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Comment parler de don de la création en théologie?

CHAPITRE III : PENSER LE DON DE LA CRÉATION

3.3 Comment parler de don de la création en théologie?

Partant de la référence du don maussien, le don fait à autrui n’est pas seulement le simple fait de donner unilatéralement, car il existe un va-et-vient du don5. Ce va-et-vient est compris comme un lieu pouvant créer des liens entre les protagonistes. Puisque le don est conçu dans la pensée socio-anthropologique comme relation, nous pourrons dire théologiquement que l’humain a une responsabilité vis-à-vis de la création qui lui a été donnée. Cette façon de comprendre la création à partir d’un modèle du don socio- anthropologique s’inscrit déjà dans un cadre d’alliance et de relation. Si dans la perspective de la pensée maussienne sur le don l’esprit du donateur est présent dans le don offert, cela signifie que le don reste et demeure vivant6.

Ainsi, parler de la création comme don dans la théologie de Gesché, c’est donc dire qu’elle n’est pas seulement un simple espace donné par Dieu à l’humain pour s’y installer et pour ensuite l’utiliser à sa guise. «L’humain doit la percevoir de façon attentive et pour laquelle il doit reconnaître la volonté de Dieu pour lui-même et pour son monde, de manière à pouvoir inclure le monde dans sa réponse à la parole créatrice de Dieu7.» C’est dire aussi que l’humain doit accepter avec sympathie la responsabilité de la création.

Ceci dit, en donnant la création, Dieu n’exige pas un contre-don matériel de la part de l’humain. L’humain est appelé à être responsable vis-à-vis du monde qui lui a été confié, car son rôle est de garder et de veiller sur la création. Dieu qui donne la création à l’humain

5 M. Mauss, Essai sur le don…, p. 84. 6 M. Mauss, Essai sur le don…, p. 87.

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trouve aussi son bonheur dans la protection de celle-ci. «Dieu crée pour son bonheur, pour son «plaisir» : nulle égoïté en cela, car l’amour des autres implique l’amour de soi8.» Dieu n’abandonne pas la création en la confiant à l’humain, ce qui veut dire qu’il y est présent par son esprit9. La création ne peut pas être un don fait à l’humain par hasard10, elle n’est pas non plus un cadeau que Dieu fait à l’humain et qu’il oublie; elle est plutôt le lieu de convergence de certaines valeurs : relation, lien, liberté, salut, responsabilité, etc. Dans cette perspective, les caractéristiques de valeurs de lien et de responsabilité sont donc à prendre au sérieux, si on veut éviter de se laisser fasciner, comme c’est souvent le cas dans la société moderne qui conçoit la création comme de l’utilisable11.

Gesché propose, par exemple une autre lecture de la Genèse qui tient en compte de certaines particularités linguistiques, qu’une lecture superficielle porterait à négliger, qui font ressortir à la fois l’intention créatrice de Dieu et la part d’autonomie laissée au cosmos et à l’homme12. Dans ce sens, Gesché dira :

L’idée qui préside à la création n’a pas le caractère précis et déterminé que le Dieu de Platon lit d’avance dans le ciel idéal et déjà tout donné. Certes, le Dieu de notre Écriture veut et décide la création (Au commencement Dieu créa), et c’est encore lui qui en donne les premières déterminations (que la lumière soit, etc.), mais sans plus. À la création créée de faire le reste, en son autonomie13.

Il ne suffit pas d’affirmer ce principe d’autonomie. Encore faut-il en spécifier ce qui rend possible cette autonomie. Par ailleurs, on pourrait donc penser qu’associer le don à la création peut être le lieu où «donner et recevoir» se conjuguent. Ici, cependant, on n’insiste pas sur le rendre car Dieu en donnant la création à l’humain ne lui demande pas de lui rendre un présent, c’est là la logique même de liberté et d’autonomie. «Par là l’homme est

8 A. Gesché, Dieu pour penser II…, p. 136. 9 A. Gesché, Dieu pour penser IV…, p. 143.

10 A. Gesché, Dieu pour penser IV…, p. 133. «Il y a donc une intention divine qui préside à la création; en ce

sens nous n’assistons pas à un jeu de dés, nous ne sommes pas dans un monde jeté au hasard».

11 André Beauchamp, Introduction à l’éthique de l’environnement, Montréal, Médiaspaul, 1993, p. 27-28. 12 Voir A. Gesché, Dieu pour penser IV…, p. 132- 134.

67 capable de prendre position librement vis-à-vis des réalités du monde et de prendre des décisions responsables14.»

Ce don de la création que Dieu fait à l’humain demande une réponse de la part de ce dernier. On comprend que même si Dieu ne demande pas à l’humain un retour de don, mais ce geste de donner nécessite en revanche l’appréciation de la part de l’homme. Cette appréciation peut-être comprise non pas comme une valeur, mais comme une reconnaissance vue dans une perspective hénaffienne du don.

Il n’est pas nécessaire qu’il y ait un contre-don dans le cadre du don de la création, mais davantage d’une dimension de compréhension mutuelle de la part des partenaires pour le bien-être et la protection de cette création. Cela s’explique du fait que la création a été donnée à l’humain en toute liberté par amour et non pas sous forme d’échange marchand ou de contrat.

Alors que Mauss dans son Essai sur le don voit dans l’incapacité de rendre un don reçu, dans certain cas, une forme d’infériorité du donataire face au donateur, la pensée théologique contemporaine tient plutôt à une relation entre les partenaires qui n’exige pas à proprement dit un retour du don. Par le geste de donner, le donataire devient important, car il aura pour mission de contribuer à la fructification du don.

3.4 Un dialogue entre la pensée théologique de Gesché et la socio-anthropologie selon