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par Sébastien Omont

Dans le document Communautés transatlantiques (Page 28-31)

LA COMMUNE APRÈS LA COMMUNE

des serviteurs de l’antéchrist selon un système de valeurs partagé par bon nombre des officiers de l’armée française, les communards n’ont plus qu’à être détruits.

À cette représentation, Eugène Pottier oppose en 1886 sa chanson « Elle n’est pas morte », dédiée justement « Aux Survivants de la semaine san-glante ». L’image du massacre militaire y do-mine : « On l’a tuée à coups de chassepot, / À coups de mitrailleuse » ; « Comme faucheurs rasant un pré, / Comme on abat des pommes, / Les Versaillais ont massacré / Pour le moins cent mille hommes. » L’exagération a valeur polé-mique, mais Pottier se fait aussi très factuel :

« On a bien fusillé Varlin, / Flourens, Duval, Mil-lière, /Ferré, Rigault, Tony Moilin ». Tous exécu-tés sommairement, sauf Ferré, condamné sur la base d’un faux. Pottier rappelle également le rôle joué par la presse et certains écrivains dans la diabolisation de la Commune : « Les journalistes policiers / Marchands de calomnies, / Ont répan-du sur nos charniers / Leurs flots d’ignominies. / Les Maxim’ Ducamp, les Dumas, / Ont vomi leur eau-forte » (il s’agit ici d’Alexandre Dumas fils).

Mémoire contre mémoire, celle des communards est moins chimérique.

« La Commune de Malenpis » d’André Léo en 1875 et « Histoire de la décadence d’un peuple (1872-1900) » d’Émile Second en 1872 regardent vers l’avenir immédiat. D’horizons politiques différents, les deux auteurs cherchent, par la dys-topie, à détourner les lecteurs de la monarchie.

Journaliste communarde exilée, André Léo repré-sente sous forme de conte la décadence d’une commune libre se laissant séduire par la royauté, ses ors, son or et son ordre illusoires. Les habi-tants n’y gagneront que davantage d’impôts, une police, une armée et la guerre. Ils en sortiront par une révolution. L’intérêt du texte est d’identifier n’est qu’il manifeste des convictions républi-caines aussi modérées que fermes. Sur un mode catastrophiste, il décrit tous les malheurs qui frapperaient la France si elle choisissait de reve-nir en monarchie, comme le laisse craindre la majorité royaliste élue en 1871. Jusqu’à la dispa-rition du pays. Émile Second rejoint André Léo provi-soire gouvernée par des monarchistes qui conspi-raient ouvertement pour la renverser ». Même s’il dénonce les « excès » de la Semaine san-glante, l’émeute rejoint vite les poubelles de l’histoire : « La Commune fut vaincue comme le sont tous les mouvements populaires, parce qu’ils n’ont pas été prévus et organisés ». On sent Émile Second gêné par un mouvement qu’il va curieusement jusqu’à envisager comme instinctif, privé de volonté : « Elle fut une revendication inconsciente des classes qui souffraient, en même temps qu’une sorte de vengeance contre ceux qui avaient livré Paris ». Pour lui, cette crispation, cette crampe insurrectionnelle deviendra néces-sairement hors sujet en république. Au contraire, André Léo la considère comme un horizon dési-rable mais difficile à établir ; pour en favoriser la pérennité, elle en indique à l’avance les écueils.

Si « Un mariage en 1886 » n’était qu’un monument – involontaire – érigé à la bêtise belliciste et litté-raire, « Au bout du fossé !! La Commune de l’an 2073 » de René de Maricourt (1874) manifeste beaucoup plus de qualités, une certaine drôlerie et surtout une imagination hardie. Jean-Guillaume Lanuque souligne à juste titre dans sa préface :

« Au-delà de son caractère d’anticipation et de ja-lon menant aux dystopies « classiques » (Nous Autres, 1984, etc.), ce texte, par certains de ses as-pects (dont un président robotique) s’inscrit pleine-ment dans le « merveilleux scientifique » ». « Au agreste d’André Léo, il pousse à l’extrême la na-ture urbaine de la Commune. Après s’être repro-duite et avoir cette fois réussi, elle est devenue un État indépendant, une ville de quarante millions d’habitants englobant toute l’Île-de-France jus-qu’à Provins et Senlis. La surpopulation y impose de rationner l’espace, sous forme d’immeubles géométriques annonçant les grands ensembles.

