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Mobilité, orientation et emploi

Partie 2. Des jeunes correspondant à la cible du dispositif

3. Mobilité, orientation et emploi

D’autres traits importants permettent de caractériser les jeunes accédant à la Garantie jeunes : ils sont peu mobiles car n’ont en général pas le permis ; ils ont été principalement orientés vers le dispositif par des conseiller(ère)s de la mission locale et ils ont, dans leur très grand majorité, déjà connu l’emploi.

3.1. Des jeunes peu mobiles…

Rares sont les jeunes enquêté(e)s à posséder le permis de conduire. Or, « le papier rose » entre dans les « rites de la première fois »60, il est la promesse d’une plus grande autonomie de déplacement symbolisant le passage du statut de l’adolescent à celui de jeune adulte61. Les jeunes associent ce manque de mobilité à un « handicap social » et le considèrent comme un frein à l’emploi. Ils évo- quent souvent des échecs multiples, des difficultés d’obtention, et aussi parfois, des « arnaques au permis » ou des mésententes avec les moniteurs d’autoécole. Cette formation est alors perçue comme une épreuve, voire même comme une forme d’« humiliation sociale »62

.

Par ailleurs, ils dénoncent l’excessivité du coût financier. Toutefois une grande partie d’entre eux obtient des aides pour le financement du permis qui demeurent selon eux insuffisantes. Quelques- uns bénéficient de financements solidaires : bourse municipale en échange d’une activité bénévole d’intérêt collectif, aide financière accordée par le conseil général.

Si peu d’entre eux sont titulaires du permis de conduire, ils sont encore moins nombreux à posséder une voiture. Certains comme Rebecca (E23) ou Asma (E58) ont profité d’un soutien familial pour acquérir leur premier véhicule. Quant à Steeve (E10), l’allocation lui a permis d’assumer financiè- rement l’entretien de sa voiture.

Remarquons également que ce manque de mobilité se double d’une certaine inertie géographique dans la manière dont les jeunes envisagent leur avenir professionnel : beaucoup de jeunes rencon- trés sont nés à Violet, à Vert ou à proximité de ces deux villes et n’envisagent pas de rechercher des emplois ailleurs. On constate là un double effet, celui de la province (Violet et Vert sont deux villes situées dans des départements ruraux ou semi-ruraux ; (à Orange, les jeunes ne posent pas la ques- tion de la mobilité dans les mêmes termes puisque l’offre de transports en commun de la région parisienne leur permet d’envisager une mobilité relativement plus importante à moindre coût) ; et celui de l’origine sociale : l’un des principaux déterminants de la mobilité quotidienne est la posi- tion socio-économique 63.

3.2. … orientés principalement par les missions locales…

À quelques exceptions près, l’ensemble des jeunes a déjà bénéficié d’un suivi d’insertion sociale et professionnelle au sein d’une mission locale et a été orienté vers la Garantie jeunes par un(e) con-

60

Bozon Michel, 1997, « Des rites de passages aux premières fois. Socio-ethnlogie des rites de la jeunesse en France », In Desdouits Anne-Marie, Turgeon Laurier, Ethnologies francophones de l’Amérique et d’ailleurs, Presses de l’Université de Laval, pp.191-197.

61

Masclet Olivier, 2002, « Passer le permis de conduire : la fin de l’adolescence », Agora Débats/Jeunesses, n°28, pp. 46-56.

62

Ibid.

63

« Les principaux déterminants de la mobilité quotidienne considérés aujourd’hui pour un individu sont la position dans le cycle de vie et la composition du ménage (par exemple, la mobilité d’une femme mère d’enfants en bas âge n’a pas les mêmes caractéristiques que celle d’une femme sans enfant) ; la position socio-économique qui conditionne en particulier les coûts monétaires à consacrer au déplacement ; la localisation résidentielle dans l’ensemble urbain (par exemple, la distance domicile travail moyenne des résidents de grande périphérie se révèle deux fois plus élevée que celle des résidents du centre) ; et le type d’accès aux modes de transport le défaut de permis de conduire ou de voiture disponible altérant drastiquement les possibilités de déplacement » (Cf.Wenglenski Sandrine, 2006, « Regards sur la mobilité au travail des classes populaires. Une exploration du cas parisien, Les Cahiers Scientifiques

du Transports, n°49, pp. 103-127, pp. 108-109.)

