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5.3 Retour critique sur les dispositifs d’accompagnement existants

5.3.3 Paradoxe des discours

L’analyse des discours des accompagnateurs d’une part et des auto-réhabilitateurs d’autre part permet enfin de déceler un paradoxe quand à la position de chacun concernant la nécessité de l’accompagnement. Alors que les premiers se considèrent indispensables afin d’éviter des erreurs dans la mise en œuvre pouvant endommager de manière permanente le bâti, les seconds quand à eux déclament haut et fort leur indépendance et leur désir de le rester, laissant peu de place à un quelconque accompagnement. Le représentant des Maisons Paysannes s’exprimera longuement sur le danger de ces néophytes qui se lancent dans un chantier d’auto-construction ou d’auto-réhabilitation sans posséder la moindre connaissance au préalable. Pour lui, l’aide de personnes formées aux métiers du bâtiment est indispensable pour que la réhabilitation se fasse correctement :

« On peut être aidé, par des artisans, et dans ce cas là on

complète, on fait des choses, mais on ne remplace pas un professionnel. Ce n’est pas l’objectif non plus, il faut être conscient de ses possibilités. L’auto-construction c’est bien, mais j’avoue que je suis un peu dubitatif sur le résultat d’une construction totale, sans l’aide de gens qui ont un vrai savoir. » (Représentant des Maisons Paysannes de France)

L’expérience selon lui doit être transmise de professionnel à néophyte, d’expérimenté à débutant, comme cela se faisait dans les villages à l’époque où le métier d’architecte était encore balbutiant : « Mais l’accompagnement vous savez, c’est indispensable. Des gens qui se lancent seuls dans un chantier, sans aide, c’est pas raisonnable. Ya des chantiers, ça été une grosse erreur ! Tenez par exemple, toutes les maisons canadiennes, les maisons de ce genre en rondin de bois, que faisaient les pionniers dans l’ouest américain... Ils ne construisaient jamais tout seul ! Il y avait toujours quelqu’un, […] donc c’était du partage de compétence, ce n’était pas des gens qui se disaient « bah tient je vais me construire une maison ». [...] Ils avaient un savoir, qu’ils apportaient aux autres, et c’est comme ça qu’on construisait le

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village ! Ya rien qui se fait ex nihilo, fatalement il y a quelqu’un à côté qui sait ! » (Représentant des Maisons Paysannes de France)

On retrouve également cette méfiance des auto-réhabilitateurs ignorants à la Fondation du Patrimoine :

« Dans nos dossiers, mêmes ceux qui permettent une

défiscalisation, on a une partie « matériaux-main d’œuvre » qui permet aux propriétaires de ne pas faire appel à des entreprises mais de faire leurs travaux eux-mêmes. Donc là, il faut vraiment, vraiment, tout nos dossiers sont contrôlés, mais là il faut qu’ils le soient encore plus, parce que nous derrière on est pas sur des entreprises qui ont l’habitude de faire leurs travaux, mais sur des propriétaires qui font eux-mêmes leurs travaux, et donc c’est assez délicat. » (Représentant de la Fondation du Patrimoine)

Ainsi ces associations dont le but est de défendre le patrimoine rural, ce qui repose en partie sur la contribution qu’apporte les auto- réhabilitateurs dans cette protection en se lançant par eux-mêmes dans les travaux, ces associations sont méfiantes et semblent voir d’un mauvais œil ces particuliers sans connaissances, craignant (parfois à juste titre) que le manque de connaissances les amène à choisir des techniques ou des matériaux néfastes pour ce bâti. Sans remettre en cause cette position, il faut néanmoins souligner

l’une des conclusions du rapport de Viviane Hamon1, assurant que

les chantiers réalisés par des auto-réhabilitateurs sont d’aussi bonne facture que ceux réalisés par des professionnels, élément qui est également signalé par l’une des auto-réhabilitatrices rencontrées :

« Ce qui est assez étonnant, c’est que finalement on voit très peu de

problèmes sur les chantiers. Les accompagnateurs ou les professionnels disent qu’il faut absolument former les habitants, parce qu’ils ne savent pas, que c’est pas leur métier... Mais je pense que les gens qui se lancent dans des chantiers comme ça, en général c’est des gens qui se font assez confiance et si ils savent pas, ils vont apprendre. » (Habitante n°3)

1 PADES - GERES - VIVIANE HAMON CONSEIL. L’accompagnement à l’auto-réhabilitation du logement « tous publics » et l’émergence d’un nouveau métier du bâtiment, PADES - GERES, 2014, 201 pages

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Cette position selon laquelle un auto-réhabilitateur doit absolument être soutenu dans son projet va totalement à l’encontre de ce qui est exprimé par lesdits auto-réhabilitateurs, motivés par un fort désir d’indépendance et de faire par eux-mêmes. Tous les particuliers rencontrés jugent l’accompagnement comme intrusif, les empêchant de réaliser leurs projets à leur convenance et disent s’en passer parfaitement. L’un des foyers, ayant étudié un peu la question de l’auto-réhabilitation, évoquera ce paradoxe de discours, en prenant fortement position pour l’indépendance de ces particuliers qui font seuls.

Comme cela déjà analysé précédemment2 , l’accompagnement

est largement refusé par ces porteurs de projet, qui mettent en avant leur capacité à se renseigner par eux-mêmes, à faire fonctionner leur réseau et à prendre le temps d’intégrer les techniques constructives avant de se lancer dans la mise en œuvre à proprement parler.

Il faut néanmoins signaler que si les foyers rencontrés jugent ne pas avoir eu besoin d’un accompagnateur pour leur projet, c’est également parce qu’ils visualisent cet accompagnateur comme une sorte d’architecte gratuit, qui sera continuellement présent et qui éventuellement dirigera le chantier. Mais l’accompagnement prends de multiples formes et chacun de ces foyers à un moment ou à un autre de son chantier pu bénéficier d’une aide : que ce soit le foyer n°1 qui fut financé sur une partie des travaux par la Fondation du Patrimoine et qui assista à certaines formations des Maisons Paysannes, la famille n°2 qui a rencontré un membre de l’ADIL et qui est largement soutenu par l’artisan familial, ou encore les habitants n°3 qui (dans une moindre mesure car professionnels tout deux) sollicitent fréquemment le soutien des Castors pour l’achat de matériaux à moindre coût.

Tout cela peut-être considéré comme un accompagnement discret, laissant une totale indépendance aux porteurs de projet dans leur choix constructifs, conceptuels et esthétiques. Ainsi malgré ce paradoxe perçu dans les discours, auto-réhabilitateurs et accompagnateurs parviennent à un certain équilibre, qui pourrait certes être amélioré, mais qui apporte à chaque parti plusieurs avantages non négligeables.

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2 Voir page 87

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