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Le paradoxe de l’eau douce : les hydrosystèmes lacustres entre bienfaits et menaces

Chapitre 1.2. Le lac dans les milieux insulaires du sud-ouest de l’océan Indien, un marqueur des enjeux de la problématique de la ressource en eau

1.2.1. Le paradoxe de l’eau douce : les hydrosystèmes lacustres entre bienfaits et menaces

L’eau douce dans les espaces insulaires s’avère une ressource indispensable à l’occupation humaine du territoire mais elle peut aussi se révéler une source de risques et de nuisances consommation des populations présentes. L’accès à l’eau douce dans un milieu insulaire est souvent délicat du fait de l’accès difficile à la ressource38 ou de son inégale répartition spatiale et temporelle. Pour réduire cette difficulté, le stockage de l’eau douce constitue la solution la plus aisée. C’est de cette logique que sont apparus les différents réservoirs d’eau douce présents sur certaines îles de la région, allant de la simple retenue collinaire aux immenses lacs-réservoirs. L’île Maurice avec ses divers réservoirs apparus depuis le XIXème siècle (Mare aux Vacoas, Nicollière,

37 Guébourg.J-L, 2003

38 SDAGE du bassin Réunion 2010-2015, 2009

Mare Longue, Midlands…) constitue le meilleur des exemples39. Ce système de stockage permet donc de s’affranchir de l’inégale répartition spatiale et temporelle de la ressource et offre une consommation en eau douce sur l’ensemble de l’année. Cependant cette consommation est très contrastée selon les espaces insulaires de la zone allant de consommation minime (5 litres/hab/jour)40 pour les Comores à des consommations excessives de plus de 270 litres/hab/jour pour La Réunion41. De tels écarts s’expliquent par les ressources disponibles mais aussi par l’approche culturelle de l’eau. Pour les Comores, le difficile accès à la ressource en eau et la culture musulmane sont des facteurs déterminants pour justifier cette faible consommation. L’absence d’un réseau de distribution étendu impose le recours aux bornes fontaines publiques et l’obligation de récolter les eaux de pluie. Pour La Réunion, la bonne gestion de la ressource (stockage et transfert) permet d’avoir d’une eau douce toute l’année, mais le gaspillage et le mauvais état du réseau de distribution expliquent avant tout cette surconsommation. Malgré des ressources abondantes au regard des volumes précipités (sup à 2000mm en moyenne), les populations de ces îles se voient contraintes à surveiller leur consommation en période de sécheresse comme ce fut le cas pour l’île Maurice en 2010 qui a dû restreindre l’accès à l’eau et organiser des systèmes de distribution tournante pour limiter la consommation, ce qui n’est pas sans susciter des tensions au sein de la population42.

Autre usage fondamental de l’eau : l’agriculture. Les pratiques agricoles en milieu insulaire, en particulier la culture de la canne à sucre, largement répandue, nécessite dans certaines zones le recours à l’irrigation. Le développement de cette culture destinée à la fabrication du sucre et du rhum a imposé à La Réunion l’augmentation des périmètres irrigués depuis 1970. Pour satisfaire les besoins liés à la canne à sucre, ces périmètres traditionnels ont été restaurés soit 12 000 ha auxquels devraient s’ajouter de nouvelles surfaces irriguées liées au basculement des eaux soit plus de 20 000ha supplémentaires43. La création de retenues collinaires dans les hauts de l’île ont permis d’accroître cette capacité d’irrigation. De même, l’île Maurice a entrepris depuis le début du XXème siècle, la réhabilitation des réservoirs construits durant la colonisation et la construction de nouveaux réservoirs afin de répondre aux besoins grandissants. S’appuyant sur un réseau hydrographique péréen, ces réservoirs sont alimentés en permanence, ils servent de point de départ à un réseau de canaux à vocation agricole mais aussi un réseau d’eau potable pour les grandes

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villes. La construction récente de nouveaux réservoirs (Midlands et Bagatelle) a pour but de développer les réseaux de surface afin de limiter les pompages.

L’eau est utilisée aussi pour l’hydroléléctrique, la part de la production hydroléléctrique oscille entre 8 et 10% à La Réunion et Maurice. Les premières installations hydroélectriques du sud-ouest de l’océan Indien datent des années 1900 avec l’usine de Tamarin Falls à Maurice complétée dans les années 1950 par une série de sept autres unités. La Réunion fut la seconde île à s’équiper avec la construction des barrages de Takamaka I et II (1968-1989)44 (photo.4). Ces deux lacs de barrages ont été complétés par d’autres infrastructures comme la centrale de la Rivière de l’Est à Sainte Rose qui réalise un turbinage des eaux de la commune captées dans les Hauts et permet la production de trois tranches de 21MW, ce qui en fait le premier centre hydroélectrique de La Réunion.

