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Partie 4. Les effets du dispositif sur les parcours des jeunes

3. Des parcours empêchés

La situation sociale et professionnelle d’une dizaine de jeunes n’évolue pas entre leur entrée et leur sortie du dispositif, voire se dégrade sous l’effet du temps qui passe. Parmi les enquêté(e)s, il est notable que ce sont les moins doté(e)s scolairement. Ils/elles sont peu diplômé(e)s ou ont juste un CAP ; ils/elles ont très peu travaillé ou ont fait quelques stages. Certains même n’ont rien fait et n’ont eu aucune expérience d’emploi pendant toute la durée du dispositif. Pour la plupart d’entre eux, le parcours dans le dispositif se caractérise par des interactions relevant de l’« occupation » et surtout de la « démobilisation ». Certains considèrent que la Garantie jeunes n’a pas respecté le con- trat. Selim (E53) déclare : « La Garantie jeunes ça mène à rien du tout », c’est un dispositif qui, selon lui, ne tient pas ses promesses : « Ils nous appellent pas », « Ils nous laissent dans la nature ». Wilfried (E17), quant à lui, considère qu’« ils devraient mettre des conseillers plus motivés », « à la

base, ils sont censés nous aider à chercher du travail. Quand ils le veulent. Et voilà. Ça se résume à ça. Nous aider à chercher du travail et au final, on se débrouille. Pour qu'on se débrouille, ils nous ont même donné les attestations, au cas où on a des stages ».

C’est donc parce que ces jeunes sont « empêchés »91

– à la fois physiquement, psychiquement, so- cialement, économiquement – qu’ils n’adhèrent pas à la proposition institutionnelle de la Garantie jeunes ou que la mission locale n’a pas les moyens humains et financiers de les aider.

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La notion de « parcours empêché » fait écho à celle de « travail empêché » développée par Clot Yves (2010, Le travail à cœur.

Pour en finir avec les risques psychosociaux, Paris, La Découverte). Le « travail empêché » rend compte du stress engendré par

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La Garantie jeunes en action. Usages du dispositif et parcours de jeunes

3.1. Des problèmes de santé qui freinent l’accès à l’emploi

Qu’il s’agisse de leur propre santé ou de celle de leurs proches, les jeunes de ce troisième groupe expliquent que les troubles psychologiques ou les problèmes de santé sont un frein à leur recherche d’emploi et à leur investissement dans le dispositif. Selim (E53) confie avoir encore des difficultés à contenir sa colère, faisant référence à sa maladie mentale (trouble bipolaire). Foussenou (E11) évoque de nombreuses blessures aux genoux qui mettent fin à sa carrière de footballeur et qui, par la suite, entravent sa recherche d’emploi. D’autres sont « freinés » par la maladie d’un proche qui nécessite un accompagnement quotidien. René (E50) évoque le cancer et le traitement de sa mère. Il est également sollicité par la marraine de sa compagne « qui a des problèmes de santé aussi, donc

quand elle a besoin de moi, je vais l’aider pour ses papiers, pour bouger des meubles, tout ça ».

Wilfried (E17) entre dans le dispositif pour « se remettre les idées en place », notamment parce que sa compagne subit cette année-là deux IVG92

, après avoir été violée quelques années auparavant. On trouve aussi dans ce groupe des jeunes qui, comme Bintou (E54), n’ont pas pu s’approprier le dispositif car leur parcours de vie les en a empêchés. Même si Bintou travaille un peu en intérim pendant son année de Garantie jeunes, elle a dû accompagner son père en fin de vie et elle se rap- proche du troisième groupe de jeunes.

