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Des parcours institutionnalisés

Partie 2. Des jeunes correspondant à la cible du dispositif

2. Des parcours institutionnalisés

L’accumulation des difficultés scolaires, de la précarité économique et des instabilités familiales entraine de nombreuses prises en charge par des institutions telles que les services de protection de l’enfance, les hôpitaux psychiatriques et la justice pénale. Au fil des années, les jeunes « passent » d’une institution à une autre, d’un dispositif à un autre.

2.1. L’intervention des services de protection de l’enfance

Les instabilités familiales et les histoires infantiles perturbées nécessitent pour certains cas l’intervention des services de protection de l’enfance (civile et pénale). Rappelons que les services de protection de l’enfance interviennent à partir du moment où l’enfant est considéré comme étant « en danger ou en risque de danger », c’est à dire lorsque « la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur non émancipé sont en danger, ou [lorsque] les conditions de son éducation ou de son déve- loppement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises » (article 375 du Code civil). Pour certaines situations, le jeune a été confié à un tiers digne de confiance, car ses parents ont été déchus de la totalité ou d’une partie de leurs droits parentaux. Il/elle peut également avoir été placé(e) dans un foyer de protection de l’enfance ou suivi par un éducateur en milieu ou- vert. C’est le cas notamment de Maëla (E1) qui est signalée par l’assistante sociale scolaire pour

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Section d’Enseignement Général et Professionnel Adapté

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Contrat d’Accès à la Qualification

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Contrat d’Insertion dans la VIe Sociale

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La Garantie jeunes en action. Usages du dispositif et parcours de jeunes

absentéisme. S’en suivent deux ans de placement dans un foyer de protection de l’enfance. De même, William (E28) qui, adolescent, enchaine les foyers et les familles d’accueil suite à la sépara- tion de ses parents. D’autres, comme Amidou (E20), ont été suivis depuis leur enfance par des édu- cateurs de prévention spécialisée.

2.2. Une prise en charge psychiatrique

Un des résultats importants de cette enquête concerne les jeunes qui ont été pris en charge et dia- gnostiqués par les institutions (Centre Médico Psychologique ou Éducation nationale) comme ayant des problèmes de santé mentale ou de retard psychologique. Plusieurs d’entre eux ont bénéficié d’un suivi psychologique dans le cas de placement en foyer de protection de l’enfance mais aussi dans le cadre du système scolaire. De plus, une part non négligeable des entretiens a révélé des « cas psychiatriques » lourds (schizophrénie, troubles bipolaires, agoraphobie). Pour ces derniers cas de figure, des séjours en hôpital de jour et des internements en hôpital psychiatrique ont été mentionnés au cours des entretiens.

Ces constats viennent conforter les résultats de l’enquête Presaje (Projet de recherche sur la santé des jeunes) conduite en 2011 sur un échantillon aléatoire de 1 453 jeunes de 18 à 25 ans fréquentant cinq missions locales (Clichy, Poitiers, Reims, Sénart, Toulouse). Dans son article sur la santé et le recours aux soins des jeunes en insertion53, Sarah Robert analyse et compare les données de cette enquête Presaje aux données des 2 899 jeunes du même âge du Baromètre Santé 2010 et des 204 jeunes de la cohorte francilienne SIRS54 2010. Selon elle, ces jeunes ont des profils sociaux divers et « connaissent globalement des conditions de vie plus difficiles que les jeunes du même âge de la population générale. Ils accumulent des facteurs de vulnérabilité vis-à-vis de la santé : mauvaise couverture sociale, faible niveau de formation, accumulation des événements de vie difficiles dans l’enfance et isolement social. » Plus encore, en ce qui concerne la santé mentale, on constate dans ces enquêtes que « les jeunes en insertion sont aussi plus souvent déprimés que les jeunes de l’enquête SIRS (…) et près d’un sur trois (30,2 %) déclare un état de santé psychologique ou émo- tionnel dégradé. Comme pour toutes les autres caractéristiques sanitaires, il est difficile de détermi- ner, dans une enquête transversale, si cette fragilité psychologique est la cause ou la conséquence de leur situation sociale, tout au plus peut-on rapprocher le fait qu’une majorité des jeunes interrogés jugent que certaines choses dans leur vie nuisaient à leur santé physique, psychologique ou à leur moral. Une étude de cohorte suisse55 suggère que la situation sociale des NEETs est une consé- quence de leur santé mentale et de la consommation de cannabis et d’alcool et non l’inverse. »56 Les études montrent ainsi que les jeunes rencontrés au sein des missions locales présentent plus souvent des états dépressifs : « La prévalence des troubles du sommeil et des symptômes dépressifs est particulièrement élevée dans cette population (jusqu’à 77 % et 30 % respectivement) et l’immense majorité (85 %) des jeunes détectés déprimés n’en avaient jamais parlé à un médecin »57

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Robert, S. Lesieur, V. Kergoat, J. Dutertre, P. Chauvin, 2014, « Quels jeunes en insertion sont les plus à distance du système de soins en France ? » Revue d’épidémiologie et de santé publique, vol. 62, supplément 5, septembre, page S202.

