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Penser la création comme don : perspectives et implications

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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PENSER LA CRÉATION COMME DON.

PERSPECTIVES ET IMPLICATIONS

Mémoire

Jean-Thomas Dabady

Maîtrise en théologie

Maître ès arts (M.A)

Québec, Canada

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Résumé

Ce mémoire est une analyse du discours théologique d’Adolphe Gesché sur la création et le don. Cette analyse présente la création comprise comme don. Notre objectif est d’identifier la catégorie de don qui sous-tend le discours théologique de Gesché. Pour parvenir à ce travail d’identification du modèle de don, nous nous emploierons à situer notre réflexion en deux grands moments. D’abord, un premier moment sera de présenter les propos théologiques d’Adolphe Gesché. Un deuxième moment nous conduira à un autre champ, celui de l’anthropologie.

Ensuite, nous effectuons une analyse de la socio-anthropologie du don. Ce sera l’étude de deux modèles de don qu’on retrouve respectivement chez Marcel Mauss et Marcel Hénaff. Elle nous servira de grille pour l’analyse du discours théologique de Gesché. Enfin nous présenterons une conclusion à travers laquelle nous indiquerons la catégorie du don que suppose la création dans le projet théologique de Gesché.

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Remerciements

Personne n’est une île… Un mémoire comprend l’appui de diverses personnes qui vont du choix du sujet jusqu’à la rédaction. Ce travail, je voudrais le dédier à tous ceux et celles qui luttent pour la protection de la création et qui croient dans le futur de cette dernière. Je veux d’abord remercier mon directeur de recherche, le professeur Guy Jobin pour son précieux support. Ce travail n’aurait jamais connu l’aboutissement sans son soutien académique et moral. Sa disponibilité, sa confiance, sa rigueur intellectuelle m’ont grandement aidé tout au long de la recherche et de la rédaction de ce mémoire. Mon remerciement va aussi au père René Champagne, s.j. pour son grand apport. Ses conseils et ses encouragements m’ont été d’une aide précieuse dans son rôle de premier lecteur et correcteur.

Enfin, toute ma reconnaissance va à mon père Jean-Baptiste Dabady, ma mère Lauriane Dauphin pour leur précieux aide dans ma formation. Je ne saurais terminer mes remerciements sans adresser un merci spécial à Marie Foufoune pour ses conseils et pour les multiples encouragements lors de la rédaction de ce mémoire.

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Table des matières

RÉSUMÉ ... III REMERCIEMENTS ... V TABLE DES MATIÈRES ... I

INTRODUCTION... 1

1. OBJECTIF ... 3

2. MÉTHODE ... 4

3. PLAN DU TRAVAIL ... 5

CHAPITRE I:DON ET CRÉATION DANS L’ŒUVRE D’ADOLPHE GESCHÉ ... 7

INTRODUCTION ... 9

1. 1 Présentation de l’auteur ... 9

1. 2 Don et création dans la théologie de Gesché ... 11

1. 3 Les principales caractéristiques du don de la création ... 14

1.3.1 La création vue comme salut ... 16

1.3.2 La création comme médiation entre l’humain et Dieu... 19

1.3.3 La création comme lieu de liberté ... 21

1.4 L’humain comme co-créateur ... 24

1.5 L’engagement dans le don ... 25

1.6 La création: acte d’amour et de présence ... 27

Bilan... 31

CHAPITRE II: UNE ANTHROPOLOGIE DU DON ... 35

INTRODUCTION... 37

2.LE DON COMME RÉALITÉ ... 37

2.1 Le don dans la pensée de Mauss ... 38

2.1.1 L’esprit qui circule dans la chose donnée ... 41

2.1.2 Le don est le contraire de la charité ... 43

2.1.3 La logique de la théorie du don maussien ... 45

Bilan sur Mauss... 46

2.2 La pensée du don chez Marcel Hénaff ... 47

2.2.1 La différence entre le don réciproque et le don moral ... 48

2.2.2 Le sens et la circulation du don chez Hénaff ... 50

2.2.3 Le triptyque donner-recevoir-rendre chez Hénaff ... 51

2.2.4 La pensée de la grâce chez Marcel Hénaff ... 55

2.2.5 Le don moral chez Hénaff... 58

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CHAPITRE III : PENSER LE DON DE LA CRÉATION ... 61

INTRODUCTION... 63

3.1 Les deux modèles de don socio-anthropologiques valent-ils pour Gesché? ... 63

3.2 Une articulation entre le don et la création ... 64

3.3 Comment parler de don de la création en théologie? ... 65

3.4 Un dialogue entre la pensée théologique de Gesché et la socio-anthropologie selon le modèle du don ... 67

3.5 Le don de la création partir d’une vision du don hénaffien ... 70

3.6 La création et le principe de l’intendance ... 72

Bilan... 73

CONCLUSION ... 75

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Introduction

La situation contemporaine, caractérisée par la recherche de sens et des préoccupations qui habitent l’humain en général, pousse la théologie chrétienne à donner des réponses sous de multiples formes. La théologie doit commencer par accueillir ce qui anime le monde, ses attentes, ses recherches, etc., si elle veut être entendue par ce monde contemporain. Le rapport de l’humain à la création, à son origine, son futur, sa place et son rôle dans cet univers, sa relation aux autres êtres sont autant de questions dont la théologie de la création se doit de tenir compte.

Dans la société contemporaine, des questions d’ordre éthique et théologique ne manquent pas de se poser. D’où vient l’être humain? Quel rôle joue l’être humain dans cet univers? D’où vient la création? A-t-elle été créée par un Être supérieur? À travers tous ces questionnements, l’humain cherche à se positionner. Il tente de trouver des réponses à ces multiples questions. N’ayant pas pris conscience de sa position dans la création, l’humain cherche une équation fondamentale qui fournirait une explication globale des processus du monde.

L’être humain n’a jamais cessé de s’interroger sur le cosmos. Dans la période pré-moderne les questionnements étaient plus philosophiques que scientifiques. L’humain essayait de forger toujours une idée du cosmos à l’intérieur de tout un ensemble de mythes ou de théories philosophiques ou encore religieuses. L’idée sans doute la plus répandue, aujourd’hui, c’est celle qui porte sur le devenir de la création qui est en même temps le devenir de l’être humain. C’est en ce sens que Stéphane Bauzon affirme que le devenir humain est vulnérable1.

Parler de vulnérabilité, c’est afficher d’une certaine manière, la prise en compte d’une nouvelle vision de l’être humain pour qu’il parvienne à établir un autre rapport avec la création. Or, force est de constater que la culture actuelle valorise davantage l’explication de la création au lieu de définir un fondement qui servira de cadre pour le futur de cette création. « La mentalité d’aujourd’hui voit la création comme un espace et du matériau

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pour sa propre vie. Mais non comme quelque chose qui a sens en lui-même, qui est important devant Dieu, sur quoi l’homme doit veiller2.»

La théologie est interpellée par ces interrogations ci-dessus, plus particulièrement la théologie de la création. Sa responsabilité consiste-t-elle à définir un fondement stable? Sinon dans une culture qui valorise l’explication des processus du monde, la création est pensée sur le modèle d’une production achevée. Car, au moins dans l’acception courante, la création se réduit souvent à un discours sur le commencement du monde.

La création est proposition d’un salut adressée à une liberté. «Contre le rétrécissement de la notion de création au seul achèvement d’un processus initial, l’idée la plus traditionnelle s’articule fortement à l’annonce d’un salut qui concerne toutes les composantes du créé3.» Une telle approche rejoint l’idée que la création ne peut pas être description d’un commencement.

Ceci étant dit, Hans Jonas confie à l’humain une grande responsabilité : la protection de la nature et la construction d’un monde habitable pour les générations futures. «Agis en sorte que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre et ne soient pas destructeurs pour la possibilité future d’une telle vie4.»

