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Conclusion partielle :

Chapitre 3.1. Analyse morphologique des lacs insulaires du sud-ouest de l'océan Indien

3.1.1. Les caractéristiques des bassins d'alimentation

Les bassins d’alimentation des lacs correspondent à la zone d’interception des eaux de surface qui d’alimentent le lac. Cette zone est définie par des interfluves qui séparent les bassins versant les uns des autres. Le sommet de l’interfluve correspond à la ligne de partage des eaux et le basculement vers un autre bassin d’alimentation. Dans le cadre des espaces insulaires, les bassins d’alimentation connaissent des superficies, des morphologies, des occupations et des réseaux hydrographiques qui en font leur spécificité.

En matière de superficie, les bassins d’alimentation des lacs insulaires présentent des contrastes exceptionnels (tableau.6). Sur l’ensemble des lacs observés, la moyenne de la taille des bassins d’alimentation se situe à 23,97 km² pour des lacs dont la superficie moyenne est de 132ha, ce qui en fait des entités hydrologiques remarquables étant donné l’étroitesse des espaces insulaires.

Cependant cette moyenne révèle des contrastes forts entre les lacs intérieurs et les lacs littoraux.

Ainsi l’Etang Saint Paul (447ha) à La Réunion, lac côtier, possède un bassin d’alimentation de plus de 106km² s’étendant du niveau de la mer jusqu’à 2280m d’altitude, ce qui représente 4,12% de la surface de La Réunion et en fait le bassin d’alimentation le plus étendu des lacs du sud-ouest de l’océan Indien. Appliqué à l’échelle du territoire français, de telles proportions donneraient naissance à un bassin d’alimentation de 22 000km², ce qui correspond à l’ensemble du bassin d’alimentation de la Vienne (21 105km²)162. Cet exemple est à opposer à d’autres lacs, comme le Dziani Dzaha (5ha), situé sur l’île de Mayotte, sur l’île de Petite Terre ; ce lac de cratère dont le bassin d’alimentation est de 0,9km² avec une forme quasi circulaire épousant les rebords du lac de

162 Source : Sandre, Fiches cours d’eau

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cratère. Les écarts en matière de taille des bassins d’alimentation peuvent donc s’avérer immenses.

Ces contrastes s’expliquent par la structure de ces îles volcaniques. Les plus grands bassins concernent les plans d’eau littoraux, le plus souvent constitués de planèzes volcaniques, basculés au gré de l’histoire géologique des îles. L’érosion a pu creuser ses immenses surfaces dont les sédiments furent transportés sur les littoraux pour former des plaines littorales dans lesquels les lacs côtiers ont pu apparaître. La situation très en aval de ces lacs avec un rôle d’exutoire des eaux intérieurs permet de concentrer ainsi plusieurs bassins versant et de constituer des bassins d’alimentation très étendus. A l’inverse, l’intérieur de l’île correspond à des reliefs plus tourmentés et disséqués consécutifs des grands épisodes géologiques (anciens volcans, glissements de terrain, cirques…) qui ont façonné l’espace insulaire. Malgré les phénomènes érosifs qui ont pu réduire certains reliefs, l’intérieur des îles n’offrent que très peu de grandes surfaces d’interception pour les lacs, ce qui explique que les bassins d’alimentation soient plus réduits, s’adaptant à ces reliefs plus découpés. Dans cette observation de la superficie des bassins d’alimentation, aucune différenciation nette n’apparaît concernant les lacs naturels et leurs homologues anthropiques.

Tableau 6 : Caractéristiques des principaux bassins d’alimentation des lacs observés

Nom zone

La pente constitue aussi un facteur fondamental du fonctionnement des bassins d’alimentation en milieu insulaire. Elle conditionne en partie les vitesses d’écoulement au sein de cess derniers. Sur les lacs observés, les pentes des bassins sont très fortes, oscillant en moyenne entre 15 et 25% (fig.46) et pouvant atteindre des pentes de 80% pour les pentes les plus marqués sauf exception163. Ces fortes pentes, souvent peu linéaires favorisent des ruptures avec l’apparition de cascades. De telles pentes couplées aux précipitations tropicales, engendrent des vitesses

163 L’étang de Bois Rouge, à La Réunion avec une pente inférieure à 1%, cette faible pente s’explique par le fait que l’ensemble du lac et son bassin d’alimentation se situent sur la plaine littorale.

d’écoulement rapides et se traduisent par des régimes hydrologiques d’un type torrentiel et de nombreuses crues éclairs. Dans ces conditions, la morphogénèse est forte et se trouve d'autant plus accentuée par la présence de phénomènes exceptionnels comme les cyclones. Les phénomènes érosifs sont particulièrement élevés et spectaculaires dans ces bassins d’alimentation ce qui se traduit par des comblements accélérés des dépressions. Les lacs étant des points de stockage de ces sédiments sont directement affectés par ces épisodes érosifs qui façonnent les formes lacustres et contribuent au comblement de la dépression.

