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4.3 Où est l’architecte ?

4.3.1 Les problématiques d’assurance et de sécurité

La nature de l’auto-réhabilitation, une forme d’architecture qui s’effectue sans l’intervention d’un architecte, semble bannir cette figure classique du monde de la construction pour des raisons à la

fois économiques et éthiques1. Mais d’autres raisons empêche les

architectes d’intervenir en leur nom propre sur de tel chantier, et ce

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même bénévolement.

Tout d’abord, la cohabitation au sein du chantier entre artisans et auto-réhabilitateurs qui réalisent alors les travaux conjointement, voire l’absence totale d’artisans, rends les travaux difficiles à assurer. En effet, la qualité de ces derniers n’étant pas certaine, il n’est pas exclu que des désordres se manifestent et le risque que les propriétaires se retourne contre l’architecte qui les aura accompagnés est important. Les assurances rechignent donc à assurer ce type de chantier et un architecte ne pouvant exercer s’il n’est pas pleinement couvert n’aura donc pas la possibilité de s’engager dans l’accompagnement d’un projet d’auto-réhabilitation en son nom. De plus, le fait que les travaux soient réalisés par des non professionnels pose des problèmes de sécurité non négligeables, qui peuvent, encore une fois, se retourner contre l’architecte en charge de l’accompagnement.

Les habitants se soucient de plus assez peu de s’assurer sur les travaux qu’ils réalisent et en effet aucun des auto-réhabilitateurs rencontrés ne fait mention d’une quelconque assurance à laquelle ils auraient pu souscrire ; ils font en revanche bien mention de la garantie décennale, justifiant parfois le recours à des artisans pour pouvoir bénéficier de cette garantie et obtenir remboursement si jamais des désordres venaient à survenir : l’inquiétude des architectes concernant le retournement des foyers accompagnés contre eux ne semble donc pas infondée.

La loi en outre impose le recours à un architecte uniquement lorsque la surface de plancher construite est supérieure à 150m² (depuis le 1er mars 2017) ou que les façades du volume réhabilité sont modifiées de façon importante. Afin de faire des économies et d’éviter l’intervention d’un architecte, les auto-réhabilitateurs s’arrangent alors souvent pour ne rénover que des petites surfaces, ou encore fragmentent et étalent les travaux à réaliser afin de s’affranchir d’une telle obligation :

« [On ne fait pas appel] à un architecte, d’abord parce que le

projet on l’a bien en main, et puis il n’y avait pas d’obligations à faire appel à un architecte déjà... Au départ, on avait l’idée de faire tout ça dans l’autre grange, mais elle était trop grande, et donc on a revu les choses. Le portail était immense, et puis quand on a commencé

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à voir les volumes, à faire venir les artisans, on a vu que c’était trop onéreux. » (Habitante n°2)

« Pas d’architectes, en plus j’étais peinard, j’avais pas

d’obligations avec la surface. » (Habitante n°1)

La volonté d’indépendance fortement affirmée, et le désir de concevoir un projet personnel répondant à des aspirations et à des valeurs spécifiques à chaque foyer entraîne un refus catégorique de l’intervention d’un architecte sur le chantier, perçu comme un élément perturbateur dans le bon déroulement du chantier. Au regard des législations actuelles et des motivations exprimées par les différents porteurs de projet, l’auto-réhabilitation semble donc rester un marché inaccessible pour les architectes désireux de s’engager en leur nom propre.

4.3.2 La figure de l’architecte-conseil

Mais si les particularités de l’auto-réhabilitation rend difficile l’intervention d’un architecte sur le chantier, ce dernier n’est néanmoins pas totalement absent de la conception et de la mise en œuvre. Il n’aura en revanche pas le rôle de maître d’œuvre qui lui est généralement attribué : celui-ci est en effet joué par le porteur de projet, qui aura à cœur de diriger la conception et la construction de son chantier.

Le métier d’architecte prend alors de nouvelles formes afin de s’adapter à ce type spécifique de construction : c’est dans ce contexte qu’intervient l’architecte-conseil, au sein d’un CAUE ou d’une association, le service qu’il fournit restant gratuit afin de pouvoir être à la mesure des auto-réhabilitateurs qui bien souvent choisissent ce mode de faire pour réaliser des économies.

L’architecte-conseil en CAUE rencontre la plupart du temps l’auto-réhabilitateur en amont du projet, lorsque celui-ci est encore au stade de conception. Il aura pour objectif de guider le porteur de projet dans le choix des matériaux, la constitution du budget, du dossier de permis de construire ou de déclaration préalable des travaux, ou toutes autres questions que ce dernier peut être amené à se poser. Ainsi, l’architecte-conseil jouera un rôle central dans la construction de l’expertise des auto-réhabilitateurs, qui trouveront en sa personne

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une source précieuse de renseignements. Cette figure de conseil et la qualité de ce dernier est d’ailleurs très reconnu par les différentes institutions accompagnant l’auto-réhabilitation :

« Nous redirigeons nos adhérents notamment vers le CAUE, qui

en fonction de certains départements est plus ou moins actif d’ailleurs, mais apporte de précieux conseils. » Représentant de la Fondation du Patrimoine