Ces considérations soulevées suscitent une très grande réflexion sur la création dans les sociétés contemporaines. Ce sont des situations auxquelles la théologie ne peut rester indifférente. En effet, ne faut-il pas se tourner vers la notion de don pour penser théologiquement la création? «La théologie de la création serait la meilleure garantie d’une stabilité menacée par la dispersion des références. Grâce à elle, il serait possible de déterminer le lieu bien repérable d’où tout procède et définir avec certitude ce fondement5

2 Romano Guardini, cité dans Medard Kehl, Et Dieu vit que cela était bon. Une théologie de la création,

Paris, Cerf, 2008, p. 323.

3 François Euvé, Penser la création comme jeu, Paris, Cerf, 2000, p. 10.

4 Hans Jonas, Le principe responsabilité: Une éthique pour la civilisation technologique, Paris, Cerf, 1990,

p. 30.

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3 Toutes ces interrogations constituent un défi à la théologie de la création. Elle est interpellée par ces questions et appelée à y déchiffrer un sens. «Telle est la tâche qui se présente aujourd’hui à la théologie de la création. Elle invite à élaborer de nouveaux modèles, à rechercher de nouvelles images, plus pertinentes aux yeux de nos contemporains, répondant davantage à leurs aspirations et à leurs attentes6.»

Ainsi, la notion du don peut inspirer une pensée théologique apte à répondre aux différentes interrogations actuelles. À travers cet intérêt pour le modèle du don on découvre l’importance des relations qui ne sauraient s’expliquer par le seul pacte de dialogue entre les différents champs de pensées (théologique, socio-anthropologique, philosophique). C’est, en fait, cette idée de comprendre que le don amène aussi à donner; c’est-à-dire le don suscite cette capacité à ne pas le saisir comme un simple échange travesti.

1. Objectif

Ces quelques considérations ayant été soulevées, il convient maintenant d’énoncer l’objectif constitutif du travail. L’objectif de cette recherche dans le cadre de notre mémoire est d’analyser le discours théologique d’Adolphe Gesché en théologie de la création à partir d’une catégorie du don tirée des études de Marcel Mauss et de Marcel Hénaff.

Ma question de recherche sera la suivante :

Quelles sont les caractéristiques du don dans ces réflexions théologiques sur la création et comment les lire à partir d’une catégorie du don de Mauss et de Hénaff?

Il s’agit d’adopter le modèle du don pour penser la création dans le discours théologique de Gesché. Ce sera une réflexion où convergent deux idées : «une nouvelle vision humaine de la création» et «une nouvelle compréhension de l’idée d’alliance, de relation entre le donateur et le donataire.» À bien des égards le don s’oppose à un échange

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marchand. Plus précisément, et en attendant de revenir plus en détail sur ce qui le caractérise, il peut se définir comme une action qui engage des partenaires dans une démarche qui joint une liberté et une réciprocité vue comme responsabilité.

Ces deux paramètres que nous venons de mentionner peuvent même avoir une position centrale. Dans notre cas, tout l’enjeu va tourner autour du rapport que l’humain entretient avec la création. C’est en ce sens qu’on peut dire que penser le don introduit un déplacement de regard, autrement dit une autre vision, par le fait que la conception des contemporains de la création est fortement marquée par l’empreinte de maîtrise, de domination de la création à l’œuvre dans la pensée moderne. L’idée ici, c’est d’arriver à une plus grande compréhension de la relation de l’humain à la création qui doit être, à tous égards, une relation de respect, d’équilibre avec cette dernière dont il est une partie intégrante.

Certes, aujourd’hui beaucoup de théologiens contemporains ont fait de la question de la création, un objet de réflexion. Dans le cadre de notre travail nous examinerons la pertinence proprement théologique de la notion de don en nous basant essentiellement sur les travaux d’Adolphe Gesché. Ce théologien contemporain très sensible à la question de la création nous fournira de fécondes pistes pouvant nous aider à comprendre les fondements d’une réflexion sur la création.

2. Méthode

Nous venons de présenter l’objectif du travail, il est important de faire valoir le chemin à prendre pour pouvoir le mener à terme.

La méthode mise en œuvre pour réaliser cet objectif consiste à examiner, en premier lieu, la manière dont l’humain aujourd’hui se rapporte au cosmos, à la nature en repérant les caractéristiques de ce qu’Adolphe Gesché qualifie de «nouvelle compréhension du cosmos». Il s’agit de comprendre le contenu de la pensée théologique de Gesché ainsi que la posture adoptée dans une société ou l’explication est le maître mot de la compréhension des choses. Qu’y a-t-il au fond de ces approches?

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5 En regard à cela, seront présentés les principales caractéristiques du don de la création telles qu’elles sont exprimées par l’auteur, non seulement pour mieux cerner son propos, mais aussi pour mieux comprendre la notion de don que sous-tend la création. Peuvent-elles fournir des réponses adéquates aux questions actuPeuvent-elles? Selon Gesché, l’association de la création avec la notion de don peut être féconde, dans la mesure où elle entre en résonnance avec les aspirations contemporaines tout en permettant l’intégration de la tradition théologique. Il conviendra aussi de voir comment l’auteur caractérise le don en regard à la création dans la société contemporaine. Dans l’examen de la situation contemporaine, l’important sera de percevoir l’évolution du discours théologique sur la création comme don.

Par ailleurs, si la création est considérée comme don, nous devons trouver des pistes qui peuvent aider à déceler la catégorie du don dans le propos théologique. Ce sera l’objet du second moment. Nous commencerons par analyser quelques discours socio- anthropologiques du don chez certains anthropologues qui en ont traité. Cette étude, bien qu’elle soit d’un autre champ, servira de piste ou encore de grille pour l’analyse de la pensée théologique. La pensée du don chez Mauss et la pensée don chez Hénaff s’avéreront nécessaires dans le cadre de notre travail. La réflexion socio-anthropologique, plus riche en ce domaine apportera son concours à la réflexion théologique.

Cette analyse des propos des socio-anthropologues sur le don aidera à pouvoir identifier la forme de don dans le discours théologique de Gesché. C’est dans cette perspective que nous avons entrepris cette étude du don issu de la catégorie socio-anthropologique.

3. Plan du travail

Ce mémoire sera divisé en trois chapitres. Le premier chapitre rendra compte du propos théologique de Gesché. Nous allons tenter de voir comment Adolphe Gesché parle de la création. Ce travail de présentation, nous le ferons en essayant de montrer comment l’auteur structure leur réflexion autour de la compréhension de la création comme don.

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Le deuxième chapitre se centrera sur un aspect qui n’est pas du champ théologique, mais qui est indispensable dans le cadre de notre travail. Il s’agira de l’analyse socio-anthropologique du don. Elle portera sur deux anthropologues clés : Marcel Mauss et Marcel Hénaff. Cette analyse mettra en valeur deux modèles de don. Le don cérémoniel réciproque qu’on trouve dans la pensée anthropologique de Mauss et le don moral unilatéral présent dans le champ d’études de Hénaff.

Le troisième chapitre examinera à l’aide de l’analyse socio-anthropologique le discours théologique de Gesché pour voir quel modèle du don est à l’œuvre dans son projet théologique. Nous allons essayer de comprendre quelles sont les perspectives et les obligations que suppose la création comprise comme don. Ces chapitres sont suivis d’une conclusion générale qui décrit l’ensemble du travail effectué.

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Introduction

L’intitulé de ce chapitre montre à propos la démarche que nous entendons suivre. Par l’œuvre de Gesché, nous voulons montrer comment le don de la création est compris dans la théologie de la création. Pour ce faire, nous allons d’abord présenter l’auteur en situant son apport à la théologie. Puis nous présenterons le don et la création dans la pensée théologique de Gesché. Nous montrerons ensuite les principales caractéristiques du don présentes dans l’œuvre de Gesché. Nous indiquerons en fin de chapitre, dans un bilan, les acquis de la démarche que nous avons entreprise.

1. 1 Présentation de l’auteur

Né à Bruxelles en 1928, Adolphe Gesché est un prêtre diocésain, soucieux d’une théologie en dialogue avec la culture et le cosmos. Comme le souligne Jean-Michel Maldamé, « [la] méthode choisie par Gesché consistait à mettre en relation l’être humain et Dieu de manière à montrer que tout discours sur Dieu est un discours sur l’homme, et que tout discours sur l’homme ne peut ne pas être porteur d’un mouvement vers Dieu1.» D’ailleurs l’apport de sa pensée à la théologie rencontrera un large succès.

