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3.2 Les maisons d’édition

3.2.2 Les héritières

Devant l’inexistence de structures chargées de l’édition et obligés d’importer les manuels scolaires d’Europe, les Etats africains nouvellement indépendants en firent une priorité176. C’est ainsi que dans les années 70, précisément en 1972,

sont créées les Nouvelles Editions Africaines (NEA), avec trois Etats : Sénégal, Côte d’Ivoire et Togo.

Les objectifs de cette dernière sont :

- promouvoir la culture négro-africaine en favorisant la création littéraire, et plus spécialement les jeunes auteurs, par la publication de nombreux ouvrages de littérature générale ;

- contribuer à l’éducation des masses en éditant des manuels scolaires adaptés au milieu africain et aux contraintes de développement ;

- participer à l’approfondissement et au développement du patrimoine culturel des Etats africains par la production d’ouvrages de références (guides, encyclopédies, études et documents).

Cette maison d’édition va faire connaître au public non seulement des auteurs confirmés (L.S. Senghor, Birago Diop, Lamine Diakhaté, etc.), des valeurs sûres ( Malick Dia, Cheikh Ndao, Abdou Anta Ka, Mbaye Kana Kebe, etc.), mais encore de jeunes talents : Mariama Ba , Une si longue lettre (roman)1979 ; Aminata Sow Fall, Le Revenant (roman), 1976, La grève des battu (roman), 1979, L’appel des

arènes (roman),1982 , Boubacar Boris Diop, Les tambours de la mémoire, grand

prix du président pour les lettres en 1990, etc.

De plus, à travers ces catalogues, on décèle une diversité témoignant de la richesse des productions. Ainsi, dans le catalogue de 1982-1983, une dizaine d’années après sa création, la maison d’édition a publié 547 titres, avec 371 ouvrages non scolaires, 139 pour la littérature, 51 pour l’histoire, 130 pour les

études et les documents, 51 pour la jeunesse, 176 manuels scolaires et parascolaires, 67 manuels pour le primaire, 109 manuels pour le secondaire. Mais c’est surtout la manière dont les intellectuels vont s’appuyer sur ces structures en vue de concrétiser leurs objectifs qui est intéressante à travers les grandes collections, les encyclopédies, les anthologies, etc.

Makhily Gassama, professeur de lettres, présente Kuma (1978) qui signifie en bambara, ethnie vivant au Mali, la parole multiforme qui varie en fonction de l’usage. Dans cette anthologie, l’auteur applique à la littérature noire française non pas les catégories de l’esprit européen, mais une autre grille de valeurs propres à la tradition orale.

Ibrahima Baba Kaké, historien, dirige la collection « les Grandes figures africaines ». Le but visé est de vulgariser les figures historiques africaines auprès surtout des nouvelles générations. Quelques titres sont publiés : El hadji

Omar Tall, prophète armé (Sénégal), Béhanzin, roi d’Abomey (Bénin), Anne Zinga, reine d’Angola, première résistante à l’invasion portugaise, etc.

Sur le plan du droit, le juge Kéba Mbaye va participer à la rédaction de l’ « Encyclopédie juridique de l’Afrique », tome 2, chapitre IV(1982), en vue de contribuer à la diversité des systèmes juridiques.

Et ce qui confirme cette volonté de faire de ces espaces de diffusion, pour les intellectuels des opportunités en vue de propager leurs idées littéraires, scientifiques ou autres, peut se voir de façon spécifique en ce qui concerne le cas sénégalais.

En l’espace de quelques années entre 1970 et 2000, à côté des maisons adossées à des institutions universitaires ou de recherches (Presses universitaires de Dakar ; , IFAN, CODESRIA) naît une multiplicité de maisons d’éditions reliées à des initiatives souvent individuelles.

Un tableau des maisons d’édition et de leur responsable est édifiant à cet effet.177.

Littérature générale Manuels,supports

pédagogiques, ouvrages scolaires et parascolaires

Littérature de jeunesse

-Afriqia (Thierry Akpo), -Edition du livre universel (Oumar Sankharé),

-ARED (Mme Sonia Diallo) -CAPEF (Mousa Ndiaye)

- BLD (Antoinette Corréa)

-Editions Tamalys (Nafissatou D Diouf)

177Ministère de la Culture et du Patrimoine classé,( Direction du livre et de la lecture), Répertoire des écrivains du Sénégal, 2007.

