• Aucun résultat trouvé

Param´ etrisation de l’´ evolution thermique du syst` eme

Exp´ erimentation in virtuo

6.3 Histoire de la Terre : la catastrophe thermique n’aura pas lieun’aura pas lieu

6.3.1 Param´ etrisation de l’´ evolution thermique du syst` eme

Nous avons vu au chapitre 2 que des contraintes g´eologiques ind´ependantes permettaient de borner le refroidissement de la Terre `a 200 K au cours des 3 derniers milliards d’ann´ees. En faisant l’hypoth`ese d’un tel taux de refroidissement (∼ 65 K/Ga) pour la configuration actuelle de la Terre, et en consid´erant les estimations r´ecentes du flux de chaleur `a la surface du manteau (Jaupart et al., 2007), nous constatons que les estimations actuelles du chauffage radioactif terrestre ne permettent pas de compenser les pertes en surface, violant ainsi l’´equation du refroidissement s´eculaire (Eq. (2.12)) redonn´ee ci-dessous : c’est le paradoxe de la chaleur manquante.

M Cp dT

dt = − Q + Htot

o`u Q est le flux de chaleur en surface et Htot la production totale d’´energie radioactive dans le manteau. Rappelons que si les estimations actuelles de Q et de Htot sont bonnes, le taux de refroidissement de la Terre est aujourd’hui de 120 K/Ga.

Une fa¸con de lever ce paradoxe est de supposer que le taux de refroidissement de la plan`ete est plus fort aujourd’hui que dans le pass´e, car le chauffage radioactif diminue avec l’ˆage de la plan`ete, tandis la tectonique des plaques assure un flux de chaleur dont la valeur moyenne varie peu, car ses fluctuations d’origine tectonique sont born´ees (Labrosse et Jaupart,

2007). En effet, aujourd’hui les pertes d’´energie issues du manteau convectif (39 TW d’apr`es la compilation des donn´ees r´ealis´ee par Jaupart et al. (2007)) sont bien sup´erieures au chauffage radioactif commun´ement admis (∼ 13 TW d’apr`es Jochum et al. (1983)) ; cependant il y a 3 milliards d’ann´ees, le chauffage interne s’´elevait `a 30 TW (´evolution exponentielle), donc le taux de refroidissement moyen sur cette p´eriode ne peut ˆetre inf´erieur `a 65 K/Ga qu’`a condition que le flux de chaleur soit rest´e inf´erieur `a 50 − 60 TW `a cette ´epoque. Cependant les ´etudes param´etriques du refroidissement terrestre ne peuvent rendre compte d’un flux stable dans le pass´e. En effet, nous avons vu au chapitre 3 que les approches classiques, qui consistent `a param´etrer le flux `a partir d’une d´estabilisation convective de la lithosph`ere, conduisaient toutes `a une explosion thermique du manteau, si l’on part de la valeur actuelle du flux de chaleur pour remonter l’histoire thermique de la plan`ete (e.g., Davies, 1980; McKenzie et Richter, 1981; Christensen, 1985).

Des solutions alternatives ont ´et´e propos´ees, incluant des m´ecanismes suppl´ementaires destin´es `a justifier un ralentissement de la tectonique dans le pass´e (e.g., Conrad et Hager, 1999b; Korenaga, 2006). Cependant nous avons vu au chapitre 3 que ces propositions comportaient des hypoth`eses tr`es fortes sur les m´ecanismes de contrˆole de la tectonique, et qu’elles supposaient de plus une pr´edominance des plaques de grande ´epaisseur (> 100 km) `

a la surface de la Terre, alors mˆeme que la configuration actuelle de la plan`ete pr´esente des subductions `a tous les ˆages avec la mˆeme probabilit´e (Smith et Sandwell, 1997). Une hypoth`ese de tectonique intermittente a aussi ´et´e propos´ee par Silver et Behn (2008), mais celle-ci supposait qu’une lithosph`ere oc´eanique ne plonge pas avant d’avoir atteint 500 km d’´epaisseur, ce qui est en d´esaccord avec les ´etudes r´ecentes de stabilit´e des marges passives continentales (Nikolaeva et al., 2011).

Afin de lever le paradoxe de la chaleur manquante, il est possible de suivre la proposition de Labrosse et Jaupart (2007), qui montrent que le flux de chaleur ne d´epend que de l’ˆage maximal du plancher oc´eanique sur Terre. Nous proposons donc une param´etrisation du flux de chaleur qui repose sur un m´ecanisme ind´ependant de la viscosit´e du manteau η(Tm), car c’est leur forte d´ependance en temp´erature qui conduit les param´etrisations classiques `a la catastrophe thermique. L’ensemble de cette d´emarche fait l’objet d’un article en cours de soumission `a l’heure de la r´edaction (Combes et Grign´e, 2011) et cet article est joint en fin de manuscrit. Nous donnons ci-dessous les grandes lignes de notre raisonnement.

