de la matière sensible ou non et choisissent le format : photo, audio ou papier. L’acte étant volontaire, ce qui en résulte est potentiellement plus honnête et plus fiable. Cette méthode est certes chronophage, elle a l’avantage de dresser une réalité plus proche de ce qu’expérimentent les habitants, comparée à un simple micro-trottoir par exemple.

Ses résultats sont très intéressants et montrent que quiconque donne un peu de son temps pour apprendre à rouvrir les yeux parvient à s’approprier son environnement. Contrairement au monde d’Harry Potter, les moldus ne sont ici pas destinés à le rester toute leur vie, et c’est en étant ‘‘aware‘‘ qu’ils parviendront à changer de statut.

8 Théa Manola, op. cit.

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Rire, c’est pas sorcier

La discrétion du rire en architecture s’expliquerait donc par le fait que les moldus éprouvent beaucoup de difficulté à s’approprier leur environnement bâti. En effet, trop de gens masquent leurs lacunes pour exprimer leur sensibilité architecturale derrière une fausse indifférence.

Ces moldus doivent donc recevoir une éducation visant à éveiller leur sensibilité. Ainsi, ils pourront comprendre des éléments de langage architectural qui leurs étaient inaccessibles auparavant.

De tout ce processus mental pourrait alors naître le rire !

Jean-Jacques Sempé, op. cit.

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Avec cette illustration, Sempé finit de nous montrer qu’il a su s’ap-proprier l’environnement urbain parisien. Il se permet même de tourner dérision la rupture d’échelle entre l’Homme et le monument qu’est la Tour Eiffel. Il met ainsi en scène un peintre marchant sur le Champ de Mars, échelle à l’épaule, en direction de la tour. Comme si un petit bonhomme comme ça avec son échelle ridicule allait repeindre la structure entière !

Avez-vous remarqué le pouvoir comique de cette simple illus-tration ? Le dessinateur tourne ici en dérision ce que nous redoutions quelques paragraphes en arrière, à savoir l’architecture aux dimensions monumentales.

Le rire semble donc avoir un pouvoir rétroactif. Celui qui tourne l’architecture en dérision ouvre les yeux des moldus qui sont encore dans l’ignorance, et accélère ainsi le processus par lequel ils vont s’approprier leur environnement. Eux-mêmes pouvant alors rire à leur tour et ainsi de suite. C’est un cercle vertueux !

“Quand vous êtes très jeune, l’humour est une défense. Par la suite, il peut devenir une arme.”9

Maintenant que nous avons constaté quels étaient les obstacles au rire en architecture, il est plus qu’important d’apprendre à user du comique dans cette discipline !

9 René Goscinny, Source inconnue

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PETIT INVENTAIRE théorique

01

un enjeu de taille

Étudier la place du rire en architecture est un exercice particulier qui fait nécessairement appel à des jugements très subjectifs. L’analyse menée dans ce mémoire est de toute évidence subjective et ne peut pré-tendre à une quelconque universalité. Néanmoins, en s’intéressant à la nature profonde du rire, il est possible de tendre vers plus d’objectivité. De nombreux philosophes se sont attaqués au sujet. L’enjeu est important : dresser une théorie autour de cette explosion respiratoire, aussi fami-lière qu’impalpable, qui fonde notre humanité.

‘‘Mieulx est de ris que de larmes escrire, Pour ce que rire est le propre de l’homme.’’1

* Henri Bergson, photographié en 1948

VAEA, www.vaea.biz/Adolphe-lydie/correspondance.php, [consulté le 13/01/2016]

1 {‘‘Mieux vaut traiter du rire que des larmes,

Parce que le rire est le propre de l’homme.’’}

François Rabelais, Prologue du Gargantua, 1534

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A p p r e n o n s !

L’avantage de la théorie de Bergson, c’est que le philosophe - mathématicien de formation - a élaboré son analyse selon une approche quasi-scientifique qui confère à son travail une unité logique et une sim-plicité jusqu’alors jamais vue dans l’histoire de la philosophie.

C’est sa théorie qui va servir de base à l’analyse que nous allons mener dans cette partie. Le but est d’expliciter - avec le plus de rigueur possible - l’origine du rire, de comprendre quels sont ses lois et ses règles et quelles sont ses différentes modalités d’expression.

Auteur à 41 ans du Rire: Essai sur la signification du comique, et

prix Nobel de Littérature à 68 ans, Bergson mérite bien une photo dans ce mémoire.

Une origine humaine

‘‘Il n’y a pas de comique en dehors de ce qui est proprement humain. Un paysage pourra être beau,

gracieux, sublime, insignifiant ou laid ; il ne sera jamais risible. On rira d’un animal, mais parce qu’on aura surpris chez lui une attitude d’homme ou une expression humaine. On rira d’un chapeau; mais ce qu’on raille alors, ce n’est pas le morceau de feutre ou de paille, c’est la forme que des hommes lui

ont donné, c’est le caprice humain dont il a pris le moule.’’2

Avant d’aller plus loin avec l’analyse de cette citation, il est impor-tant de clarifier certains points lexicaux vis-à-vis de l’œuvre de Bergson. D’une part, on associera toujours directement le concept du ‘‘comique’’ au rire. D’autre part, l’adjectif ‘‘risible’’ présent dans cet extrait est régu-lièrement utilisé par le philosophe mais ne présente pas la connotation péjorative qu’on lui connait aujourd’hui. ‘‘Risible‘‘ désigne ici simplement quelque chose qui peut potentiellement provoquer le rire.