La théologie qui s’y développe est de toujours, et d’aujourd’hui; elle s’enracine dans le riche terreau de la tradition chrétienne; elle cherche ses harmoniques, ses attentes, ses échos chez les grands philosophes et chez les quelques-uns de nos contemporains; elle est dans le temps, dans ce temps, et le surplombe; elle sait qu’elle vient après que la raison humaine, devenue mesure des choses, ait tout brûlé au feu de la critique : mais elle ne restaure point ce qui est vieux, elle garde ce qui passe le temps et qui, purifié au feu, garde saveur de jeunesse. Cette théologie-là assume la modernité sans s’y perdre, se nourrit de tradition sans s’y replier2.

1 Jean-Michel Maldamé, «L’anthropologie théologique de Adolphe Gesché. De L’excès au mystère par le

chemin de l’énigme» Revue d’éthique et de théologie morale, suppl. 231-232, (2004), p. 92.

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La cohérence du parcours de Gesché apparaît clairement lorsqu’on consulte quelques-uns de ses articles les plus significatifs qui se retrouvent dans cette petite somme théologique intitulée Dieu pour penser3, une série de volumes qui a commencé à paraître en 1993.

Des titres comme «le mal, l’homme, Dieu, le cosmos, la destinée, le Christ, le sens, parlent d’eux-mêmes, et disent le souci d’articuler le mystère de Dieu aux questions premières de l’homme4.» Gesché, constatant la lacune cosmologique en théologie, durant la deuxième moitié du 20eme siècle propose une pensée théologique du cosmos5. Il vient à constater que la théologie a vite pris un tournant éthique et anthropologique, qui fait d’ailleurs tout son prix. La montée anthropologique marquée par la théologie d’après-guerre, le souci constant de parler davantage de ce qui intéresse l’homme, tout cela concourt à presser les chrétiens de s’atteler à ces urgences. La théologie devint, pour ainsi dire, anthropologique voire anthropocentrique; « [t]out a ici contribué à centrer les préoccupations sur l’homme, individuel ou sociétal6.»

Pour Gesché, il ne s’agit pas de renoncer à cette découverte et de contredire ce discours. Il s’agit, au contraire, d’un travail de renouement avec le cosmos pour pouvoir sauver l’enjeu même qui a été découvert dans ce renouveau anthropologique.

Il importe de rendre à l’homme, et sans remords, le sens d’un univers théologal. Cela pourrait être ici une des tâches de la théologie de la création. En ce sens, il faudrait peut-être se défier d’un excès d’attention ou d’honneur rendu aux sciences humaines. Il ne s’agit pas de les discréditer à bon compte, mais simplement et calmement d’en énoncer les limites. Dès lors qu’elles deviennent exclusives et captivent toute l’attention. Une remarquable découverte de la grandeur des sciences de la nature […] devrait conforter le chrétien et le théologien dans cet appel à une redécouverte et à une restitution du cosmos7.

3 Adolphe Gesché, Dieu pour penser, Paris, Cerf, 1993- 2003. Dans les références le premier chiffre

indique le tome de la série. Elle comprend 7 tomes.

4 J.-M Sevrin, «Adolphe Gesché»…, p. 157.

5 Voir A. Gesché, «La création : cosmologie et anthropologie» Revue théologique de Louvain, 14, (1983),

p. 148-149.

6 Adolphe Gesché, Dieu pour penser IV. Le cosmos, Paris, Cerf, 1994, p. 24. 7 A. Gesché, Dieu pour penser IV…, p. 30.

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1. 2 Don et création dans la théologie de Gesché

La thématique du don est plus directement abordée dans l’ouvrage de Gesché, Dieu pour

penser IV. Le cosmos, paru en 19948. Sa contribution constitue un plaidoyer en vue d’une reconnaissance théologique de la consistance propre du cosmos en son Logos9. Il s’agit de trouver de nouveaux concepts qui ne sont plus liés à la catégorie de causalité et d’explication correspondant au fonctionnement du cosmos dans la modernité. «On assiste aujourd’hui presque en tous domaines (science, philosophie, art, technique) à une redécouverte assez émerveillée du cosmos (de la nature, de la matière, de l’espace et du temps, de la terre, de l’univers). Redécouverte qui n’est plus seulement celle, millénaire, d’une maîtrise, mais plutôt d’une écoute10.» On recouvre la capacité d’émerveillement face à un monde vu comme création de Dieu. La catégorie du don est apte à éclairer cette action si on constate qu’elle peut aider véritablement pour une nouvelle vision de la pensée théologique.

Gesché a fait remarquer que le don est cette catégorie vers laquelle il faut se tourner pour penser théologiquement la création; «[le] monde de la nature est éminemment don de Dieu11.» Il en va ainsi dans la théologie de la création proposée pas saint Thomas d’Aquin. Pour celle-ci «la création est posée pour elle-même, gratuitement. Cette théologie qui nous instruit vigoureusement d’un Dieu gratuit, c’est-à-dire sans besoin, non seulement n’est pas sans grandeur, mais elle est absolument vraie, et nous apprend, en peu de mots, infiniment sur Dieu12.»

Gesché propose en premier lieu ce qui pourrait être un besoin de révéler aujourd’hui le retour d’intérêt porté à la nature. En second lieu, il veut conquérir une raison proprement théologique qui peut apporter son concours à la sauvegarde du cosmos. «Nous

8 Adolphe Gesché, Dieu pour penser IV. Le cosmos, Paris, Cerf, 1994.

9 Voir A. Gesché, Dieu pour penser IV…, p. 164. «Reconnaître au cosmos «un logos salutaire de

tiers-témoin», c’est poser que c’est dans sa résistance même, son irréductibilité à toute domestication, que le cosmos nous sauve. Faute de quoi, c’est la dimension destinale la plus décisive du salut qui risque d’être escamotée.»

10A. Gesché, «Un secret de salut caché dans le cosmos» Création et salut, (1989), p. 13-14. 11 A. Gesché, Dieu pour penser IV…, p. 30.

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proposerons de voir dans le cosmos, non plus seulement le lieu de l’homme, mais celui de Dieu. Plus exactement, celui de son Logos, de son verbe13.»

Selon Gesché, il ne s’agit pas de sacraliser la terre, mais de chercher précisément à défendre sa consistance. Il soutient que le cosmos peut aussi être pensé comme demeure de Dieu. Car, selon lui, le Logos de Dieu qui habite auprès de Dieu en venant chez nous dans le cosmos est venu chez lui. Ceci étant dit, on comprend que Dieu se trouve et se retrouve en ce monde, où lui aussi découvre son bonheur.

Il s’agit de voir ou encore de rappeler que ce monde, dès avant nous, est une semence de rationalité, de sens et de parole. Tout cela, «parce que le monde, et non point l’homme seulement, est expression d’une volonté ou d’une présence de bonté, de beauté et de vérité : terre de logos. L’homme serait ainsi invité à voir dans le cosmos une gloire qui lui vient d’en haut14.»