Dans le cadre de l’´elaboration du mod`ele MACMA, nous avons cherch´e une expression analytique de l’ˆage d’initiation des subductions qui d´epende de la temp´erature du manteau, car un manteau plus chaud, donc moins visqueux, aurait plus de difficult´e `a supporter une lithosph`ere qui s’´epaissit avec l’ˆage. Sachant que nous voulions aussi tenir compte du ph´enom`ene d’´erosion thermique dˆu `a la mise en place d’une convection de petite ´echelle (SSC) sous la lithosph`ere rigide (e.g., Davaille et Jaupart, 1994; Ballmer et al., 2010), nous avons estim´e qu’il n’´etait pas coh´erent d’invoquer une d´estabilisation convective de la lithosph`ere ´epaissie aux marges continentales, si cet ´epaississement requ´erait une absence de SSC `a ce niveau. Afin d’´eviter une d´ependancecatastrophiqueen temp´erature, nous avons propos´e diff´erents m´ecanismes de surface pour l’initiation des subductions, qui sont ind´ependants de la viscosit´e du manteau.

et Jaupart (2007) :

q = √πκ τ2k δT

max

(6.2)

o`u τmax est l’ˆage maximal du plancher oc´eanique sur la plan`ete. Il faut donc trouver une expression analytique pour l’ˆage maximal du plancher oc´eanique τmax en fonction de la temp´erature du manteau, afin d’obtenir une expression du flux de chaleur variable au cours de l’histoire thermique de la plan`ete. Les plaques en subduction ´etant plus rapides pour un r´egime thermique plus chaud (ce qui correspond `a des ˆages d’entr´ee en subduction plus faibles), nous estimons que l’ˆage maximal τmax doit se trouver en g´en´eral sur une marge passive, juste avant son entr´ee en subduction. Sous cette hypoth`ese, l’ˆage τmaxest donc aussi l’ˆage critique d’initiation des subductions τsubd. Nous pr´esentons ici le m´ecanisme qui a ´et´e utilis´e dans le mod`ele MACMA ; la discussion concernant les autres m´ecanismes que nous avons propos´es se trouve dans l’article joint en fin de manuscrit.

Afin de tenir compte de l’effet maximal de la temp´erature du manteau dans un processus de surface, nous proposons de consid´erer que la principale force `a vaincre pour faire entrer une lithosph`ere oc´eanique dans le manteau, au niveau d’une marge continentale, est la r´esistance cassante du couplage entre la lithosph`ere oc´eanique et la lithosph`ere continentale. Dans ces conditions, l’ˆage critique d’initiation de la subduction est l’ˆage τsubd d´efini dans la section 5.4.3 du chapitre pr´ec´edent (´equation (5.31)) :

τmax = τsubd = τmaxp

Tmp − T0

Tm− T0

2

o`u τsubdp = 180 Ma est l’ˆage maximal du plancher actuel, avec T0, Tmp et Tm, respectivement les temp´eratures de la surface, du manteau actuel et du manteau `a l’instant t.

`

A titre de comparaison, l’ˆage critique de d´estabilisation de la lithosph`ere bas´e sur le crit`ere convectif des ´etudes param´etriques classiques s’´ecrit :

τmax= τmaxp η(Tm) ηp 2/3 Tmp − T0 Tm− T0 2/3 (6.3)

o`u η(Tm) et ηp sont la viscosit´e `a la temp´erature Tm et la viscosit´e actuelle du manteau sup´erieur. La forte d´ependance de cette loi en temp´erature est `a l’origine de la catastrophe thermique.

La figure 6.5 pr´esente les ´evolutions coupl´ees de l’ˆage maximal critique τmax, du flux total Q et de la temp´erature moyenne de la Terre Tm, pour trois m´ecanismes diff´erents : l’ˆage critique constant de Labrosse et Jaupart (2007), le crit`ere cassant de notre mod`ele et le crit`ere convectif des param´etrisations classiques. Ce dernier conduit comme nous le savons `a une explosion thermique dans le pass´e, tandis que les autres l’´evitent, car ils sont ind´ependants de la rh´eologie du manteau qui d´epend fortement de la temp´erature. Pour les mod`eles qui ne conduisent pas `a une explosion thermique, la temp´erature moyenne du manteau continue d’augmenter dans les premiers millions d’ann´ees tant que la production radioactive est sup´erieure au flux de chaleur en surface. Notons cependant que le m´ecanisme cassant n’est pas valide pour expliquer la d´estabilisation de la lithosph`ere oc´eanique, car le