Il faut cependant nuancer ces processus d'érosion selon les îles. Pour les îles les plus anciennes comme l’île Maurice, la topographie a été largement atténuée par l’érosion avec un point culminant à 828m (Piton de la Rivière noire). Les pentes sont donc plus douces induisant des précipitations et des régimes hydrologiques plus modérés. Les vitesses d’écoulement plus lentes réduisent les phénomènes érosifs et favorisent le maintien des paysages. Les impacts sur les plans d’eau sont alors moins marqués car l’érosion est moins active. Pour des îles plus jeunes comme l'île de La Réunion, la topographie est plus élevée avec un point culminant à 3070m (Piton des Neiges). Les pentes fortes couplées avec des précipitations soudaines et violentes favorisent des régimes hydrologiques irréguliers de type torrentiel. Ces régimes sont favorables à une érosion intense qui façonnent des paysages, au niveau des lacs, cette érosion des bassins d'alimentation favorisera le comblement rapide de certaines dépressions (photo.15) et l’apparition de formes lacustres d’accumulation. Cependant ces affirmations découlant d’observations de terrain nécessiterait la mise en place d’une étude sédimentologique pour d’établir avec précision les rythmes d’érosion des bassins d’alimentation ; on pourrait alors déterminer les vitesses de comblement des dépressions et estimer la durée de vie des plans d’eau naturels ou anthropiques.

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Figure 46 : Comparaison de la morphologie des bassins d'alimentation des lacs insulaires du sud-ouest de l'océan Indien

Photographie 15 : Le lac de barrage de Takamaka 2 en partie comblé

Les pentes assez marquées et les contrastes climatiques (altitude, effet de façade) dans un même espace insulaire favorisent la diversité des paysages au sein des bassins d’alimentation. Ces derniers s’établissent le plus souvent des parties intérieures vers la mer, découpant des segments entiers de l’île pour les plus étendus. Ils sont donc tout à fait représentatifs de la biodiversité des espaces insulaires. L’étagement de la végétation s’effectue sur des distances réduites pour les versants les plus pentus permettant le passage de savanes littorales à des forêts tropicales d’altitude type Tamarinaie en quelques kilomètres. Les zones les plus élevées et les zones de volcanisme actif sont des espaces essentiellement minéraux sur lesquelles une faible végétation de haute altitude (arbustes, lichens…) peut s’installer.

A cet étagement s’ajoutent les fortes pressions anthropiques présentes sur les littoraux et sur les premières pentes insulaires, ces pressions modifient largement ces écosystèmes qui reculent face à l’urbanisation dans les zones planes et se voient remplacés par des cultures comme la canne à sucre sur les pentes les plus accessibles. La modification du fonctionnement naturel de ces bassins d’alimentation fragiles perturbe les écoulements pouvant entraîner des catastrophes importantes.

Ainsi en Juillet 2013, en pleine saison sèche, l’Etang Saint Paul à La Réunion a connu un important incendie164 affectant la partie basse de son bassin d’alimentation. L’incendie a parcouru 75ha dont 65ha ont été totalement détruits. Ce sinistre d’origine inconnue a entraîné la disparition de nombreuses espèces endémiques et le déplacement d’autres. Cependant cette situation peut s’expliquer car cette partie du bassin d’alimentation, autrefois exploitée par les Hommes, a été classée en réserve naturelle en 2008. Toutes activités y devenant interdites, les paysages se sont progressivement fermés et les sols drainés par des canaux en amont ont favorisé l’apparition progressive d’une végétation assez sèche de type savane. Cette situation traduit donc l’abandon de

164 L’info.re, 22/07/2013

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certaines parties de ces zones humides et de leurs bassins d’alimentation et les dangers qui peuvent en découler à court et à moyen terme. La gestion de tels bassins d’alimentation, certes réduits mais aussi diversifiés et complexes impose une réflexion globale tenant compte tant des paramètres naturels qu’anthropiques.