Tout comme l’air, respiré en bouteilles. Régis Messac reprendra cette idée en 1937 dans La cité des asphyxiés, mais cette fois comme un moyen d’oppression des classes laborieuses. Ted Chiang, dans la nouvelle éponyme d’Expiration (2020), en fait un signe de l’entropie du monde.

LA COMMUNE APRÈS LA COMMUNE

Maricourt amplifie jusqu’à l’absurde la logique égalitaire de la Commune pour la dénoncer. Ses Parisiens de 2073 doivent savoir tout faire, mais sans jamais dépasser la médiocrité. Ils portent tous les mêmes perruques et les mêmes vête-ments grisâtres, se tiennent tous légèrement voû-tés pour ne pas stigmatiser les laids et les vieillards. Dans cette dictature du même, la révo-lution advient, mais réduite à une pantalonnade où l’on met en pièces un président-robot. René de Maricourt ne semble pas avoir été conscient de la force de son texte, qu’il désamorce par une pi-rouette finale : tout cela n’était qu’un rêve… Il est dommage qu’il n’ait pas tenu compte de ce que Gustave Flaubert lui écrivit un jour : « L’Art ne doit pas faire joujou ».

Plus tardifs, «  Le triomphe de la révolu-tion » (1890) de Michel Zévaco et « La cité de l’égalité » (1896) d’Olivier Souëtre se révèlent aussi être des rêves. Comme ils souhaitent, quant à eux, l’avènement de la révolution, on peut y voir un signe qu’ils ne croyaient pas vraiment que cela se produirait rapidement. Dans son article publié dans L’Égalité, Zévaco rejoue la Commune en racontant comment les révolutionnaires s’em-parent de Paris en une nuit. L’objet du texte est énoncé dans sa conclusion : « nous aurons ainsi répondu à ceux qui nous disent sans cesse : Que ferez-vous au lendemain de la Révolution ? ». Il s’agit surtout d’exposer un programme. Dans la préface, Jean-Philippe Lanuque indique que « le soin apporté aux détails du nouvel ordre est éga-lement caractéristique d’un socialisme qui se veut pleinement scientifique, non sans ironie ». « La gestion des affaires nationales et l’organisation de la production et de la consommation », vastes do-maines, sont notamment confiées à un « conseil national de statistique », composé de délégués élus par les régions.

La victoire de la nouvelle Commune est plus cir-constanciée par Olivier Souëtre, chansonnier et officier fédéré blessé au fort d’Issy. Son récit est une uchronie dont l’histoire diverge de la nôtre en 1879. La révolution sociale y naît comme une force irrésistible, liée au refus d’une nouvelle guerre. Elle se poursuit en une guérilla préfigu-rant les conflits du XXe siècle, puis en une frater-nisation avec les soldats allemands. La fraternisa-tion comme moment décisif de la révolufraternisa-tion se retrouvait aussi chez André Léo. Elle rappelle évidemment la journée du 18 mars 1871. Les an-ciens communards répètent dans leurs fictions la

Commune, comme pour la conjurer de se repro-duire. Souëtre détaille les accomplissements de cette société idéale : égalité des sexes, union libre, éducation collective, fusion des races en Algérie, et même création d’une mer intérieure rendant le Sahara cultivable.

Plus qu’ils ne reviennent sur l’événement de 1871, les textes de Demain, la Commune ! s’en font l’écho, le prolongent. Si le souvenir des atrocités est présent, qu’elles soient réelles – rappelées par Eugène Pottier – ou largement fantasmées – par le réactionnaire Bailly –, les angoisses et les attentes du futur dominent, avec avant tout la crainte d’une revanche franco-allemande, évoquée par André Léo, Émile Second, Olivier Souëtre et Jules Bailly, le seul à s’en réjouir. S’y ajoute, aussitôt après 1871, la conjuration d’un retour de la monarchie.

