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La logique de la théorie du don maussien

CHAPITRE II: UNE ANTHROPOLOGIE DU DON

2. L E DON COMME RÉALITÉ

2.1 Le don dans la pensée de Mauss

2.1.3 La logique de la théorie du don maussien

On a vu les pratiques du don dans la perspective maussienne, mais il est devenu tout aussi clair que le don n’est pas simple, il existe une logique dans l’objet même du don. Le don, lorsqu’il s’effectue dans la forme non antagoniste, institue un double rapport de dépendance réciproque conduisant les différents protagonistes à des obligations mais aussi à des avantages.

C’est pour cela que Mauss, pour expliquer les raisons qui font que le don d’une chose soit suivi du contre-don, fait intervenir l’idée de croyance en l’existence d’une âme dans les choses. Cette âme est un esprit, une force qui les posséderait et les pousserait à retourner vers le point de départ. Mauss fonde sa pensée sur une intuition originale : celle du « va-et-

vient» des dons. Selon lui, peu importe leur valeur, leur nature, que les dons soient

identiques ou non, l’important est qu’ils parcourent des voies inverses ou analogues et que les mouvements se reproduisent. Il faut souligner aussi que dans la perception maussienne, le don est d’une nature privilégiée.

Au cours de son aller-retour, l’objet ne s’est pas déplacé pour rien. Beaucoup de choses se sont passées grâce à son déplacement. Deux relations sociales identiques, mais de sens inverse, ont été produites et se sont enchaînées l’une à l’autre, liant ainsi deux individus ou deux groupes dans un double rapport de dépendance réciproque30.

On trouvera dans ce rapport un grand nombre de caractéristiques qui concerne cette nature privilégiée du don. En premier lieu, il institue un rapport de solidarité. En second lieu, c’est le fait que le don oblige un contre-don. En dernier lieu, le don rend proche les protagonistes parce qu’il est partage mais du coup les écarte parce qu’il fait de l’un l’obligé de l’autre. De ceci, il est clair que le don est précisément un double mouvement. «Le don est, dans son essence même, une pratique ambivalente qui unit ou peut unir des passions et des forces contraires31.» Ceci étant dit, ce modèle de don pouvait, par contre, fournir des balises pour le partage au sein d’une société.

30 M. Godelier, L’énigme du don…, p. 63. 31 M. Godelier, L’énigme du don…, p. 21.

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Les thèmes du don, de l’obligation dans le don dans ces sociétés deviennent un motif dominant qui, selon Mauss a été trop longtemps oublié. Il ne suffit pas de constater le fait, il faut en déduire une pratique liée à ce qu’il appelle un retour à des principes plus anciens tout en préconisant le respect des données nouvelles liées au marché, à l’économie, etc. On comprendra qu’à partir du moment où la plupart des rapports de personne à personne passe par le partage des dons, ce modèle que préconise l’auteur; le don devient une obligation. Cette obligation fonde une pratique qui a des résonnances dans la conscience de chaque individu. La pratique du don s’étend alors dans toutes les réalités sociales du monde. On retrouvera des motifs de vie et d’action que connaissent des sociétés et des classes nombreuses. «Le nombre, l’extension, l’importance de ces faits nous autorisent pleinement à concevoir un régime qui a dû être celui d’une très grande partie de l’humanité pendant une très longue phase de transition et qui subsiste encore ailleurs que dans les peuples que nous venons de décrire32.» Un système dans lequel individus et groupes partagent tout entre eux; un système où règne ce principe de l’échange-don. De cette perspective découle la logique du don sans calcul, s’opposant aux rapports marchands. Cette logique permet de concevoir une société ou règnent les principes de partage et de réciprocité.

Bilan sur Mauss

Dans cette première section de ce chapitre, nous avons analysé la pensée du don chez Marcel Mauss. Nous avons essayé de voir sous quel angle l’auteur s’est posé la question du don et comment il évalue le rôle et l’importance du don dans le fonctionnement des sociétés et dans la constitution du lien social. Nous avons vu que toute la pensée maussienne du don était centrée sur la triade donner/recevoir/rendre. Mauss montre que le don est présent à tous les niveaux des sociétés qu’il a analysées, il en constitue la forme sociale majeure. La thèse de Mauss, dans son Essai sur le don, établit la différence entre l’échange marchand, intéressé, et le système de don qui exige un va-et- vient entre le donateur et le donataire. Mauss situe l’échange-don, thème central de son essai, comme le fait social total de l’organisation sociale des sociétés archaïques.

47 Nous avons vu que le triptyque donner-recevoir-rendre est essentiel chez Mauss; cependant, l’obligation de donner quelque chose et l’obligation de rendre sont les caractéristiques essentielles du don. Le troisième terme, celui qui oblige à rendre un présent reçu apparaît comme le plus essentiel. Ce retour du don reçu se trouve du côté des mécanismes spirituels, moraux, des croyances, etc. qui accordent aux choses une âme ou un esprit qui les poussent à revenir au lieu de départ.

Il est à noter que la notion de réciprocité dont l’auteur parle beaucoup, et qui provient des sociétés organisées n’est pas une forme mais un principe et elle est perçue comme le garant de la paix entre les tribus. De fait, on a là les trois éléments essentiels (la triade) de la construction théorique de la sociologie du don de Mauss. Le lecteur comprendra que l’essentiel de la pensée du don maussien est fondamentalement ce mouvement de don/réception/contre-don que l’on peut encore appeler don cérémoniel réciproque présent à travers les différents moments de la production-reproduction des sociétés.