Il faut souligner que Gesché est sensible à l’apport de la science actuelle15 à la pensée théologique. Elle offre une vision du monde qui est différente de celle de la vision scientifique newtonienne. Selon lui, l’apport de la science est surtout constaté dans différentes théories (celle du chaos, la théorie des bifurcations, celle des catastrophes, etc.). Il n’est pas opportun de trouver dans le discours scientifique une preuve du discours théologique, mais on perçoit que la nature est douée d’une capacité d’invention. Il s’agit de voir, ici :

comment cette nouvelle représentation du monde invite, elle aussi, à découvrir le cosmos dans sa grandeur propre, se soustrayant de lui-même à notre totale maîtrise, pour se révéler à nous comme lieu de surprises. La

13 A. Gesché, Dieu pour penser IV…, p. 18. 14 A. Gesché, Dieu pour penser IV…, p. 19.

15A. Gesché, Dieu pour penser IV…, p. 125. Ici, l’auteur parle de science contemporaine pour faire une

différence entre celle-ci et la science classique (XVIIe- XIXe siècles), qui avait radicalement séparé le monde de la nature et le monde de l’homme, et qui n’a lu dans le cosmos que les lois d’un royaume entièrement dominé par l’immutabilité. Mais sachant cela, sachant pour des raisons théologiques que Dieu a voulu un monde tel, il n’est pas interdit, entendant alors ce que nous dit la science, de l’écouter pour qu’elle nous montre comment elle le voit. Pour nous réjouir et nous réenchanter ensemble de la nouvelle vérité qu’elle nous donne du cosmos, et qu’il nous faut écouter, ausculter. «La question n’est pas de savoir si l’invention humaine peut être expliquée par des sciences du monde physico-chimique, mais de voir si cette invention oppose l’homme au reste du monde» (Ibidem, p. 129, citant I. Prigogine et I. Stengers, La

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13 théologie n’est-elle pas appelée à cesser de lire Dieu comme le garant d’une nature figée, immuable, avec toutes les conséquences que l’on sait. Ne nous sommes pas incités à retrouver, dans notre propre fonds, des thèmes traditionnels mais oubliés, ou la création est vue comme, désir, parole, don, acte de foi, confiance16?

Il faut souligner également que l’auteur met en avant un élément principal d’intérêt de la notion de don pour la création. Le don aide à comprendre que Dieu crée le monde par gratuité. C’est donc l’aspect de la jouissance de ce don qui est mis en avant. Cette gratuité joyeuse de la création ouvre ensuite un espace d’invention. C’est en effet parce que le cosmos possède cette marge d’indétermination créatrice que l’homme peut y trouver un espace de liberté. La liberté créatrice de Dieu et la liberté cocréatrice de l’homme invite à souligner le caractère de partenariat dans la relation de création.

Mais poussant plus loin sa réflexion, Gesché affirme en parlant de la gratuité que ce thème doit être sans cesse affiné pour ne pas verser dans l’excessif et l’arbitraire. Il faut bien se rendre compte que la gratuité est très présente dans le polythéisme. L’univers des dieux est au fond dominé par la gratuité; une gratuité qui rend ces dieux sécurisants répondant à une infinité de bonheur très séduisants : succès, fécondité, richesse, etc. L’univers païen est fondé sur la peur, sur la crainte. La création se situe dans une vision désastreuse de surgissement du monde : combat des dieux, sacrifice primordial, fatalité, etc. La conception judéo-chrétienne, au contraire, pose la création bonne, voulue librement par Dieu, sans aucune nécessité de sa part.

Tout cela vient de ce que la notion même de don et de gratuité pour dire le rapport entre Dieu et l’homme est absente de la théologie païenne […]. La doctrine de la création gratuite est seule à dire un véritable don, c’est-à-dire un don permettant au bénéficiaire de pouvoir à son tour donner, et même de donner à son Dieu17.

16 A. Gesché, Dieu pour penser IV…, p. 20.

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Gesché considère que le rapport aux dieux a rarement pu être un rapport libre et gratuit, mais si souvent un rapport craintif. Il y a absence totale de don dans ce rapport. Dans la conception judéo-chrétienne, bien au contraire, Gesché écrit à propos du don :

Le don est donné pour qu’à partir de là celui qui est à l’image et à la ressemblance puisse à son tour être créateur, inventif et donateur, et surmonter toute crainte […]. Dans pareil climat de gratuité et de confiance, l’homme vit vraiment son rapport à Dieu, non comme un rapport qui l’aliène, mais au contraire qui le structure. Il ne doit pas, comme Prométhée, arracher, puisqu’il s’agit de don18.

L’auteur affirme que cette relation de gratuité à partir d’une vision de la théologie chrétienne renferme un secret. Ce secret s’annonce dans un mystère de surabondance et de bienveillance qui n’a justement rien à voir avec la logique de calcul, parce que l’initiative vient toujours de Dieu. Nous comprendrons dans la logique du don qu’il s’agit d’une priorité fondatrice19, car Dieu ne calcule pas, mais donne une mesure débordante. D’ailleurs la surabondance divine montre clairement cette priorité, d’un Dieu toujours en avance qui n’est jamais en retard sur l’être. «C’est la surprenante logique du don, si caractéristique du christianisme, si étrangère à la mentalité païenne. Un vrai don, en effet, suppose que ce qui est donné l’est totalement à disposition de qui le reçoit20.»

1. 3 Les principales caractéristiques du don de la création

La création est comprise, selon Gesché, comme acte de parole. Elle est rassemblée dans un verbe, le verbe bara dont l’usage est réservé à l’action de Dieu. Ce verbe bara, Gesché le traduit par créer. Créer dans le sens de faire en séparant. Au commencement, Dieu créa et sépara. Ici, le verbe bara est plutôt en lien avec la parole. Dans cette perspective, l’usage matériel est récusé au profit de la parole. Selon l’auteur, la création n’est pas une émanation divine ni une réalité intelligible et céleste comprise dans une perspective grecque. La création est la position d’une réalité voulue tout autre, donnée, autonome et séparée. C’est là qu’on trouve le sens de l’action par la parole.

18 A. Gesché, Dieu pour penser III…, p. 107-108.

19Ici, priorité fondatrice veut dire que c’est Dieu qui a pris l’initiative. 20 A. Gesché, Dieu pour penser III…, p. 108.

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15 Pour Gesché, créer c’est instaurer une réalité qui n’est pas complète, finie ou encore bloquée, mais une réalité où il y a un écart - précisément pour qu’il y ait liberté - et aussi un lieu d’invention. Par ailleurs, si on s’en tient au sens que peut avoir le verbe bara on peut dire que l’invention fait partie de l’être; une autre façon de dire que l’altérité, la liberté et la différenciation sont inscrites primordialement dans l’être. De là, «l’homme sera appelé de nature, non contre nature, à poursuivre une création qui est vœu de différences, non repliement dans la perpétuation d’une loi de nécessité et de fatalité21.» On doit bien mesurer, selon l’auteur, la logique qui se trouve dans le créé-séparé. Placer l’altérité à l’intérieur du créé, c’est dire que tout n’est pas déjà achevé et que la création n’est pas vouée à un exercice de répétition. «La création n’est pas une dictée, où nous ne serions que répétiteurs, condamnés à la mimèsis. Aucun poids d’antériorité ne viendra obérer l’action de l’homme. Il part, pourrait-on dire, sans le poids d’une dette, libéré et libre pour l’invention et la création22.»

Après avoir montré comment le don de la création peut être compris dans la pensée théologique de Gesché, il est possible de passer à l’examen de quelques-unes de ses principales caractéristiques. L’auteur met en avant trois éléments essentiels d’intérêt de la notion de don de la création que nous présenterons. Tout d’abord, nous analyserons la notion de salut très présente dans sa pensée théologique. «C’est la dimension du monde lui-même en tant que tel, comme lieu de salut. Certes, le Sujet du salut est Dieu, et son «objet», son bénéficiaire en est l’homme23.» Cette notion de salut aide à comprendre que Dieu crée le monde par pur don. Puis, nous verrons le cosmos qui sert de médiation entre le créateur et ses créatures, plus précisément l’humain. Enfin nous présenterons la dernière notion qui est la liberté.

