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Le concept trouve son origine dans un passé lointain en rapport avec les luttes des Noirs américains et des Caribéens contre la domination blanche. Autour de la race vont s’élaborer des théorisations dont les figures de proue sont : Edward Blyden, professeur, diplomate, (1823-1912) né dans les Caraïbes ; Henry Sylvestre William, avocat, (1869-1911) né à Trinidad ; Antonin Firmin (1850-1911), avocat, né à Haïti ; Bénito Sylvain (1868-1916) né à Haïti, etc.

Si le dénominateur commun de tous ces penseurs est l’intérêt porté à la race noire et à l’Afrique, les positions divergent. Le Jamaïcain Marcus Aurelius Garvey, (1887- 1940), par exemple, préconisera l’union des Noirs de tous les continents et le retour en Afrique des Noirs de la diaspora. Ses idées seront diffusées en anglais, en espagnol et en français dans le journal The Negro World, fondé en 1918.

W Du Bois (1868-1963), en revanche, postulera que le Noir américain peut être à la fois Noir et Américain. La lutte pour la revendication de la reconnaissance des gens de couleur n’est pas séparable de la lutte des mouvements africains.

Ce qui fait, en vérité, la force de ce mouvement panafricaniste, c’est qu’il va permettre de mobiliser l’ensemble des intellectuels tant de la diaspora que de l’Afrique autour de l’appartenance à une même race, celle noire. Les conférences organisées entre 1919 et 1945 seront de grands moments de rassemblement. Aussi, même si dans un premier temps, peut-on noter une faible participation des Africains en raison d’une élite souvent encore en formation, contrairement aux autres pays de la diaspora. Progressivement, on voit la participation de l’avocat sénégalais Lamine Guèye qui a assisté à la conférence panafricaine à Paris par Du Bois en 1921 et l’avocat dahoméen (actuel Bénin) Quenum Towalou à la conférence panafricaine organisée en 1928 à New York. Et en 1945, l’organisation

comprendra le Ghanaén Kwamé Nkrumah qui défendra toute sa vie cette doctrine60.

Les caractéristiques de cette idéologie sont sa focalisation, d’une part, sur l’Afrique en tant que continent, sur sa dimension géographique, et, d’autre part, sur la race, celle noire. Le continent, dans le premier cas, devient une sorte de lieu de référence partagé par tous les Noirs, au point d’aboutir à ce que le sociologue sénégalais Abdoulaye Guèye 61 appelle « l’obsession de la race et du territoire ». Ce dernier montre à travers l’étude de la librairie « Présence Africaine », et d’une organisation d’étudiants africains-la Fédération des Etudiants d’Afrique Noire Française (FEANF) 62-, comment la notion de race et de

géographie reste le dénominateur commun de la plupart des penseurs de l’époque.

La librairie « Présence africaine », selon le sociologue sénégalais, dans les années 40 à Paris est le lieu de rencontre des intellectuels d’horizons divers (Afrique, Madagascar, Antilles, Caraïbes, Amérique) partageant une préoccupation : la défense de la race et de la civilisation noire. Et à travers les articles publiés dans la revue qui porte le même nom, on remarque la présentation exclusive d’ « expériences sociales et des manifestations culturelles ou ethniques des populations noires installées sur les différents continents. Les réflexions sur l’inventivité musicale et les conditions sociopolitiques des Noirs vivant aux USA cohabitent avec des articles qui vont l’inventaire des richesses de la poésie noire de la République d’Haïti, ou avec des analyses de la technique sculpturale de certains peuples du Nigeria ainsi que de leur influence sur l’art moderne ; des essais qui ambitionnent de démontrer l’existence d’une « philosophie bantoue »partagent les colonnes de la revue avec des textes universitaires qui s’efforcent d’établir la survivance au sein des populations noires du Brésil de religions traditionnelles de l’Afrique occidentale63».

Le second exemple est en rapport avec la race et la géographie. Une organisation étudiante voit le jour, la Fédération des Etudiants d’Afrique Noire Française (FEANF) en 1950 à Bordeaux. Ce syndicat estudiantin chargé de défendre leurs intérêts matériels et leurs idées met en place un organe, L’Etudiant d’Afrique

noire, en 1956 au titre encore révélateur. Ce qui conforte l’attachement à l’Afrique

le logo : c’est une carte intégrale de l’Afrique qui renferme une calebasse parsemée de trous bouchés par quelques doigts. Le symbolisme du lieu est

60 Sur Kwamé Nkrumah et le panafricanisme, lire Africa must unite (1963) ; en français : L’Afrique doit s’unir, Présence Africaine 1964.

61Abdoulaye Guèye, « Entre l’obsession de la « race » et celle du territoire : les nationalistes africains en France », in Thierno Bah (sous dir.), Intellectuels, nationalisme et idéal panafricain. Perspectives historiques, Dakar, Codesria, 2005, p. 29-45.

62Sur la FEANF, lire : Amadou Aly Dieng, Les premiers pas de la Fédération des Etudiants d’Afrique Noire en France

(FEANF) (1950-1955), Paris, L’harmattan, 2003.

clairement précisé à travers la carte. Et on pourrait penser qu’il « s’agit d’une partie spécifique de l’Afrique, celle qui commence en dessous du Sahara en raison de l’adjectif « noir » qui participe du titre de l’organe.

Par ailleurs, la composition démographique des membres du syndicat est encore instructive quant à l’ancrage continental. Ce sont des Noirs issus uniquement des territoires d’Afrique subsaharienne sous domination française. Les Noirs venant des Amériques en étaient absents, selon Abdoulaye Guèye, certainement en raison de « l’orientation politique » au fil des ans. La quête de l’indépendance était devenue, au fil des années, le « leitmotiv d’une communauté intellectuelle à contre-courant de la position, originelle en tout cas, celle des aînés » qui se limitait à la défense uniquement des intérêts matériels des étudiants.

La seconde idéologie mobilisatrice est fondée non plus sur le continent, mais sur la nation. Elle voit le jour à la même période et vient en complément du précédent.