Photographie 4 : Vue du barrage hydroéléctrique de Takamaka I (Réunion) Cliché Mathelin, 2011

Enfin l’eau douce peut faire l’objet de croyances religieuses fondamentales comme celle que l’on observe à l’île Maurice autour du lac sacré de Grand Bassin (Ganga Talao), lieu de culte de la religion tamoule. Ce lac de caldeira étroit dont la profondeur est inconnue abrite plusieurs temples dédiés à des divinités tamoules dont la principale est Shiva avec une statue monumentale qui surplombe le lac. Ce lieu est connu comme étant miraculeux du fait de certains évènements ayant pu s’y produire. Les tamouls parlent de phénomènes de hautes eaux ayant ennoyé l’ensemble des temples. Ce lac est aussi un lieu de prière car il accueille une fois par an une cérémonie de plusieurs jours rassemblant plus de 400 000 personnes venues de toute l’île, lors de la fête de Maha Shivaratree. Ce rassemblement constitue la plus grande fête tamoule de tout le sud-ouest de l’océan Indien45.

44 Guébourg.J-L, 2003, op cité

45 Guide du Routard de l’île Maurice, 22/02/2008

1.2.1.2. Les hydrosystèmes lacustres, source de menaces.

L’eau douce dans les espaces insulaires peut aussi représenter une multitude de menaces diverses et variées.

Parmi les dangers liés à l’eau douce, le plus connu et le plus fréquent correspond aux inondations et à leurs conséquences. En effet en milieu tropical humide, les saisons des pluies donnent d’importantes précipitations abondantes et soudaines qui saturent rapidement les sols et favorisent des écoulements de surface abondants et soudains. Le passage des dépressions tropicales correspond à cette saison de fortes pluies avec quelques phénomènes exceptionnels liés à la présence de cyclones. Sèches une partie de l’année, les zones concentrant les écoulements, communément appelées « ravines », se gonflent d’eau et peuvent déborder lorsque les pluies sont trop abondantes. Par habitude les populations éloignent leur construction des ravines mais la pression foncière et le non-respect du code de l’urbanisme poussent à la réalisation de constructions dans ces zones dangereuses. Ainsi sur la commune de Saint Paul à La Réunion, la densité des habitations est telle que certaines zones inondables ne sont plus respectées. Lors de pluies abondantes, les ravines alimentant le lac Etang de Saint Paul, gonflent et font augmenter brutalement augmenter le niveau du plan d’eau. Le cordon littoral ne pouvant évacuer si rapidement ce nouveau volume d’eau, favorise à son tour l’augmentation du niveau du lac qui déborde et envahit régulièrement certains quartiers (quartier de la grande fontaine, la tour des Roches, quartier de l’étang)46. La situation revient rapidement à la normale après quelques heures ou lorsque les instances communales décident de rompre le cordon littoral en utilisant des machines de travaux publics.

L’eau incarne aussi un danger lorsque celle-ci se trouve associée à d’autres éléments. Ainsi les espaces insulaires du sud-ouest de l’océan Indien se caractérisent par la jeunesse de leurs reliefs.

Cette jeunesse se traduit par des mouvements de terrains fréquents. Certains peuvent être même soudains et volumineux lorsque se produisent des éboulements. La menace devient d’autant plus importante au moment où ces accumulations rocheuses obstruent l’écoulement d’une rivière ou d’une ravine provoquant la formation d’un lac temporaire. Le plan d’eau en lui-même ainsi formé ne présente pas pour autant de danger mais l’éventuelle rupture du barrage libérant la masse d’eau risque d’entraîner une coulée boueuse soudaine, violente et meurtrière. Un tel scénario correspond à la situation rencontrée sur la commune de Saint Joseph à La Réunion dans la rivière des Remparts

46 L’info.re, 04/02/2010

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(fig.11) où un éboulement de 50 millions de mètres cubes en 1965 au niveau du village de Mahavel a obstrué la rivière. L’immense lac temporaire ainsi formé menaçait directement la ville de Saint Joseph en aval dont une partie se situe dans le lit de la Rivière. L’intervention des autorités locales avait permis d’éviter la catastrophe. Depuis, ce site fait l’objet d’un suivi régulier par le BRGM47.

Figure 11 : L’éboulement de Mahavel

L’eau peut jouer aussi un rôle dans le domaine sanitaire. Bien que connue pour les vertus curatives de certaines sources, l’eau est aussi un support et un vecteur de maladies dans certaines conditions. Lors de la crise de chikungunya à La Réunion en 2006, les moustiques vecteurs de la maladie utilisaient les points d’eau pour se reproduire, ainsi chaque zone humide était susceptible d’abriter des gîtes larvaires. Le nettoyage, la démoustication voire l’assèchement des points d’eau furent donc des priorités afin de lutter contre la propagation des maladies. Les points d’eau, lieux habituels de détente durant l’été austral se révélaient alors brutalement insalubres et furent rapidement désertés par les populations. Ainsi certains plans d’eau côtiers comme l’Etang Saint Paul, l’Etang Bois Rouge, l’Etang du Gol à La Réunion vont constituer des lieux stratégiques pour le traitement des gîtes larvaires.

47 BRGM, 2011

L’eau douce dans les espaces insulaires est donc une ressource tout à fait indispensable dont les dangers sont connus. Cependant, comme nous l’avons vu la présence de cette eau douce est conditionnée par des climats insulaires bien spécifiques.