21 Adolphe Gesché, Dieu pour penser II. L’homme, Paris, Cerf, 2001, p. 71. 22 A. Gesché, Dieu pour penser II…, p. 70.

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1.3.1 La création vue comme salut

Dans la pensée théologique de Gesché, associer le don à la création, nous fait découvrir une autre dimension; c’est la dimension du salut. Selon Gesché, le cosmos est le lieu où l’homme se retrouve, mais il serait aussi lieu où Dieu se retrouve. «Le cosmos ne serait donc pas seulement notre demeure, mais un lieu de notre salut. Il aurait un quant à soi plein de virtualités salutaires, en lesquelles nous pourrions trouver ce que nous appellerons un secret de salut, et où l’homme peut se sauver de lui-même24.» L’auteur souligne que l’homme est capable de Dieu (homo capax Dei), et qu’il trouverait dans le cosmos des structures préalables à son salut. Cela sous-entend que le cosmos serait déjà en lui-même porteur de salut; «[le] cosmos, encore une fois, est éminemment salutaire25.» En effet, on voit que le thème du don permet non seulement de reprendre certains des éléments attachés à la théologie de la création, mais de les poser différemment26. Il faut souligner que l’auteur, pour montrer que la création est un don, insiste sur le fait que cette même création représente non seulement le lieu de vie, le lieu ou l’humain rencontre son créateur, mais aussi le lieu d’une présence. Elle l’est parce qu’en la recevant, l’humain appartient à celle-ci et cette création offre précisément à l’humain certaines structures telles que le salut, thème sur lequel l’auteur a beaucoup insisté. «Dieu a donné -l’homme aux hommes, bien sûr, mais aussi, et tout autant, «les fleurs, et les oiseaux» (François d’Assise), la terre et toutes ses merveilles. Le monde de la nature est éminemment don de Dieu. Il importe de rendre à l’homme, et sans remords, le sens d’un univers théologal27.» D’après Gesché l’humain devra de plus en plus s’habituer à découvrir une présence dans le cosmos. Cela étant, par le fait que le cosmos est le lieu où l’homme peu habiter et

24 A. Gesché, Dieu pour penser IV…, p. 21. 25 A. Gesché, Un secret de salut…, p. 41.

26 Voir A. Gesché, Dieu pour penser IV…, p. 35. «La théologie doit absolument redécouvrir la qualité et le

poids (au sens positif du terme) de son propre héritage. Des mots comme grâce, salut, don, surcroît, surabondance sont des mots propres et, qui plus est, particulièrement pertinents pour qualifier et désigner les choses de la foi. Or la création, on doit se le rappeler, n’est pas objet d’une simple proposition philosophique (à quoi suffirait alors la catégorie de causalité), mais d’une confession de foi».

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17 également le lieu où il peut trouver son salut. Selon l’auteur, cette présence est une relation offerte librement et gratuitement en vue du bonheur de l’humain.

Si Dieu, comme nous le proclamons, a créé par amour et gratuité, plus que par raison et calcul (en latin le mot ratio signifie les deux), je crois que nous sommes autorisés, loin du fameux Deus calculat, fit mundus de Leibniz, à solliciter ce thème du bonheur. Il est aussi une de ces traces de Dieu inscrites dans la création où nous prenons appui pour découvrir Dieu28.

Et que c’est parce que la création est telle qu’elle est le lieu de salut. «Il y a dans le cosmos un accès au salut, et un accès propre29.» Puis, Gesché s’appuie sur Thomas d’Aquin: «’’quoi qu’il fasse’’, Dieu le fait jamais mû par une nécessité ou un besoin qui le gouverne, mais par un pur don et geste dont il n’a pas ontologiquement besoin et qu’il offre alors précisément et seulement en pleine surabondance30.»

Il n’est pas donc indifférent que le cosmos où l’humain vit présente une structure où ce qui en jeu dès le début, ce n’est pas la dictée mais l’invention. Une invention comprise comme espace de liberté où son action est appelée à prolonger l’effort du cosmos vers l’être. En fait, c’est bien là la logique même induite par l’idée de création. «Là où l’on voit l’homme intronisé au terme d’un processus déjà marqué par plusieurs traits qui l’annoncent, et où il se voit précisément donné commandement d’en être le Seigneur plein de connivences (voir Gn 1, 28). L’homme est chez lui sur la terre, le cosmos est sa maison (son oïkos, son oïkoumenè)31.»

Ce cosmos offre à l’homme, cette étendue, ce repos de l’étendue qui lui permet de se reprendre. D’ailleurs, affirme l’auteur, la dignité du cosmos n’appartient pas seulement à l’ordre de la création, mais à celui du salut.

Le cosmos nous apprend les chemins d’une vie qui précède le calcul et sait encore ressentir, recevoir, accueillir. Or ces mots, encore une fois, ne sont pas loin de ceux de grâce et de salut. Il y a là un langage (un logos) salutaire, dans la mesure où le sens du cosmos rend à l’homme cette naïveté, qu’elle soit première ou seconde, par laquelle il lui est donné de naître (naïveté a même

28 A. Gesché, Dieu pour penser II…, p. 130-131. 29 A. Gesché, Un secret de salut…, p. 42.

30 Thomas d’Aquin cité dans A. Gesché, Dieu pour penser IV…, p. 38-39. 31 A. Gesché, Dieu pour penser IV…, p. 64-65.

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racine que nativité, ingénuité) ou de renaître à lui-même en naissant au cosmos32.

La notion de salut qui vient d’être employée pour parler du cosmos et de l’humain est très cohérente. Pour mieux saisir le sens de cette cohérence, il convient de considérer le cosmos non seulement comme structure, mais aussi comme espace du futur de l’humain. C’est dans cette perspective qu’apparaît l’importance, selon Gesché, de saisir la création comme un don. Fidèle à cette représentation du salut par le cosmos, Gesché s’efforce de démontrer qu’il y a une jonction entre la nature et la grâce (partage de la vie divine), dont on trouve la trace dans la résurrection. Il formule cette représentation de la manière suivante :

Parler de résurrection, c’est «inévitablement» associer le cosmos au salut. Ou mieux : c’est dire et confesser qu’il est associé au salut. Le cosmos porte en son être «naturel» notre être-de-destin. Telle est la logique du salut, son état conséquent, que ce qui est créé (semé) est cela même qui est sauvé; que ce qui est sauvé en portait la semence. Le cosmos est porteur de salut (il ne le donne pas, bien sûr), parce qu’il nous donne les éléments […] de notre construction destinale, en l’occurrence un corps (un être), dont la structure intime est capable de notre destinée33.

Somme toute, Gesché montre que si l’humain est capable de Dieu (homo capax dei), il est capable d’entrer en communion avec le créateur, de telle manière que cette potentialité est inscrite dans sa nature dès l’origine34. L’auteur va plus loin en affirmant que le cosmos offre à l’homme ce qu’il appellera des «structures de capacité35.» Ces structures de capacité sont un moyen pour l’humain de continuer cette œuvre qui lui a été transmise gratuitement.

On a très justement parlé d’une création non achevée. On peut dire que «Dieu a créé parfaitement un monde imparfait36». De fait, ce monde est toujours en état de

32 A. Gesché, Dieu pour penser IV…, p. 183. 33 A. Gesché, Dieu pour penser IV…, p. 187.

34 Nature veut dire cosmos ou création dans le langage de Gesché.

35 A. Gesché, Dieu pour penser IV…, p. 189. «C’est l’idée d’un cosmos intelligent, construit, capable,

«ensemencé» du logos dès avant nous. Dieu, si l’on peut dire, n’a créé qu’en germe, in principio, in semine, en structures de capacité. Il a lancé le monde par un simple commandement (fiat lux), il l’a ordonné à la fois par cet ordre d’intelligence qu’est le logos et par cet ordre d’invitation qu’est son commandement. Au monde et à nous de faire le reste».

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19 commencement et de continuation. L’humain, si l’on peut dire, est assigné à poursuivre l’œuvre du salut ici-bas et au-delà, « [l]’humain est de connivence37.» Le non-achèvement du monde sollicite son intervention. C’est en réalité une création en attente, en devenir, qui en appelle au geste de l’humain. «Tout ce qui vient d’être dit montre que le monde est construit pour un destin, pour un salut, pour un accomplissement. C’est ici que le monde nous livre son plus intime secret : que nous sommes des êtres de destinée et non des êtres de ‘’simple morale’’ sous peine de mourir asphyxiés38.»

Face aux considérations que nous venons de soulever, on peut donc parler du cosmos, lieu de salut. Au cœur de celles-ci, on retrouve une conception de la création comme geste libre et qui pose une réalité appelée à se construire. À cet égard, il est intéressant de faire remarquer que la création n’est pas le lieu d’une perfection figée, déjà réussie; il faut donc, précisément l’intervention de l’autre. Il y a là sans doute un véritable lieu de salut qui prend sens dans une espérance et une attente. La reconnaissance de la création comme lieu de salut acquiert sa plénitude conceptuelle quand on reconnaît un Dieu séparé et parfait qui produit librement un monde qui est autre que lui. Une création qui n’est pas une transformation, qui n’est pas une partie de Dieu qui s’aliène pour devenir son propre vis-à-vis.