-Editions JP (Pape Jimbira Sakho)

-Edition Khadimal Moustapha (A.L. Diack) -Editions Plume ( Lamine Agne)

-Editions Sembène (Mame Ndeyaba Seck)

-Feu de Brousse (Amadou Lamine Sall)

-Kalama (Nicole Gackou) -Khoudia-Caec (Aminata Sow Fall)

-Le nègre international (Elie Moreau)

-Les Editions Maguilen (Alioune B. Bèye) -Fama Editions (Moustapha Ndéné Ndiaye), etc. -EENAS (Moustapha Ndoye)

-IDEA (El.Lamine Bousso)

-KALAAMA (Nicole Gackou),

- OSAD (Arame Fall), etc.

- Editions Papillon (Fatima Emma Sy)

-Falia Editions (Coumba Touré), etc.

Dans les divers domaines (littérature générale, de jeunesse, etc.) se créent des investissements personnels au nom de convictions intellectuelles. Ainsi, pour la promotion de la poésie, genre difficile et souvent négligé, Amadou Lamine Sall crée, avec les Editions Feu de Brousse, la collection de poèmes « Feux de Brousse ». Alioune Badara Beye, avec les Editions Maguilen, nom du fils du président poète Léopold Sédar Senghor, mort dans un accident de voiture en 1981, veut redynamiser la poésie et le théâtre. Il dit : « Nous avons vu le jour en 1990, dans un contexte assez difficile, avec un combat permanent de résistance contre l'apartheid. C'est à ce moment que nous avons sorti l'anthologie de poésie anti-apartheid et que nous avons rencontré Mandela qui était venu à Dakar. Il fallait combler un vide puisqu'il n'y avait que les Nouvelles Editions Africaines. Pallier donc un manquement parce que les maisons d'édition ne s'intéressaient

pas à la poésie et au théâtre. » 178 Et il poursuit dans le même entretien : «Nous

avons produit plus d'une soixantaine d'ouvrages, bientôt 70. Mais ce qui est le plus important, c'est que nous avons gagné le pari de la production, avec la poésie et le théâtre (…) 80% de notre production est sur ces deux-genres (poésie et théâtre). Nous avons commercialisé de telle sorte que la poésie soit théâtralisée et mise en scène. L'anthologie de poésie a été vendue à 20 000 exemplaires.» La création du «Maguilen d'Or» sera pour lui encore un moyen d’ «encourager les auteurs qui produisent le maximum d'œuvres, de fêter aussi l'écrivain le plus méritant qui aura un prix de distinction et une enveloppe consistante. Cette année, ce prix est décerné à Mbaye Gana Kébé avec sept ouvrages ». Sur le plan des perspectives, il indique que « les Éditions Maguilen sont désormais un groupe qui «propose des cellules à Bamako et Accra, au Nigeria et au Maroc, avec des librairies pour que les ouvrages de Maguilen y soient présents».

Pathé Diagne, linguiste qui dirige les éditions Sankoré, n’est pas en reste. Après la parution du livre d’Amady Aly Dieng sur Hegel, Marx et les problèmes de

l’Afrique noire aux éditions Sankoré en 1978, il organise une conférence en mars

1981 sur la question des classes sociales en Afrique. Selon lui, il est indispensable de discuter la thèse d’Aly Dieng poussant à revisiter les positions développées par les marxistes, notamment Majhemouth Diop dans Histoire des

classes sociales en Afrique de l’Ouest, (tome 2, Le Sénégal, Paris, Maspéro,

1972), ou encore dans la revue Gëstu (revue de théorie et d’information), avec Sémou Pathé Guèye, philosophe marxiste.

L’engagement à travers la publication dans les revues ou encore dans les maisons d’éditions verra son accomplissement dans l’appartenance à des espaces de sociabilité intellectuels au sein desquels vont se développer des affinités intellectuelles, mais aussi des stratégies de différenciation avec les autres groupes opposés.

3. 3 Les structures associatives

Le fait de partager les mêmes convictions amènera des intellectuels à se regrouper en vue de nouer une sorte de solidarité idéologique, mais aussi d’afficher leur identité et indirectement de la fortifier. C’est dans ce sens qu’une diversité de clubs et de cercles va se constituer avec des orientations multiples : politique, culturelle, religieuse, scientifique, etc.