54

Santé inégalités et ruptures sociales.

55

Baggio S., Iglesias K., Deline S., Studer J., Henchoz Y., Mohler-Kuo M., et al., 2015, “Not in Education, Employment, or Training status among young Swiss men. Longitudinal associations with mental health and substance use”, Journal of Adolescent

health, 2015/56, pp.238-243.

56

Robert, S. Lesieur, V. Kergoat, J. Dutertre, P. Chauvin, 2014, op. cit., p. 18.

57

Kergoat V., Dutertre J., Crépon B., Beck S., Pernaudet J., Romanello L., Chauvin P., Lesieur S., 2013, « Expérimentation sociale et santé des jeunes en Mission locale », La Santé en Action, n°425, septembre, p. 35-38, p. 38.

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Rapport de recherche du Centre d’études de l’emploi et du travail, n° 101, novembre 2016

Dans le cadre de notre enquête, les jeunes qui ont été pris en charge par la protection de l’enfance ou la psychiatrie hospitalière expriment en général une forme de saturation à l’égard des institutions qu’ils jugent intrusives, et même déficientes.

« Ça fait 19 ans que je suis suivie par l’ASE58, j'en peux plus […] Mainte-

nant l'ase ça sert plus à rien […] Sans l'ASE, j'aurais peut-être pas avan- cée….mais j'en peux plus. J'suis surveillée 24 heures sur 24…je vais pas ap- peler quand je vais faire pipi ». Marion (E6).

« [À propos de ses internements en hôpital psychiatrique] Ah c’est l’enfer hein, j’aurais préféré aller en prison comme je disais là-bas. […] Ah c’est… c’est bizarre hein. On n’est jamais nous-même. Déjà on n’est jamais nous- même. Ici par exemple je vous parle, là-bas je pourrais pas vous parler comme ça hein. Je vous aurais limite même pas parlé […] Ben parce que ils nous donnent des médicaments qui font qu’on est ramolli. Et puis voilà. […] Ce qu’il y a de plus difficile là-bas c’est… C’est l’isolement. Parce que j’ai fait beaucoup d’isolement moi là-bas, et c’est difficile hein, c’est ce qu’il y a de plus difficile à supporter. […] Ben en fait, ben, c’est comme le mitard en prison, c’est une prison dans l’hôpital, t’es enfermé, tu vois personne. […] Personne, à part quand ils nous amènent le repas, c’est le seul temps où je vois des gens, sinon je vois personne. Quand il faut prendre sa douche ou quoi, sinon je vois personne. » Selim (E53).

Une troisième institution intervient dans la trajectoire des jeunes rencontrés, il s’agit de la Justice pénale.

2.3. Les manquements à la loi

Une partie de la population enquêtée a été condamnée par décision de justice suite à des délits liés au trafic de drogue (dealer, guetteur, racoleur, transporteur) ou d’objets volés, à des conduites sans permis ou des violences sur autrui. Foussenou (E11) a dû porter un bracelet électronique pendant deux semaines suite à une « bagarre de cité ». Jordan (E39), quant à lui, a été incarcéré pendant trois ans et demi pour vol et trafic de voitures, après être passé sept fois en comparution immédiate. Si une partie des jeunes rencontrés a été sanctionnée par la loi et reconnue comme déviante, l’autre est restée « secrètement déviante »59

. Aïcha (E19) raconte par exemple s’être rendue en transports en commun toutes les deux semaines à Saint-Denis pour récupérer une livraison de cannabis (un sac entier de sport). Sous l’emprise d’un homme, elle effectue ces allers-retours pendant un an en échange de 300 euros par voyage. « J’étais un pion qu’il envoyait. À l’époque, je ne me rendais pas

compte que c’était très dangereux ». Après plusieurs années, Aïcha quitte cet homme qui sera in-

carcéré. Quant à Oliver (E22), il dit avoir tiré des revenus informels de « la vente illégale » : « ça

peut être de tout. […] Demain, je peux vendre un ordinateur, comme avant je pouvais vous vendre un chien », « c'était un peu de l'argent de poche ».

Qu’il s’agisse de l’école, de la protection de l’enfance, de la psychiatrie ou de la justice, les jeunes rejettent ces institutions ou disent en avoir été exclus, souvent de manière injuste. Les parcours des jeunes rencontrés sont donc jalonnés par des entrées, des sorties, des prises en charge sous con- trainte, des exclusions et des condamnations. Cette expérience de l’hyper institutionnalisation dé- termine en partie leur rapport à la Garantie jeunes et les effets du dispositif sur leur trajectoire (voir partie 4). Ces parcours sont également marqués par une mobilité faible.

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Aide Sociale à l’Enfance

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Becker Howard S., 1985 (1963), Outsiders. Etudes de sociologie de la déviance. Paris, A-M. Métailié.

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La Garantie jeunes en action. Usages du dispositif et parcours de jeunes