1.3.2 La création comme médiation entre l’humain et Dieu

On vient de voir que Gesché accorde une grande importance au le salut, un salut qui vient évidemment de Dieu, car c’est Dieu qui sauve, toutefois en instaurant des médiations. «La médiation majeure et par excellence est celle du cosmos. Il est notre lieu de salut. Si l’on peut dire, en grossissant un peu les choses et sans oublier la médiation de l’Incarnation : le salut vient de Dieu à l’homme par le cosmos39.»

37 A. Gesché, Dieu pour penser IV…, p. 126. 38 A. Gesché, Dieu pour penser IV…, p. 190. 39 A. Gesché, Un secret de salut…, p. 41.

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Cette médiation que représente le cosmos entre Dieu et les créatures ouvre un espace de rencontre, en ce sens que «le cosmos est le lieu de l’homme, là où il est chez lui et dans sa gloire40.» Ici, la création constitue véritablement la base d’une collaboration dans la relation entre la liberté créatrice de Dieu et la liberté co-créatrice de l’humain.

Le cosmos est donc là comme un tiers, entre Dieu et moi. Et singulièrement comme un tiers permettant à ma liberté de trouver refuge. Dieu l’a voulu dans la façon même dont il m’a créé. Je n’ai pas que Dieu et moi pour sauvegarder l’espace de ma liberté. Le cosmos m’a aussi été donné pour cela, et donné pour cela par Dieu même41.

Cette figure de médiation chez Gesché a un rôle déterminant dans la logique de la création. Il souligne que le cosmos ne représente pas seulement une médiation entre le créateur et les créatures, mais que la médiation entre les humains passe par le cosmos (chacun étant d’abord chez soi peut sortir pour rencontrer l’autre). Il est le lieu où l’humain se retrouve. Il est indispensable, selon l’auteur, que l’humain assure le futur de ce lieu de communion. Le cosmos est l’espace où les humains se rencontrent et se vivent. C’est là le sens du don de la création fait à l’humain. C’est donc bien l’objectif du créateur, amener ses créatures à la jouissance. Son intérêt est porté surtout sur le bien-être de ces dernières; « [u]n don n’est pas fait d’abord pour la louange de qui donne, mais pour la jouissance de qui reçoit. Un don est d’abord un donné-à, avant d’être donné-de42.» Pour montrer la force qu’il y a dans ce don fait par Dieu et surtout la relation entre le créateur et les créatures, Gesché va dire ce qui suit :

La création, nous parle de Dieu : elle nous parle d’un Dieu concerné par le créé, par le monde. Dieu pose le cosmos, non pas comme un moment de lui-même, mais comme une réalité en soi et pour soi. Ceci est capital. Cela pose, en effet, que l’homme a là son bien propre et n’en peut être dépossédé. Le cosmos est le lieu de l’homme43.

En prenant acte de cette considération de la création comme médiation entre Dieu et l’humain, le cosmos se retrouve dans une autre perspective; il exprime une autre

40 A. Gesché, Dieu pour penser IV…, p. 43. 41 A. Gesché, Dieu pour penser IV…, p. 195. 42 A. Gesché, Dieu pour penser IV…, p. 54. 43 A. Gesché, Dieu pour penser IV…, p. 43.

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21 dimension. Selon Gesché, c’est la dimension de la sauvegarde du cosmos. Le commandement «soumettez la terre», souvent difficilement compris aujourd’hui, ne signifie pas tellement la maîtrise du cosmos, mais plutôt concours respectueux et reconnaissant. Ainsi, Dieu donne la création à l’humain qui lui sert de médiation, mais il y habite aussi.

1.3.3 La création comme lieu de liberté

Pour expliquer la richesse de la notion de liberté, en lien avec la création, Gesché adopte un point de vue comparatif. L’auteur compare l’originalité de la théologie de la création du récit judéo-chrétien à celui de la cosmologie grecque. Il s’agit de comprendre la notion de liberté à partir d’une vision de l’homme grec et d’une vision judéo-chrétienne. Pour ce faire, Gesché prendra comme point d’appui de son analyse le récit judéo-chrétien du début du livre de la Genèse : «Au commencement Dieu créa le ciel et la terre» (Gn 1, 1). Pour Gesché, en posant que c’est Dieu qui est au commencement, on échappe, fondamentalement, au régime de la nécessité pour entrer dans celui de la liberté. Placer Dieu à l’origine, c’est sortir de l’anonymat du régime des lois naturelles pour entrer dans le règne de la personne. «C’est dire, cette fois, que la création, portée par un sujet, répond à un dessein44.» Le monde, dans ce cas, n’est pas soumis à une destinée impersonnelle ni livré à des lois et des règles, à une téléologie involontaire.

La différence entre les deux visions se fait progressivement de plus en plus visible au fil de l’analyse. Selon Gesché, l’homme grec dominé par la nature, sera pour grande part condamné à l’imitation. Ce sera quasiment son statut. «Car si, pour les Grecs, c’est vrai et c’est même une évidence, l’art suppose une liberté, il s’agit d’une liberté d’intervention, et tardive, non d’une liberté d’invention, et originaire45.»

44 A. Gesché, Dieu pour penser II…, p. 61. 45 A. Gesché, Dieu pour penser II…, p. 62.

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Dans le schéma judéo-chrétien, au contraire, la priorité de création annonce sur la priorité de la liberté sur de la nature46. Selon Gesché, les Grecs, au fond, sont peu libres. «La liberté grecque n’est pas une liberté tout à fait permise, sereinement souhaitée et voulue. Elle est conquise contre les dieux et sur la nature des choses, il y a de l’hubris en son exercice, qui implique une part inévitable de culpabilité47.» Dans cette même perspective, Gesché déclare que l’homme grec n’est pas établi dans la liberté, puisque ce qui le domine et ce qui est premier, c’est la nature, c’est-à-dire le hasard et la nécessité.

Chez les Grecs, nous n’avons pas une expérience originaire et primordiale de la liberté. Tout à la différence du paradigme chrétien de création, où la liberté préside à la constitution des choses; où dès lors, la liberté est inscrite dans l’être; où elle est vue, non comme l’objet (tardif) d’un arrachement, mais comme le droit (premier) d’un don. En régime judéo-chrétien, la création, et par conséquent la liberté et l’invention, constituent le droit même et le fil, le tissu de l’existence créée48.

La liberté, selon Gesché, n’est pas d’abord possibilité de choisir, ce n’est là que conséquence psychologique et morale. La liberté, pour l’auteur, est cette capacité métaphysique, ce droit ontologique à assumer personnellement son destin de manière responsable, c’est-à-dire en rendant compte. Gesché dira qu’il y a dans la notion de création; «[l’]affirmation d’un Tiers, d’une Transcendance, d’une Altérité, loin de déprimer la liberté, l’annonce en signifiant que devant elle l’homme a droit et pouvoir de décision et de liberté parce qu’il est capable de rendre compte, ce qui ne se peut dans le cercle fermé de l’immanence49.»

Cette altérité dont parle l’auteur est ce trait de séparation50, cette liberté de choix dans lequelle, de par la création même, l’humain est installé.

Le créé n’est pas pour autant déclaré indépendant de Celui qui lui donne origine, mais ce don, précisément, donne à l’autre d’exister comme différent, «séparé» […]. Entre le créateur et le créé s’inaugure la possibilité d’une

46 Nature ici c’est le hasard et la nécessité comprise dans une perspective grecque. 47 A. Gesché, Dieu pour penser II…, p. 63.

48 A. Gesché, Dieu pour penser II…, p. 64. 49 A. Gesché, Dieu pour penser II…, p. 65.

50 Le trait de séparation dans cette perspective signifie trait d’union. Il ne faut pas le comprendre comme la

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23 existence sabbatique, celle du rapport de liberté, loin de la contrainte besogneuse des causalités de la semaine51.