3.2. Sortir de l’urgence

Les parcours de ces jeunes se caractérisent également par la précarité résidentielle et des formes de vulnérabilité qui freinent la participation au dispositif. Ils expliquent ainsi ne pas être « dispo- nibles » pour s’engager dans une démarche de recherche d’emploi, alors qu’ils ont à gérer des ur- gences vitales. Thomas (E18), hébergé en CHRS93, doit survivre dans la rue et raconte se « défoncer

le cerveau toute la journée... parce que le problème, c'est que, voilà, à force de péter un plomb parce qu'on se retrouve dehors, ça entraîne des choses que, forcément, je devrais pas le faire, mais que je le fais quand même, donc voilà, c'est compliqué, quoi...». Il est, de plus, dans l’incapacité de

suivre un accompagnement collectif et de s’investir au sein d’un dispositif exigeant du point de vue de la présence, de la concentration, de la motivation ou de l’autonomie. Quelques mois après son entrée à la Garantie jeunes, Thomas s'emporte violemment contre la conseillère car elle n’a pas trai- té suffisamment vite son dossier de demande de logement : « j'ai pété un meuble avec la main, avec

le poing » ; « Je suis parti, on va dire, trois jours, pour me calmer les nerfs, donc j'avais pas pris mon téléphone, j'avais rien pris... parce que voilà, quoi, je peux être gentil, mais je commençais vraiment à trop monter en pression... Donc, pendant les trois jours, justement, où j'avais peut-être une place au foyer, pendant trois jours, j'y étais pas ». À cause de cet incident, Thomas perd sa

place dans le CHRS où il est hébergé et se retrouve dehors « sous une tente, en plein hiver ! ». Angelina (E13) doit, quant à elle, lutter pour ne pas être expulsée de son logement. Sa logeuse la harcèle pour qu’elle quitte le logement qu’elle lui sous-loue. « Elle frappe à la porte à chaque arrêt,

elle coupe l’eau […] à toute heure, elle vient frapper à la porte, elle a même fermé la fenêtre de la chambre, je n’ai plus accès à la fenêtre […] avec des briques en fait, elle a fait une construction derrière, plein de choses, elle m’envoie des sms me disant de partir ». Angelina ajoute « j’ai peur de sortir de chez moi car si je sors et qu’elle est là, j’ai peur qu’elle vienne changer les serrures ».

Sans soutien familial et avec pour seule ressource l’allocation de la Garantie jeunes, Angelina es- saie, autant que possible, de survivre au quotidien. « J’avais plus rien dans mon frigo », « il n’y

l’impossibilité pour les salariés d’effectuer un « travail bien fait », le travail empêché engendrant des risques psychosociaux. Pour les jeunes de la Garantie jeunes, c’est parce qu’ils sont « empêchés » que le dispositif n’a aucun effet en termes d’insertion sociale et professionnelle (soit parce qu’il est inadapté soit parce qu’il n’en a pas les moyens humains et financiers).

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Interruption Volontaire de Grossesse.

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Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale.

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Rapport de recherche du Centre d’études de l’emploi et du travail, n° 101, novembre 2016

avait pas de tickets [alimentaires distribués à la Mairie] ». « Je suis vraiment, vraiment dans la merde ». Les conseiller(ère)s de la Garantie jeunes l’orientent vers le CCAS94

. Elle a, par ailleurs, fait une demande de renouvellement de la Garantie jeunes qui lui a été refusée. « J’ai parlé de ma

situation à la conseillère…pff… [silence] voilà quoi ».

Face à des jeunes ancrés dans l’exclusion ou la pauvreté, la priorité donnée à l’emploi n’est pas adaptée pour prendre en charge la pluralité et la complexité de leurs parcours. La logique du

worksfirst atteint ici ses limites dans la mesure où elle ne peut aider des publics trop « empêchés ».

Leur prise en charge ne saurait se réduire à un accompagnement vers l’emploi, mais devrait prendre la forme d’un suivi global considérant toutes les dimensions biographiques des jeunes. Pour d’autres parcours « empêchés », comme celui d’Angelina, le dispositif ne parvient pas à agir sur la situation car les moyens financiers et humains mobilisés ne sont pas suffisants. Ces résultats incitent donc à penser que les missions locales ne doivent pas oublier leur philosophie d’action initiale, celle de la prise en charge de l’insertion professionnelle mais aussi de l’insertion sociale.

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Centre Communal d’Action Sociale.

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