La taille, la pente et l’occupation du sol des bassins d’alimentation sont tout autant de facteurs qui influencent la mise en place d’un réseau hydrographique. Ces bassins d’alimentation des lacs insulaires sont drainés par des réseaux bien moins étendus et complexes que ceux retrouvés en milieu continental. En effet ces réseaux hydrographiques sont largement moins structurés du fait de la proximité de la mer. Pour les lacs intérieurs, situés en tête de bassin, les affluents sont de rang 1 voire 2 (classification de Strahler)165, à l’inverse, les lacs côtiers, situés proche des embouchures, se composent essentiellement d’affluents de rang supérieurs. Ces réseaux se caractérisent aussi par deux éléments fondamentaux avec la présence de cascades plus ou moins importantes liées aux ruptures de pentes mais aussi de ravines sèches, dont les écoulements n’apparaissent qu’en période humide ou lors d’épisodes pluvieux.

La structure géologique des îles, principalement volcanique avec des sols peu développés, favorise l’infiltration des eaux en profondeur dans les bassins d’alimentation en direction d’importantes nappes souterraines. La saturation de ces sols fissurés n’intervient donc qu’avec des épisodes pluvieux importants (pluies tropicales) déclenchant des écoulements soudains et abondants. Cette situation si particulière explique la rareté des réseaux péréens en milieu insulaire et l’intermittence de l’alimentation de certains lacs insulaires par les eaux de surface, le maintien en eau du lac étant alors assuré par les nappes souterraines comme pour l’Etang Saint Paul166. Cependant la dimension péréenne des réseaux hydrographiques des bassins d’alimentation est à nuancer tout d’abord, d’une île à l’autre. En effet des îles plus anciennes comme l’île Maurice, datant de plus de 8 millions d’années167, ont connu une érosion plus importante permettant le développement de sols complexes et limitant l’infiltration en profondeur. Les réseaux hydrographiques sont donc plus denses. Au contraire d’îles comme La Réunion dont l’histoire géologique est plus récente (6 millions d’années)168, ce qui se retrouve dans des reliefs plus saillants et des sols moins structurés, favorisant les affleurements volcaniques fracturés. Les réseaux hydrographiques péréens restent plus rares au sein des bassins d’alimentation, comme le montre le quasi assèchement des cascades d’Annette,

nombreuses résurgences d’eaux souterraines sont constatées comme le prouve les sources observables au pied des remparts rocheux, lesquelles font souvent l’objet de dévotions religieuses.

De plus, la situation de façade insulaire des bassins d’alimentation influence aussi les réseaux hydrographiques. L’opposition entre la côte au vent et sous le vent se traduit par un contraste en matière de densité de réseau hydrographique. Les réseaux situés sur la côte exposée aux alizés sont plus alimentés donc souvent plus péréens grâce aux abats d’eau importants et réguliers, à la différence des réseaux situés sur la côte sous le vent, victimes d’un déficit de précipitations. A noter aussi l’influence des Hommes sur ces réseaux hydrographiques : le fonctionnement des réseaux hydrographiques au sein des bassins d’alimentation peut se trouver bouleversé par l’action humaine qui met en place des points de captage ou des retenues collinaires, réduisant, sans toujours respecter le cadre réglementaire, les débits des cours d’eau. Cette situation d’assèchement en aval des retenues collinaires est fréquente sur l’île Maurice en période de saison sèche où le remplissage d’eau douce des réservoirs est prioritaire sur l’écoulement en aval. Ce processus favorise l’assèchement des cours d’eau et peut mettre en danger, en cas de fortes pressions anthropiques, l’ensemble de l’hydrosystème.

Ces bassins d’alimentation des lacs insulaires présentent donc des caractéristiques spécifiques, de taille réduite (à comparer à leurs homologues continentaux), avec des pentes relativement fortes (supérieurs à 15%), une occupation des sols marquée par un étagement complexe de la végétation et une empreinte humaine forte, enfin des réseaux hydrographiques discontinus et peu développés. L’ensemble de ces éléments bien spécifiques influence en partie les cuvettes lacustres tant dans leur morphologie que dans leur rythme.