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Rapport de recherche du Centre d’études de l’emploi et du travail, n° 101, novembre 2016

seiller référent(e) de celle-ci. De leur point de vue, la Garantie Jeunes correspond au départ, à un dispositif semblable à ceux qui ont pu leur être proposés auparavant au sein de la mission locale. Très peu d’entre eux ont été orientés par les partenaires des missions locales, comme la prévention spécialisée. Les directions et les conseiller(ère)s n’en comprennent pas véritablement les raisons. Enfin, quelques jeunes se sont rendus de leur propre initiative à la mission locale ou sur les conseils d’un ami ou d’un membre de la famille ayant déjà bénéficié du dispositif.

3.3. … et ayant déjà travaillé

Les représentations sociales associées aux jeunes inactifs des classes populaires, aux « NEETs », dessinent l’image de jeunes en dehors de la société, perdus, égarés, coupés du monde. C’est égale- ment cette image que véhiculent certains professionnels travaillant auprès de ces jeunes :

« Ils sont un peu déphasés, ils sont pas dans la vraie vie….ils savent pas où ils en sont… » Entretien mené auprès de la directrice de la mission locale de Violet

Cette vision n’est pas propre aux acteurs de terrain de l’insertion sociale et professionnelle. D’autres institutions, comme le Conseil d’analyse économique, véhiculent cette image. Dans une note parue en 2013, il est écrit qu’« aujourd’hui près de 1,9 million de jeunes de 15 à 29 ans ne sont ni en emploi, ni en éducation ni en formation. Ces “NEETs” représentent près de 17 % de la tranche d’âge. Si la crise a considérablement dégradé la situation des jeunes au regard de l’emploi, la proportion de “NEETs” parmi les 15-29 ans est, en moyenne sur la dernière décennie, de 15 % (…) Plus grave encore, environ la moitié de ces jeunes, soit 900 000, ne cherchent pas d’emploi. Ils sont à la dérive. »64

Pourtant, les premiers entretiens réalisés auprès des jeunes ont fait tomber d’emblée l’image d’une jeunesse déphasée, ne recherchant pas de travail, peu motivée. Au contraire, la plupart des jeunes de la Garantie jeunes ont déjà connu l’emploi, certains sont indépendants (décohabitants, autonomes financièrement, sentimentalement, etc.). Parmi les jeunes rencontrés, une faible partie d’entre eux n’a jamais travaillé ou effectué un stage. Ils sont apparus à bien des égards, impliqués dans leurs recherches d’emploi. Certains déclarent avoir envoyé une centaine de curriculum vitae. On observe quelques rares cas d’inertie, et les jeunes se trouvant dans cette situation expliquent ne pas avoir été dans la capacité de rechercher du travail à cause de traumatismes tels que la maladie physique ou mentale, ou des violences subies, notamment sexuelles.

Synthèse

Les jeunes de la Garantie jeunes sont des NEEts « vulnérables » orientés vers le dispositif par les missions locales. Issus des classes populaires les plus démunies, ils cumulent un certain nombre de difficultés familiales, économiques et scolaires. Les parcours biographiques étudiés se caractérisent par une prise en charge institutionnelle intense, cumulant les dispositifs, les prises en charge sous contrainte et, pour certains, des condamnations pénales. Bien qu’une grande partie d’entre eux soit peu mobile, la quasi-totalité des jeunes a effectué des stages ou des formations et a déjà été confrontée au monde du travail.

64

Cahuc P., Carcillo S., Zimmermann K. F., 2013, « L’emploi des jeunes peu qualifiés en France », Les notes du conseil d’analyse

économiques, n°4, p. 2.

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