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3.2 Des motivations multiples

3.2.2 Considérations psychologiques

Les propriétaires ayant fait le choix de l’auto-réhabilitation témoignent en outre de l’existence d’autres motivations bien plus fortes que celle évoquée de prime abord : l’habitante n°1 évoque souvent le choix de sacrifier ses vacances, qu’elle aurait pu passer « au Maroc, au bord de la mer ou à l’Ile de Ré » pour rester « à gratter » chez elle, préférant s’investir dans un lieu qui revêt pour elle une symbolique particulière. Choisir de faire par soi-même permet en effet de s’engager pleinement dans la construction du chez-soi, et réhabiliter une ancienne demeure est alors l’occasion de créer un lieu où s’attache durablement la cellule familiale. Ainsi cette habitante a choisi avec son mari d’acheter une maison de campagne afin d’avoir un endroit où passer ses vacances : petit à petit, cette demeure devint le point de rencontre des différents membres du foyer, où se déroulent les événements marquants d’une vie (mariages, anniversaires...). Ce désir de créer un « repaire, un repère familial » motive cette famille à s’investir dans des travaux massifs, où ont travaillé enfants et petits-enfants, jusqu’à aujourd’hui. La maison revêt donc pour les différents auto-réhabilitateurs interrogés une valeur profonde, constituant un foyer au sens analytique du terme1, c’est-à-dire

un lieu de convergence, un point de rencontre et ce même si le logis réalisé n’est pas destiné aux habitants eux-mêmes :

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« On a vraiment le désir de faire une belle maison, agréable, qui amène la détente, le dépaysement... On le conçoit comme une deuxième maison, même si elle sera louée, on la fera comme si c’était pour nous. » (Habitante n°2)

« Mon mari et moi on était persuadé que la famille c’est

fondamental, et que la famille doit avoir un lieu de repère, un endroit où se retrouver, et pour nous c’était fondamental. Il y a l’aspect économique, architectural, historique, tout ce que tu veux, mais c’était pour nous fondamental que la famille se retrouve quelque part. » (Habitante n°1)

Le chantier d’auto-réhabilitation est ainsi l’occasion de poursuivre un récit, que ce soit celui du bâtiment ou celui de la famille. Certains font d’ailleurs le choix de ce mode constructif pour poursuivre une tradition familiale et s’inscrire dans une continuité : c’est le cas notamment du foyer n°2 qui évoque régulièrement que « traditionnellement en milieu rural, les gens faisaient eux-mêmes. ».

Mais choisir de faire par soi-même, c’est aussi et surtout choisir d’être indépendant, dans sa façon de construire, de concevoir, de choisir ses matériaux... Ce désir d’indépendance se retranscrit d’une part dans le choix de mode de vie : celui de vivre en milieu rural afin de se détacher des modes classiques de consommation, d’auto-produire une partie de sa nourriture, de faire un sorte d’obtenir un revenu qui permet de se détacher des aides de l’État... Un chantier d’auto- réhabilitation est d’autre part le moyen d’expérimenter des matériaux ou des modes constructifs généralement peu usités, par manque de savoir-faire et de réglementations : ainsi l’un des foyer travaille à la mise en place d’un plancher chauffant sur dalle de béton de chaux, et évoque sa difficulté à trouver des exemples de détails constructifs ainsi qu’a se fournir en matière première (en chaux notamment), car cette manière de faire est très peu répandue. Ce même foyer avoue parfois faire fi des réglementations classiques de mise en œuvre de certains matériaux (documents techniques unifiés ou DTU) lorsqu’il considère que cela ne correspond pas aux besoins de leur logis :

« Pour les toits... On a choisi de pas mettre de pare-pluie, notre

couvreur comme il est plutôt chantier du patrimoine il nous a dit que si la couverture est bien faite ya pas besoin de pare-pluie, voilà, et puis nous

1 CNRTL. « Foyer ». [en ligne], www.cnrtl.fr , (consulté le 23/03/2017)

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on avait pas spécialement envie d’en mettre. […] Mais aujourd’hui toutes les entreprises elles mettent un pare-pluie, c’est même une obligation DTU des fois, ça dépend des pentes mais voilà. » (Habitant n°3)

Faire par soi-même permet ainsi de construire un projet qui correspond entièrement aux envies des propriétaires, quitte à parfois faire des erreurs : c’est ainsi le moyen « de faire de la manière où on pense que c’est bien fait. » comme le répète fréquemment l’habitante n°3, traduisant la grande confiance que possède un auto-réhabilitateur dans sa capacité à construire de manière juste. Le porteur de projet sait où il va et ce qu’il veut, et de ce fait refuse l’intervention d’un professionnel dans la conception de son projet :

« On a pas fait appel à un architecte, d’abord parce que le projet

on l’a bien en main, et puis il n’y avait pas d’obligations à faire appel à un architecte déjà. Et puis parce qu’on voit très bien comment organiser le gîte ! » (Habitante n°2)

Ce désir d’indépendance explique parfois le refus d’obtenir les différentes

aides financières évoquées précédemment1, qui exigent le recours

à certains artisans, le choix de matériaux ou d’une mise en œuvre spécifique : l’auto-réhabilitateur ne désire pas se plier aux conditions imposées par autrui, se fixant ses propres règles et objectifs afin de conserver sa liberté de mouvement.

L’auto-réhabilitation est de plus une source de valorisation personnelle : l’avancement mesurable des travaux, l’admiration d’autrui face aux ouvrages réalisés, la satisfaction de réussir une partie complexe sont autant d’éléments qui motivent l’habitant à poursuivre son projet, quitte à y sacrifier son temps libre. Car en effet, ce type de chantier est souvent très chronophage, et demande de la part du propriétaire un investissement constant : il faut y passer ses week-ends, ses vacances si l’on veut que le projet avance. Les temps de repos usuels sont alors dédiés au chantier, générant ainsi un épuisement : « comme on va travailler le week-end, ça va faire des semaines bien chargée, par notre propre travail et par le rythme du week-end qui ne sera pas tellement reposant. » s’inquiète l’habitante n°2. Et malgré cette forte motivation,

1 Voir page 38 A u t o - r é h a b i l i t a t i o n o u l ’ a r c h i t e c t u r e s a n s a r c h i t e c t e s 74

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lorsqu’on leur demande si ils seraient prêt à tout recommencer, les différents auto-réhabilitateurs entretenus hésitent :

« Pour faire un truc pareil il faut un grain de folie, je pense après

coup. On m’aurait dit « ça va durer tant, ça va coûter tant » je sais pas si je l’aurais fait, je n’en sait rien. » Habitante n°1

« Après, est-ce que je recommencerai, je sais pas. [...] Il faut

pas se poser la question, on le fait comme un quotidien, comme quand on va au travail tous les jours, on se pose pas de questions, il faut aller bosser... Et bah ici c’est un peu pareil, le week-end on se pose pas de questions, on sait qu’on vient là. Sinon on se démotive vite... » (Habitant n°3)