On est ici dans la sphère de «l’homme créé créateur» de Gesché. Mais l’homme est, si l’on peut dire, créé séparé; une séparation comprise comme espace de liberté, une séparation créatrice. La création est un espace entre Dieu et l’humain. Sans doute proposé et finalement donné, mais précisément, sous forme de don52. Gesché va plus loin en affirmant que le rapport de l’humain à Dieu n’a rien de la nécessité, puisqu’il se situe dans l’ordre de la liberté.

Le mot liberté est ici associé à celui de création […]. Il y a plus, au fond, dans le mot création que dans le seul mot de liberté. Ici, le mot liberté veut dire vraiment ce qu’il veut dire: responsabilité créatrice, courage d’inventer le meilleur, confiance de pouvoir s’accomplir au sein d’un dessein généreux. Aussi bien, l’homme ne doit-il pas avoir peur, redisons-le de cette puissance de liberté créatrice : elle lui est donnée53.

Il y a sans doute dans la notion de liberté qui vient d’être employée une résonnance de la notion de création dans une perspective judéo-chrétienne. «Cette liberté, inscrite dans et dès la création, est une liberté autorisée, voulue, permise, désirée. Bref, une liberté donnée, créée, attestée54.» Ce qui signifie que le rapport que Dieu entretient avec la création est une relation de non-présence obsédante, autrement dit que la création est un royaume de liberté et d’autonomie.

Celui qui a fait l’homme en vue de la participation à ses propres biens […] ne pouvait le priver de plus beau et du plus précieux des biens, je parle de la grâce de l’indépendance et de la liberté. En effet, si quelque nécessité dominait la vie humaine, «l’image» serait mensongère sur ce point, étant altérée par quelque chose de dissemblable au modèle55.

D’après Gesché, on risque de passer le temps à la conquête de la liberté, si celle-ci est conçue comme arrachée. Par contre, la conception d’une liberté originelle et donnée permet d’en procurer d’autres biens, ceux-là mêmes qui sont le fruit d’une liberté déjà assurée.

51 A. Gesché, Dieu pour penser IV…, p. 69-70. 52 Voir A. Gesché, Dieu pour penser II…, p. 83. 53 A. Gesché, Dieu pour penser II…, p. 83-84. 54 A. Gesché, Dieu pour penser II…, p. 68.

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1.4 L’humain comme co-créateur

La compréhension qu’a Gesché de l’humain comme co-créateur se trouve exprimée de différentes manières, selon lui, dans le récit inaugural. Gesché présente la formulation de cette compréhension en trois points.

En premier lieu, Gesché se réfère au récit de la création, plus précisément au passage portant sur le repos de Dieu. Ce repos de Dieu au septième jour suggère, selon l’auteur, que désormais, c’est à un autre de poursuivre le geste créateur. On peut penser que l’homme sera bien le «créé créateur» « [a]yant pour mission de porter jusqu’au bout le vœu de la création tout entière56.» Il y a là aussi la dimension de «créer et se retirer». Selon Gesché, comprend-on, Dieu qui crée et se retire, donne un autre sens à la création; le départ de Dieu donne à l’humain un autre statut; celui d’être un co-créateur. «C’est aussi le sens de la nomination de toutes choses confiée par Dieu à Adam57.»

Il faut souligner aussi que nommer ne signifie pas classifier. Pour l’auteur, ce n’est pas une simple activité de rangement; nommer c’est poursuivre la création. En d’autres mots, c’est faire exister; puisque «nommer c’est être58.»

En second lieu, intervient le thème du jardin planté pour être travaillé. L’auteur note que «planter pour être travaillé» indique aussi cette conception d’une création dont le geste, comme suspendu par Dieu, est du coup confié à l’humain. Le but principal, ce n’est pas simplement de regarder et conserver, mais c’est faire ressortir la capacité d’invention que suppose précisément le travail. Gesché souligne aussi la thématique de l’habitation; Dieu a donné la terre pour qu’elle soit habitée.

On comprend aussi que la création n’est point achevée avec le geste initial de Dieu. «On la dirait plutôt inchoative, appel que soit quelque chose, qui devra être déterminé par un autre, comme par un co-créateur59.» Cette suspension du travail par Dieu est une autre

56 A. Gesché, Dieu pour penser II…, p. 76. 57 A. Gesché, Dieu pour penser II…, p. 77.

58 Octavio Paz cité dans A. Gesché, Dieu pour penser II…, p. 77. 59 A. Gesché, Dieu pour penser II…, p. 77.

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25 manière de dire que créé à l’image de Dieu, l’être humain aura à parfaire la création, pour son propre épanouissement.

En dernier lieu, arrive le commandement de croître et multiplier. Ce commandement poursuit cette idée que le monde est inachevé et que l’humain est appelé à y trouver l’espace où il pourra s’épanouir. Dans ce sens, pour Gesché, l’appel est au fond celui de devenir homme. «Nous sommes appelés, dans la Genèse, à faire prospérer la terre. Et cela, non pas sur le regard immobilisant d’un Dieu de dictée, mais dans l’absence de tout regard, celle d’un Dieu qui dort60.» D’après Gesché, Dieu ne pose pas l’humain comme des pièces d’une machine, mais l’inscrit dans le monde en vertu d’un plan, d’une invention.

Le monde n’est pas tout donné; Dieu confie à l’humain une responsabilité de parfaire la création. Cela ne veut pas dire que Dieu se tient à distance et que l’humain aura à tout fait. «L’homme n’est pas sur terre pour réaliser une dictée61.» L’homme est créé créateur. Gesché va plus loin en affirmant que l’homme a été créé cause, autrement dit l’homme est créé pour créer. En effet, si l’humain est appelé à croître et multiplier, ses actions doivent répondre à un désir. Quelque chose de nouveau doit s’inaugurer dans le plan de l’humain. C’est le désir de participer à l’action créatrice de Dieu. «Cette liberté inventive et active de l’homme n’arrache rien à la création divine, comme chez Prométhée. En se faisant inventive, elle en poursuit au contraire l’invention62.» L’humain est bien là pour poursuivre un dessein déjà amorcé. C’est en ce sens que l’homme joue le rôle insurpassable de co-créateur.

1.5 L’engagement dans le don

Adopter le langage du don pour parler de la création inclut l’idée que le donateur s’implique dans l’action. Parler d’engagement dans l’action créatrice, c’est écarter toute

60 A. Gesché, Dieu pour penser II…, p. 78. 61 A. Gesché, Dieu pour penser II…, p. 79. 62 A. Gesché, Dieu pour penser II…, p. 80-81.

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conception d’un Dieu horloger, mécanique63. Ce don qui suscite l’engagement est intimement lié au salut que Dieu donne à l’homme, en lui attribuant la création. De là, on découvre la bonté du créateur. Il s’engage dans l’organisation du cosmos en le sortant du chaos, pour ensuite le confier à l’humain. Il revient à l’homme d’assurer le futur du cosmos. Cela est possible dans la mesure où, par son engagement, l’homme s’engage à la suite de Dieu non pas à l’organisation mais à la protection du cosmos. S’engager dans l’œuvre créatrice de Dieu, c’est du coup prendre part à ses bienfaits et à sa bonté.

Un autre thème proche du don est celui de la gratuité. Cette thématique était aussi présente dans les parages de la théologie scolastique, plus précisément de la théologie thomiste. Dans cette théologie, il n’y a pas de relation constitutive de Dieu à l’homme; Dieu se suffit à lui-même, dans sa béatitude éternelle, et la création n’ajoute rien à son être64. Évidemment, « [à] sa manière (qui ne serait plus tout à fait le nôtre), la théologie thomiste disait la gratuité du geste créateur, geste non exigé, geste sans besoin65.»

L’image du don est importante parce qu’elle renvoie à la fois à la gratuité et à l’engagement. Il me semble que, tout en laissant de côté certaines critiques qui connotent des idées d’utilité, d’intérêt et de calcul, l’action divine peut être considérée comme surabondance de bonté et de don. D’ailleurs, il faut se défaire, autrement dit il faut dépasser cette vision de l’image d’un Dieu calculant d’une métaphysique mathématique66.

