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Partie 3. L’expérience de la Garantie jeunes

3. Les quatre catégories d’interaction

3.1. Mobilisation

La catégorie « mobilisation » regroupe des situations dans lesquelles la proposition institution-

nelle correspond aux attentes des jeunes et rencontre leurs aspirations. Elle rassemble toutes les

situations où ils sont invités à s’impliquer avec un objectif d’autonomisation clair. L’institution sollicite le jeune qui s’empare de la proposition institutionnelle. Les deux exemples ci-dessous per- mettent de l’illustrer :

Je suis dans la salle d’accueil de la mission locale où se déroule simultané- ment plusieurs scènes. Sur le côté devant des postes informatiques, cinq jeunes recherchent des vidéos sur YouTube présentant des films institution- nels comme ceux réalisés par Pôle emploi. Ces vidéos servent à présenter différents métiers à des candidats éventuels (cariste, conductrice de bus, ma- gasinier, etc.). Une ambiance bon enfant se fait jour devant les écrans. Les jeunes rient, se moquent gentiment des vidéos, s’imaginent dans tel ou tel métier, se chambrent les uns les autres. De temps en temps, profitant de l’absence de la conseillère qui fait des allers-retours dans son bureau, les jeunes regardent des pages internet personnelles (Facebook, site de football, etc.). Détendue, l’ambiance est globalement studieuse.

À l’autre bout de la pièce autour de la table centrale, d’autres jeunes relisent leurs lettres de motivation et leurs curriculum vitae. La conseillère échange avec eux à tour de rôle et on assiste à des discussions entre jeunes autour de la table et jeunes devant les écrans. Extrait des notes ethnographiques.

Cette scène est révélatrice d’une situation où le cadre global est fixé par la conseillère. L’ambiance est détendue et orientée vers la tâche. Pour qualifier ces moments, les jeunes disent : « on nous

prend pour des adultes ici, c’est pas comme à l’école ». Le rôle du conseilleur est primordial,

comme l’illustre aussi l’exemple ci-dessous. Figurant dans le kit de déploiement de la Garantie jeunes, l’atelier « expérience positive » est de ceux qui sont à même d’installer une dynamique col- lective :

Pour l’atelier « expériences positives », les jeunes doivent choisir un évène- ment de leur vie qu’ils qualifient de « positif, » une « expérience heureuse ». Ils présentent cette expérience à partir d’une série d’images qu’ils auront choisies sur le net, puis imprimées, découpées et collées sur une feuille de papier blanc grand format. Cet atelier est animé par un conseiller de la Ga- rantie jeunes, ancien formateur.

Dès le début de l’activité, les jeunes sont très appliqués, sauf Marion (E6) qui semble désabusée par l’exercice et ne comprend pas l’intérêt « de décou- per des images ». Le conseiller la motive tout au long de l’exercice, et arrive à obtenir après plusieurs tentatives qu’elle construise son panneau. Quant à Kevin (E3) et David (E2), ils sont très appliqués. Kevin se lance dans un ta- bleau « géant », comme il dit. Ce n’est pas pour déplaire au conseiller qui

Rapport de recherche du Centre d’études de l’emploi et du travail, n° 101, novembre 2016

accroche son tableau à la porte de la salle : « celui-là, il va rester » en sou- riant.

Gladys (E8) est la première à commencer par présenter le fruit de son travail de la matinée, ce qui ne l’enchante pas vraiment car l’exercice lui parait très difficile. Devant son attitude repliée, le conseiller essaye de la mettre à l’aise, en lui disant qu’elle ne sera pas jugée, ni notée, qu’elle peut se dé- tendre. Gladys s’exprime en quelques phrases très courtes pour présenter les vacances qu’elle a vécues avec sa famille à la Rochelle alors qu’elle était âgée de 10 ans. Le conseiller lui pose plusieurs questions et multiplie les re- lances pour faire parler la jeune femme sur ce séjour. Elle explique qu’elle s’est rendue à La Rochelle avec sa mère et ses quatre frères et sœurs. « Tout m’a plu là-bas ». Le conseiller lui demande si elle sait situer La Rochelle sur la carte de France qu’elle a imprimée en petit sur son tableau. Elle ne sait pas vraiment.