Ce que nous apprend le philosophe ici, c’est qu’il n’y a de co-mique que ce qui est humain. Si un objet nous fait rire, c’est dans la part d’humanité qu’il nous inspire. Rire d’une œuvre architecturale, ce n’est pas considérer une vulgaire accumulation de matière. C’est au contraire se référer au ‘‘caprice humain’’ qui a pu agir sur elle.

2 Henri Bergson, Le Rire: Essai sur la signification du comique [p. 62], Paris, GF Flammarion, 1900, 270 p.

Nelson, Matt Groening, Les Simpson, Fox, 1989

http://survivoronlinegaming.wikia.com/wiki/File:Simpsons-nelson-ha-ha-93-p-672x480.jpg, [consulté le 06/05/2016]

Maurer United Architects, Indemann, Inden, Allemagne, 2009

Maurer United, http://www.maurerunited.com/, [consulté le 07/05/2016]

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La première illustration de ce phénomène, la plus immédiate, relève d’une architecture anthropomorphique. Le lien entre l’Homme et l’œuvre y est explicite et évident, du fait de sa forme. L’effet d’une telle architecture n’est pas toujours l’éclat de rire, mais l’effet comique est palpable puisque l’objet ‘‘ressemble’’ à son observateur et devient donc facilement appropriable par ce dernier.

La posture de ce bâtiment humanoïde, par exemple, peut éveiller l’imaginaire et amorcer des scènes comiques inventées, à l’image de ce porte-à-faux qui devient un doigt moqueur pointé vers l’horizon... Mais ce n’est qu’une interprétation parmi tant d’autres.

Nelson, Matt Groening, Les Simpson, Fox, 1989

http://survivoronlinegaming.wikia.com/wiki/File:Simpsons-nelson-ha-ha-93-p-672x480.jpg, [consulté le 06/05/2016]

Maurer United Architects, Indemann, Inden, Allemagne, 2009

Maurer United, http://www.maurerunited.com/, [consulté le 07/05/2016]

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A p p r e n o n s !

Quant à la Maison-Visage Jackie Kennedy, elle a reçu ce

sur-nom de l’architecte Michael Graves après que celui-ci y a vu - dans ses fenêtres rectangulaires et son avancée au dernier étage - les yeux et les pommettes de la première dame américaine de l’époque3. Sauf tout le

respect que je dois à Madame Kennedy, si ça ne tenait qu’à moi je la re-nommerais volontiers ‘‘Maison-Visage E.T.’’. Au-delà de la plaisanterie,

ce jeu de surnom montre bien à quel point il est facile de s’approprier le potentiel comique de ces bâtiments anthropomorphiques. Les édifices à façade symétrique font d’ailleurs souvent écho à des traits humains, de façon intentionnelle ou non.

Une autre expression de la nature profondément humaine du rire consiste, non plus à comparer physiquement l’architecture à un homme, mais à se figurer l’homme qui l’a créée. Pour espérer en tirer un pouvoir comique, il faut se soumettre à un petit exercice et imaginer la situation qui a amené l’architecte à produire cet objet.

Ces deux photographies stimulent notre imaginaire. Voir cette fe-nêtre penchée ou ces deux poteaux en plein passage n’est pas drôle en soi. Ce qui est risible, c’est de s’imaginer les situations d’interaction entre ces édifices et l’Homme.

3 Charles Jencks, Architecture Bizarre, Londres, Academy Editions, 1979, 80 p.

Jackie Kennedy, photographiée en 1962

ADST, http://adst.org/2015/07/the-enigmatic-jackie-kennedy/, [consulté le 07/05/2016]

E.T. l’Extra-Terrestre, personnage du film éponyme de Steven Spielberg, 1982

Scott’s Film Watch, http://scottsfilmwatch.blogspot.fr/2012/04/film-80-et-extra-terrestrial.html, [consulté le 07/05/2016]

ANON, Maison-Visage Jackie Kennedy, San Francisco, États-Unis, 1960

Charles Jencks, Architecture Bizarre, Londres, Academy Editions, 1979, 80 p.

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En voyant cette fenêtre qui a pivoté, on se projette dans le bureau de l’architecte qui l’a dessinée. On l’imagine devant son ordinateur, des-sinant ses façades sur AutoCAD. Après une mauvaise manipulation, trop paresseux pour faire pivoter la fenêtre, il décide finalement de laisser tomber. ‘‘Bon bah... Tant pis !’’

Dans le second exemple, ce sera la nonchalance de l’architecte qui pourra être risible. On l’imagine dire aux usagers : ‘‘Écoutez ! J’ai d’autres choses à faire que de concevoir des circulations qui fonc-tionnent. Prendre en compte la structure, c’est beaucoup trop compliqué !’’. L’effet comique se poursuit lorsqu’on imagine les usagers empruntant la corniche. Saut d’obstacle ou contorsion sont de mise !

Bien sûr, ces deux exemples posent la question d’un acte volon-taire ou non. Pour le premier cas, on peut croire à une réelle intention hu-moristique de l’architecte. En ce qui concerne le second, le doute plane un peu plus... Néanmoins, volontaire ou non, l’effet comique demeure inchangé. C’est simplement l’architecte qui jongle, d’un cas à l’autre, entre le statut de génie et d’abruti.

Peu importe ses intentions, le but ici n’est pas de se moquer gra-tuitement de lui. Ces deux photographies sont comme une proposition d’échauffement. L’exercice que nous venons de faire, en touchant du doigt l’effet risible à travers des scènes humaines, cet exercice-là, doit toujours être répété afin de sentir le potentiel comique d’une architecture. Le maçon nous fera toujours plus rire que la brique !

Photographies de détails architecturaux insolites

http://www.tuxboard.com/erreurs-conception/, [consulté le 14/02/2016]

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