L’architecte-conseil est une figure qui existe également dans des associations telles que Les Maisons Paysannes, exercant cette fois-ci son activité de manière bénévole. Au sein de l’association, il pourra non seulement renseigner des porteurs de projet sur une grande variété de questions, mais également participer aux différents chantiers, et expérimenter des techniques constructives qui pourront être utiles lors de projets futurs :

« On a eu dernièrement un habitat contemporain, une expérience

avec des architectures en pierre dans le Languedoc, où des jeunes architectes ont non seulement construit leur maison, mais ont aussi permis à l’association d’inclure toute une batterie de tests à l’intérieur de la construction pour dégager les caractéristiques de ce bâti ancien, en terme d’isolation notamment, et le comportement thermique et hygrométrique. Le but c’est pas gratuit, c’est de montrer qu’un bâti de ce type n’est pas plus cher qu’un bâti actuel, mais que ce bâti peu être plus efficace, moins cher, plus durable, environnementalement, mais aussi dans le temps. » Représentant des Maisons Paysannes de France.

En outre, l’association a mis en place un groupe de réflexion composé d’architectes exclusivement, qui travaillent à l’intégration d’un bâti contemporain au bâti rural, ainsi que sur les spécificités constructives de ce dernier. De la sorte, l’architecte, grâce à ses connaissances professionnelles et son expérience du chantier, peut donc être fort utile

1PATRIMOINE ENVIRONNEMENT. «L’Architecte des Bâtiments de France (ABF)». [en ligne] <http://www.patrimoine-environnement.fr/larchitecte-des-batiments-de-france/> (consulté le 25/04/2017)

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au sein des différentes associations accompagnatrices.

4.3.3 L’Architecte des Bâtiments de France

Une autre variation du métier d’architecte assure également un accompagnement auprès des auto-réhabilitateurs : l’Architecte des Bâtiments de France ou ABF. Cet architecte doit veiller à l’application des lois sur les abords des monuments historiques, les espaces inscrits ou classés, les secteurs sauvegardés et les Zones de Protection du Patrimoine Architectural, Urbain et Paysager (ZPPAUP)1. Il aura ainsi un

droit de regard sur tout permis de construire ou déclaration préalable déposé en mairie afin de s’assurer que les travaux prévus respectent les différentes lois cités précédemment. En fonction desdits travaux, il émettra un avis de conformité ou refusera d’accéder à la demande, pouvant alors exiger la modification des plans afin que ceux-ci soit conformes aux règles en vigueur. Grâce à ce rôle central dans l’attribution des différents permis et autres demandes, l’ABF garanti donc le respect du patrimoine local.

Mais au-delà de cet aspect du travail très policé, l’ABF tient également le rôle de conseiller auprès de tout porteur de projet à la recherche de conseil concernant la réhabilitation d’un ou plusieurs ouvrages :

« L’ABF m’a dit, elle est venue voir si j’avais le droit de démolir.

Je lui ai dit : ‘vous voyez bien, c’est métallique, c’est de la tôle ondulée sur le toit..’ et elle me dit ‘d’accord, mais il faudrait faire quelque chose’. Et c’est à ce moment-là qu’on a réfléchi et qu’on s’est dit qu’il faudrait mettre en place tout ça. Et la tour correspond à l’emplacement de l’ancienne porte du château, à peu près. » (Habitante n°1)

L’ABF peut ainsi intervenir dans des zones non classées, afin de renseigner toute personne habitant un édifice à caractère patrimonial désireuse de l’entretenir. C’est un acteur qui sera souvent consulté par des auto-réhabilitateurs soucieux de concevoir un projet de restitution qui s’approche au plus près de l’état originel du bâti.

C’est cet aspect du métier que la Fondation du Patrimoine sollicite, faisant de l’ABF le décisionnaire principal pour l’attribution des

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différentes aides financières que propose l’association. Celui-ci vérifie en effet chaque dossier et leur conformité aux valeurs de l’association, qui défend une réhabilitation « à l’identique » du bâti ; il peut aussi demander la modification de certains travaux, ainsi que conseiller les porteurs de projet sur les meilleurs choix à effectuer :

« Via notre Fondation, on « oblige » à travers l’ABF à restaurer

à l’identique, c’est-à-dire parfois en utilisant des méthodes anciennes, qui doivent être transmises et qui aujourd’hui ne le sont pas forcément, ou moins... [...] L’ABF a aussi un rôle de conseil, ils peuvent très bien conseiller les porteurs de projet sur des travaux, des entreprises... » (Représentant de la Fondation du Patrimoine)

Ainsi l’architecte est bien présent dans les dispositifs d’accompagnement mis en place par les divers organismes qui se préoccupent de l’auto-réhabilitation. De plus, en endossant parfois lui- même le rôle d’accompagnateur, il apporte aux auto-réhabilitateurs de précieux conseils basés sur des connaissances solides et renouvelle le métier d’architecte : de maître d’œuvre, son rôle devient celui d’assistant à la maîtrise d’ouvrage privée, laissant la conception du projet de côté au profit de conseils avisés et renseignements techniques opportuns.