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La construction de catégories analytiques d’interaction

Partie 3. L’expérience de la Garantie jeunes

2. La rencontre entre la proposition institutionnelle et les jeunes

2.3. La construction de catégories analytiques d’interaction

La notion d’interaction a été construite par la sociologie américaine72. Elle suppose que les micro- interactions du quotidien révèlent l’incorporation des règles sociales. Ces interactions s’inscrivent dans des institutions sociales qui préexistent aux individus et qui les contraignent73. Notre approche s’inscrit dans cette perspective et suppose alors la primauté de l’institution sur les individus. Du côté de l’institution et de ses acteurs, l’action est replacée dans le contexte organisationnel, ce qui permet de revenir sur la construction de la proposition institutionnelle. Du côté des jeunes, nous portons l’attention sur leurs parcours personnel et institutionnel pour expliquer comment ils arrivent à se saisir de la proposition qui leur est faite et, le cas échéant, pourquoi ils n’y parviennent pas. Il convient d’ajouter que ces catégories analytiques d’interaction doivent être pensées comme des idéaux-types au sens wébérien du terme74, c’est-à-dire comme des moyens de connaissance : « Le type idéal est un tableau simplifié et schématisé de l’objet de la recherche auquel l’observation sys- tématique du réel (…) doit être confrontée. En ce sens, c’est un instrument privilégié de la compré- hension sociologique. »75

Ces catégories sont ainsi heuristiquement fécondes pour analyser les interactions entre, d’une part, la proposition institutionnelle et, d’autre part, les réactions des jeunes face à cette proposition. Ce- pendant, elles ne permettent pas de rendre parfaitement compte des subtilités de chaque comporte- ment individuel : pour un jeune qui se trouve face à une proposition institutionnelle, l’interaction est

71

Dubet François, 2007, L’expérience sociologique, Paris, La Découverte, p.98.

72

Goffman Erving, 1974, Les Rites d’interaction, Paris, Les éditions de minuit, coll. « Le sens commun ».

73

Durkheim Émile, 2007 (1893), De la division du travail social, Paris, PUF.

74

Weber Max, 1992 (1904-1917), Essais sur la théorie de la science, Paris, Pocket.

75

Schnapper Dominique, 2005 (1999), La compréhension sociologique, Paris, PUF, Quadrige, p. 18.

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Rapport de recherche du Centre d’études de l’emploi et du travail, n° 101, novembre 2016

parfois à la frontière entre deux types et peut même parfois se rapprocher de deux types différents. Elle est également susceptible d’être à un moment donné proche d’un type puis de se rapprocher d’un autre au cours du parcours du jeune au sein de la Garantie jeunes. Pour résumer, chaque jeune qui se trouve face à une proposition institutionnelle ne rentre donc pas parfaitement dans une case de façon indiscutable et définitive.

Des interactions stabilisées et provisoires

Pour autant, ces catégories présentent l’intérêt d’éviter le registre moral de la faute tant du côté de l’institution que du côté des jeunes : considérer que l’institution « fait ça » ou « ne fait pas ça », alors qu’elle devrait le faire et de la même manière que les jeunes se comportent de telle ou telle manière alors qu’il devrait en être autrement. Nous considérons qu’elles sont suffisamment stabili-

sées, au sens où elles sont révélatrices de la nature des rapports sociaux entre institution et acteurs

sur une période donnée, pour les qualifier et les énoncer en catégories.

Il convient de garder à l’esprit que ces catégories sont aussi provisoires. En effet, en tant que dispo- sitif expérimental, la Garantie jeunes connait localement des évolutions (montée en charge du dis- positif, changement des conseiller(ère)s, recrutement de personnes supplémentaires pour « faire face » au rythme soutenu des groupes de jeunes qui se succèdent, diffusion progressive d’informations sur la Garantie jeunes par les conseiller(ère)s auprès de leurs partenaires, mise en place de nouveaux partenariats, etc.) qui font évoluer la proposition institutionnelle. De la même manière, les parcours des jeunes sont soumis à des vicissitudes, en lien ou non avec le dispositif, qui peuvent faire évoluer leur capacité à s’en saisir.

Par ailleurs, assemblées les unes aux autres, ces quatre catégories d’interaction sont susceptibles de rendre compte d’un processus dynamique dans la mesure où le parcours d’un bénéficiaire peut pas- ser d’un état à un autre, selon les évolutions de la proposition institutionnelle et selon les variations de sa propre capacité à « faire avec » le dispositif.

Précisons enfin que, malgré des moyens différenciés, les trois missions locales ont, toutes, dans des proportions variables, des propositions institutionnelles qui pourraient donner lieu à ces quatre types d’interaction, « mobilisation », « occupation », « intermédiation » et « démobilisation ». Ainsi, tous les jeunes ont, à un moment donné ou à un autre, été mis dans des situations qui ont donné lieu à de la « mobilisation », ou de l’« occupation », mais tous ne se sont pas retrouvés face à une proposition institutionnelle suffisamment ou insuffisamment dense, contraignante ou adéquate, pour donner lieu à de l’« intermédiation » ou à de la « démobilisation ».

Le tableau 7 synthétise les différents critères évoqués précédemment et ayant permis la construction des catégories d’interaction.

Tableau 7. Synthèse des catégories d'interaction

Proposition insti- tutionnelle

Dense

Articulée avec les attentes

Orientée vers la mise en relation

Système de contraintes (sanctions positives ou

négatives)

Dense

Articulée avec les attentes

Système de contraintes (sanctions positives ou négatives) Peu dense Eloignée des attentes Contraintes faibles Densité faible ou inexistante

Eloignée des at- tentes

Contraintes inexis- tantes

Réception par le

destinataire Engagement dans l’emploi Implication Attente Désengagement

Produit de

l’interaction Intermédiation Mobilisation Occupation Démobilisation

La Garantie jeunes en action. Usages du dispositif et parcours de jeunes