Figure 6.5 – ´Evolution de l’ˆage critique de subduction τmax, du flux de chaleur Qoc et de la temp´erature moyenne de la Terre Tm au cours de son histoire thermique, pour trois m´ecanismes d’initiation des subductions. La courbe noire repr´esente la d´ecroissance du taux de chauffage radioactif. Pour les trois mod`eles, l’ˆage critique actuel, le flux actuel et la temp´erature actuelle sont pris ´egaux `a 180 Ma, 1600 K et 32 TW respectivement. Le crit`ere convectif (courbes en tirets jaunes `a bruns) conduit `a la catastrophe thermique pour une ´energie d’activation E entre 200 et 400 kJ/mol, tandis que le mod`ele d’ˆage critique constant de Labrosse et Jaupart (2007) (courbe bleu fonc´e) est coh´erent avec les contraintes g´eologiques du refroidissement s´eculaire. Le mod`ele cassant (courbe verte) ´evite la catastrophe thermique sans respecter strictement les contraintes g´eologiques.

seul poids du plancher ne peut vaincre la rigidit´e de la plaque, comme l’a montr´e McKen-zie (1977). D’ailleurs nous pouvons observer que ce m´ecanisme ne respecte pas strictement les contraintes g´eologiques impos´ees sur le refroidissement du manteau, car la temp´erature moyenne est sup´erieure `a 1800 K il y a 3 milliards d’ann´ees. Cependant, un tel m´ecanisme nous permet de placer une borne sup´erieure `a l’effet de la temp´erature sur un processus de surface qui d´ecrirait l’initiation des subductions. Notre ´etude montre donc qu’un processus de surface ind´ependant de la rh´eologie du manteau permet de lever le paradoxe de la chaleur manquante sans conduire `a la catastrophe thermique. Dans ce contexte, les travaux actuels

Figure 6.6 – Effet d’une viscosit´e moindre sur l’ˆage de d´estabilisation de la lithosph`ere, avec ou sans continent en surface coupl´e `a la lithosph`ere oc´eanique. En haut : en l’absence de continents, τmax d´ecroˆıt de fa¸con homog`ene pour toutes les plaques dans un contexte plus chaud, conduisant `a un flux de chaleur plus ´elev´e. En bas : avec un crit`ere cassant, τmaxreste relativement ´elev´e au niveau des marges passives, ´evitant ainsi une divergence du flux de chaleur et de la temp´erature dans le pass´e. La viscosit´e d´epend exponentiellement de Tm(Karato et Wu, 1993), avec E = 300 kJ/mol. Le crit`ere convectif correspond `a l’ˆage critique (Eq. (6.3)) et le crit`ere cassant `a l’ˆage critique (Eq . (5.31)). Les fl`eches bleues et rouges correspondent respectivement au pr´esent et au pass´e.

sur la d´estabilisation de la lithosph`ere oc´eanique au niveau des marges passives (e.g., Gerya, 2010; Nikolaeva et al., 2011) devraient permettre de mieux comprendre l’´evolution thermique de la Terre.

Notons enfin qu’il n’est pas n´ecessaire d’invoquer des m´ecanismes qui ralentiraient l’activit´e tectonique dans le pass´e, pour ´eviter la catastrophe thermique. En effet, pour un contexte plus chaud dans le pass´e, la viscosit´e du manteau sup´erieur est moindre, ainsi la vitesse des plaques et le taux d’accr´etion sont plus ´elev´es que dans le contexte actuel, ce qui cr´ee davantage de plancher jeune et une augmentation du flux de chaleur en cons´equence dans le pass´e. Cependant, dans ces conditions, seules les plaques pr´esentant une zone de subduction verraient leur ˆage maximal diminuer en remontant dans le pass´e, car si l’on consid`ere un pro-cessus de surface pour initier les subductions, τsubd reste born´e quelle que soit la temp´erature Tm du manteau. Les marges passives sont donc le facteur limitant de l’augmentation du flux dans le pass´e. La figure 6.6 illustre ce facteur limitant en comparant un crit`ere convectif et un crit`ere cassant dans une configuration actuelle et dans un contexte plus chaud du pass´e.

Nous retiendrons de cette ´etude que la catastrophe thermique obtenue par les lois d’´echelle classiques est due `a l’utilisation d’un crit`ere convectif inadapt´e au contexte terrestre. En effet, sur Terre, la lithosph`ere oc´eanique est coupl´ee `a une lithosph`ere continentale rigide et ´epaisse qui ne peut entrer en subduction. Si le m´ecanisme d’initiation des subductions reste mal compris `a l’heure actuelle, notamment en ce qui concerne le rˆole de bou´ee et/ou d’initiateur jou´e par la lithosph`ere continentale (e.g., Gerya, 2010; Nikolaeva et al., 2011), il

n’en demeure pas moins que seuls les m´ecanismes de surface peuvent concilier la dynamique actuelle des plaques tectoniques et les contraintes g´eologiques du refroidissement s´eculaire de la plan`ete. Retenons enfin qu’un tel m´ecanisme n’a pas besoin d’invoquer de ralentissement de la tectonique dans le pass´e pour ´eviter la catastrophe thermique (e.g., Korenaga, 2006), car contrairement aux mod`eles classiques, les processus de surface propos´es ici ne d´ependent pas de la rh´eologie du manteau.