Sa famille était hébergée dans « un hôtel où il y a avait des personnes âgées ». Ils ont voyagé en bus pendant de nombreuses heures pour arriver à la Rochelle. Quand le conseiller lui demande pourquoi elle a aimé aller à la Rochelle, elle répond timidement : « C’est le fait de changer de pays… ». Kevin (E3) réplique gentiment en disant que La Rochelle c’est en France ! Mais la jeune femme ignore son propos et explique qu’ils sont restés deux mois à l’hôtel. Comprenant les sentiments de la jeune femme, Tony (E9) complète en souriant : « C’est des bonnes vacances… »

Gladys conclut en disant : « Je voudrais repartir à la Rochelle » « Je veux retourner en vacances qu’à la Rochelle », en agitant entre ses mains son gros crayon rose qu’elle porte autour du coup en permanence (attaché par un cordon de couleur assortie). Extrait des notes ethnographiques.

Si Kévin et David font l’exercice avec application, ce n’est pas immédiatement le cas de Marion. Mais par ses relances et son ton bienveillant, le conseiller rend possible l’engagement de Marion et Gladys. On note également le rôle des pairs dans la scène. Le tact et les sentiments d’empathie de l’un des jeunes permettent l’échange et la construction d’un collectif à même de porter les individus. Un dernier exemple permet d’illustrer la manière dont se rencontrent l’engagement des jeunes et la proposition institutionnelle du dispositif. Pendant les premières semaines, un atelier théâtre est pro- posé aux jeunes d’une des missions locales. Si cet atelier est pensé comme un lieu d’expression de soi et vise à donner confiance aux jeunes, chez Kévin, c’est aussi l’occasion de se remémorer qu’il a fait une sixième option théâtre et qu’il avait dû renoncer à cette pratique en intégrant un CAP. Cet atelier lui donne l’envie de profiter du stage pour explorer cet univers professionnel :

Enquêteur : Du coup à l'issue du premier mois, il y a le stage de deux se- maines. Euh... est-ce que vous savez dans quoi vous allez le chercher ? Kévin : En théâtre [sourire]. Ouais, je vais le faire en théâtre, je pense. Je suis encore en recherche, le gars doit me répondre, mais bon je vais pas l'at- tendre non plus. Donc je cherche d'autres choses au cas où il me dise non. Je prévois. Parce que c'est vrai que son théâtre, à lui, il était vachement pas mal. Ben il préparait les théâtres au Moulin donc en fait les deux sont reliés. Enquêteur : D'accord. Et du coup... vous pensez que ce serait quoi, comme activité, à l'intérieur du théâtre, à faire ?

Kévin: Je pense hmm... découvrir... je sais pas, qu'on m'explique comment fonctionnent les lumières, les sons, parce que faut positionner, les position- nements pour que tout le monde entende. Ça, ça m'intéresse, et peut-être voir la scène un peu, voir comment ils travaillent eux, voir si vraiment ça m'inté- resse. Parce que, bon, j'en ai fait au collège mais j’imagine que c'est pas pa- reil, encore. » Kévin (E3).

La Garantie jeunes en action. Usages du dispositif et parcours de jeunes

Kévin reste toutefois très réaliste et pragmatique : interrogé sur la consistance de son projet de stage dans le théâtre, il affirme que c’est une occasion de découvrir un univers mais qu’il ne s’installera pas dans le secteur s’il n’arrive pas à y obtenir un emploi :

Enquêteur : « Est-ce que vous pensez que c'est possible qu'à l'issue de la Ga- rantie jeunes, vous trouviez un truc stable ? Ou vraiment c'est pas trop le projet, c'est pas possible...