Ceci étant dit, la gratuité de la création ne doit pas faire oublier le caractère et le sens de l’engagement qui s’y attachent. Le don crée un lien, une relation qui engage les différents partenaires. «La création est avant tout une certaine relation entre le Créateur et sa créature67». Dans cette relation le créateur communie à ses créatures.

Cela fait qu’on peut dire que le Dieu créateur est libre. La création ne répond chez lui à aucune nécessité. Pourtant, bien comprise, la création n’est pas le fruit d’un hasard. Cela signifie que la création vient de sa profonde et unique volonté. Dieu est suffisant à

63 A. Gesché, Dieu pour penser IV…, p. 58. 64 A. Gesché, Dieu pour penser IV…, p. 37-38.

65 Thomas d’Aquin cité dans A. Gesché, dans Dieu pour penser IV…, p. 40.

66 «Cum Deus calculat, fit mundus» Leibniz, cité dans A. Gesché, Dieu pour penser IV…, p. 60. 67 F. Euvé, Penser la création…, p. 358.

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27 même; il n’a pas non plus créé pour ajouter à son être. Ce qui pousse à dire que son œuvre créatrice est le reflet d’une parfaite gratuité. «Dieu est un créateur souverainement libre, que rien ne détermine à agir. Il ne crée pas non plus par hasard, par caprice, ce qui serait une autre manière de nier sa liberté : il n’y a pas de liberté si l’action n’est pas intentionnelle68.»

L’idée de la gratuité de la création ne peut pas faire oublier à l’homme qu’il a été créé pour la gloire du créateur. En ce sens, cela voudrait-il dire que Dieu a besoin de quelqu’un d’autre, autrement dit d’une puissance extérieure à lui-même? «Dieu n’a aucun besoin de l’univers, car il est la plénitude de l’Être. Il l’a créé par pure gratuité69.» Une autre manière de souligner ce point, sans laisser le domaine du don est de tenir ensemble les deux moments, celui de l’engagement et de la gratuité. La prise en compte de ces deux moments révèle le sens de la création.

1.6 La création: acte d’amour et de présence

Dans le cadre d’une compréhension de la création comme don peut-on dire que cette création est essentiellement un acte d’amour? Cela veut-il dire que la création une fois donnée n’a rien à voir avec le donateur puisqu’elle a été donnée par amour? La création n’est rien d’autre que confiance70. Associer le don à la création, c’est dire que le donateur fait confiance au donataire. Gesché affirme que la création est un jeu à deux. «C’est ainsi qu’on peut vraiment parler de la présence de Dieu : d’une vraie présence parce qu’il ne s’agit plus d’un horloger, mais d’un confiant dans l’être71.» Ce qui signifie aussi que le créateur ne fait pas appel à sa toute puissance; il accepte de confier son œuvre à un autre. C’est en effet l’idée de l’amour, autrement dit c’est ce fondement qui permet de parler du don de la création. C’est une idée proprement éthique qui pourra bien se présenter comme une catégorie de relation. En fait, « parler de la création en termes éthiques, c’est dire que

68 F. Euvé, Penser la création…, p. 353. 69 R. Coste, Dieu et l’écologie…, p. 57. 70 A. Gesché, Dieu pour penser IV…, p. 158. 71 A. Gesché, Dieu pour penser IV…, p. 160.

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le monde est un monde amoureux et sensé, lieu de destinée et de sens72.» Il faut dire que la création comprise comme acte d’amour ne signifie pas abandon; cela veut dire que le créateur fait don de sa création mais ne l’abandonne pas.

Parler d’un Dieu qui crée par la sagesse, par la miséricorde, par amour, c’est retrouver des catégories théologiques, qui, au fond, sont peut-être bien mieux appropriés que d’autres. Avec ces catégories éthiques, nous aurions en tout cas l’idée que Dieu pose le monde, l’institue, l’inaugure, ce qui est tout autre chose que fabriquer ou dicter. Un acte éthique ne produit pas que quelque chose ou quelqu’un, il suscite en même temps une relation, un rapport73.

Cela nous permet de comprendre que la création peut être comprise comme un don. Cependant cela ne veut pas dire que Dieu l’abandonne à son sort. Loin d’être un don unilatéral, malgré la libre décision de Dieu créateur de donner, la création est plutôt un don qui inclut la responsabilité du donataire. Ce qui veut dire que le contrôle que l’humain exerce sur la création inclut en même temps une obligation envers celle-ci. «Exercer le pouvoir sans observer l’obligation est alors irresponsable, c’est-à-dire une rupture dans le rapport de confiance de la responsabilité74.»

Ceci dit, l’amour de Dieu est totalement gratuit. Le don provenant de Dieu n’implique pas, pour ainsi dire, un échange symbolique, une réciprocité, mais évoque davantage une relation. Il faut comprendre qu’il n’est guère possible de parler de relation sans un engagement du donataire.

On dira donc que Dieu est amour, il est fidèle à son alliance en donnant la création; il s’attend justement à ce que l’humain jouisse de ce privilège avec engagement et ouverture. La création est un don suprême; elle est en même temps le lieu d’une attention extraordinaire, d’autant plus qu’elle n’est pas un don calculé. Une telle hypothèse aide à comprendre qu’un don qui n’introduit pas de contre-don, autrement dit un don sans

72 A. Gesché, Dieu pour penser IV…, p. 143. 73 A. Gesché, Dieu pour penser IV…, p. 141.

74 Hans Jonas, Le principe responsabilité : Une éthique pour la civilisation technologique Paris, Cerf, 1990,

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29 attendre de retour particulier ne détruit pas la relation. En outre, « le fait d’avoir été créé à l’image de Dieu fait peser sur l’homme certains privilèges et certaines responsabilités75.» Mettre en évidence la fonction de l’amour pour parler du don de la création invite à s’interroger sur un élément théologiquement indispensable; puisque l’humain a bénéficié librement et gratuitement la création. «Il s’agit de situer le cosmos comme une instance tierce, ou d’une manière plus dynamique, dans un jeu de relations, où chaque partenaire (Dieu, l’homme, le cosmos) peut entrer en alliance avec l’autre par la médiation du troisième76.»

La création de la terre est en effet un don : Dieu a donné la terre aux hommes (Ps 113, 24). Dieu, si l’on peut dire, n’a pas simplement créé la terre. Il a créé cette demeure qui est sienne, nous l’avons vu, et il nous l’a donnée. C’est donc ainsi qu’elle est oïkos anthôpou, et c’est ainsi que, devenus intendants (démiurges), nous en faisons notre oïkoumenè. Terre qui sera dès lors terre de communion, où Dieu, en cette commune demeure, nous partage sa vie et sa présence77.

Un autre versant est de savoir si la création a été donnée une fois pour toute à l’humain. Dans cette perspective, on est dans un type de don moral. À notre avis, réduire la création à un don moral (unilatéral) ouvre un autre espace à l’homme où il est en droit de faire ce qu’il veut, autrement dit de laisser libre cours à sa volonté d’exercer un pouvoir arbitraire et abusif78. «La création ne peut pas être l’objet d’une vulgaire domestication79.» Elle est le lieu où l’humain partage la vie même de Dieu. «Parce que lieu du Logos, l’homme y trouve barrière (mais, comme toute limite et finitude, une barrière est libératrice et créatrice), barrière à toute exploitation. Cette terre de destinée, il doit la préserver comme terre de salut. Car c’est une terre de salut, finalement, qui a été donnée à l’homme80.» Après ces considérations il est important de dire que la création n’est ni un prêt ni un don oublié. À la différence de ce qu’un prêt implique, la création est certainement un don qui

75 Corine Pelluchon, Éléments pour une éthique de la vulnérabilité. Les hommes, les animaux, la nature,

Paris, Cerf, 2011, p. 64.

76 F. Euvé, Penser la création…, p. 361. 77 A. Gesché, Dieu pour penser IV…, p. 89.

78 Cela ne veut pas dire que l’humain doit avoir un comportement craintif et conservateur, mais il doit tout

simplement éviter un usage outrancier de la création.

79 A. Gesché, Dieu pour penser IV…, p. 90. 80 A. Gesché, Dieu pour penser IV…, p. 90.

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