Percent aussi chez René de Maricourt le spectre d’une dictature égalitaire ou chez André Léo le souci que l’utopie soit trop exigeante pour être de ce monde. Cependant, Michel Zévaco et Olivier Souëtre esquissent un horizon révolutionnaire, même s’il ne paraît pas tout proche.

Cette anthologie bienvenue permet d’accéder à des textes peu connus, comme s’y emploie l’ex-cellente collection des éditions publie.net, «  ar-chéosf », et de sonder les imaginaires politiques de l’époque, secoués par un événement protéi-forme, difficile à saisir par des fictions qui pré-fèrent tourner autour. En outre, surtout à travers les textes de René de Maricourt et d’Olivier Souëtre, on peut y observer les prémices du récit d’anticipation moderne comme moyen littéraire de traiter du politique.

Michel Cordillot (dir.) La Commune de Paris, 1871.

Les acteurs, l’événement, les lieux Éditions de l’Atelier, 1 438 p., 34,50 €

Le centième anniversaire de la Commune de Pa-ris, en 1971, avait été marqué par la parution du deuxième volet du Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, imaginé et dirigé par Jean Maitron. Quelque 75 000 biographies, couvrant une séquence ouverte par la création de l’Association internationale des travailleurs (AIT) pour s’achever avec la Semaine sanglante, s’offraient de la sorte aux chercheurs comme aux curieux en autorisant des approches inédites. Un demi-siècle plus tard, l’ouvrage coordonné par Michel Cordillot se veut un « renouvellement dans la continuité ».

Michel Cordillot dit sa dette immense vis-à-vis de Jean Maitron comme de l’historien Jacques Rougerie, qui doit au tournant qu’ont constitué ses travaux d’être l’unique historien bénéficiant ici d’une des « mises au point ». L’ouvrage prend un solide appui sur tous les acquis de la re-cherche devenus canoniques mais épouse aussi bien la dynamique d’une histoire en mouvement en faisant une large place à des travaux récents ou parfois même en cours, autorisant des décou-vertes – ainsi, entre autres exemples, « la flotille de la Commune » ou le rôle de l’ambassadeur américain Washburne. Là où l’on consulte un

dictionnaire, les choix éditoriaux adoptés valent à cet ouvrage, assurément susceptible de lectures partielles ou transversales, de pouvoir être lu de bout en bout avec un intérêt jamais démenti mal-gré sa taille imposante. Tant il est vrai qu’il ne s’agit aucunement d’une réédition, serait-elle revue et corrigée.

Cette appropriation spécifique tient d’abord à ce que les éditions de l’Atelier nous offrent là un

«  beau livre  », fort d’une maquette aérée et d’illustrations de qualité, au premier rang des-quelles ce mode d’expression majeur qu’ont été les affiches mais également des photographies de la plupart des militants retenus, photographies dont il est signifiant d’apprendre que certaines ont été transmises il y a peu par des familles les ayant pieusement conservées au fil des décennies.

Elle tient ensuite à la décision prise de circons-crire la présente édition à un échantillonnage rai-sonné de quelque 500 notices biographiques ; sans aucun dommage dès lors que toutes sont aujourd’hui consultables en ligne dans leur inté-gralité sur le site du Maitron. Les notices sélec-tionnées ont, en outre, été réécrites pour intégrer les apports de travaux récents, s’agissant, par exemple de Beslay, le « bourgeois de la Com-mune », de Louise Michel ou de Louis Blanc, et pour présenter une unité de ton et de démarche.

La sélection, dont les auteurs ne cachent pas qu’elle a été difficile, a été guidée par le souci de donner à voir l’extrême diversité des parcours ayant pu mener à l’engagement communard. Les acteurs majeurs, naturellement tous présents,

Portraits de la Commune 72 jours qui ont 150 ans

Dans le document Communautés transatlantiques (Page 28-31)