Kévin : Ben j'aimerais bien, des fois. C'est mieux quand même. Se lever le matin, se dire : je vais gagner mes sous. Plutôt que se lever un matin en di- sant : je vais gagner des sous, l’autre en disant : qu'est-ce que je vais faire. Je sais pas. Après je parle du théâtre, je parle du théâtre, mais pour de toute fa- çon, ce qu'il faut, c'est un emploi fixe. C'est vraiment la sûreté... après pour moi, je sais pas, peut-être que d'autres ont d’autres visions, mais pour moi c'est la sûreté. » Kévin (E3).

Qu’il s’agisse d’assister à un atelier CV– une activité très orientée vers la recherche d’emploi – ou de faire un atelier théâtre – une activité plutôt pensée pour viser l’insertion sociale – la proposition faite aux jeunes est bien de faire quelque chose pour se prendre en charge et s’engager dans une activité. Dans les deux cas, elle consiste à mettre le jeune dans une situation d’encouragement à l’action et de réflexion autour de celle-ci, dans une optique de réinsertion et d’accès à l’autonomie professionnelle ou sociale. Face à cette proposition, bon nombre de jeunes vont se saisir de ces ate- liers. Dans le cas de l’atelier CV, ils vont modifier la présentation d’eux-mêmes pour mettre en avant leur parcours, réfléchir aux types d’emploi vers lesquels ils sont en mesure de se diriger, se positionner sur des offres d’emploi. En un mot, ils sont mis en mouvement en faisant l’apprentissage de la recherche d’emploi. Dans le cas de l’atelier théâtre, l’appropriation de la pro- position institutionnelle passe par la prise de conscience de l’importance de l’expression corporelle. En apprenant à mieux utiliser leurs corps et leurs voix, les jeunes gagnent en confiance en eux et arrivent à se penser dans leur environnement social.

La catégorie « mobilisation » regroupe donc toutes les situations dans lesquelles les jeunes s’approprient la proposition institutionnelle et s’engagent dans un parcours de construction de soi. La proposition institutionnelle est jugée adéquate par les jeunes, qui s’en saisissent et s’impliquent dans la recherche d’emploi.

Il arrive parfois que la proposition institutionnelle soit moins dense, moins proche des attentes des jeunes et qu’elle exerce une contrainte plus faible. Pour autant, certains jeunes « jouent le jeu », « s’accrochent » et se conforment à ce qu’on attend d’eux. C’est par exemple le cas de Lucas (E47) qui, après avoir obtenu un baccalauréat ES, entame une première année de licence à l’université en sciences du langage. Cependant, il n’« accroche » pas avec les matières enseignées et arrête ses études à la fin du premier trimestre. Il part alors en quête d’un « petit boulot » dans la vente, sans succès. Il intègre la Garantie jeunes pour qu’on lui « donne les rouages nécessaires pour savoir

comment [s]'y retrouver dans ce bazar » (entretien 1). Mais très vite, il porte un regard critique sur

le dispositif remettant en cause la plupart des activités proposées « je les trouve pas indispensables » et l’accompagnement des conseiller(ère)s : « je trouve qu'on tourne un peu autour du pot, qu'on

n’est pas vraiment encadrés » (entretien 1). Il aurait aimé « rencontrer des recruteurs, [...] des gens qui sont sur le terrain ». Bien qu’il soit critique, il s’implique dans les ateliers et réalise un en-

semble de démarches et d’activités pendant l’accompagnement : photo montage, simulation d’entretien, serious game. Son attitude est toujours respectueuse des règles en vigueur : ponctualité, motivation, politesse, échanges cordiaux avec les conseiller(ère)s. Par la suite, Lucas obtient (via Pôle emploi) un CDD en tant que conseiller-vendeur chez Feu vert.

Face à ce type de proposition institutionnelle peu dense et peu adaptée, d’autres jeunes ne réagissent pas comme Lucas et manifestent au contraire de l’ennui, se démotivent, deviennent inactifs et sont dans l’attente du temps qui passe. Pour ces cas, l’interaction relève, non pas de la « mobilisation »,

Rapport de recherche du Centre d’études de l’emploi et du travail, n° 101, novembre 2016

mais de l’« occupation ». Ce qui signifie qu’une même proposition institutionnelle n’est pas re-

çue de la même manière par tous les jeunes.