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3.2 Les maisons d’édition

3.3.3 Les associations culturelles

En vue de la promotion du livre comme moyen d’expression de la créativité littéraire, et comme moyen de conservation du patrimoine culturel, ou encore de promotion des langues nationales, etc., voient le jour plusieurs associations d’écrivains.

3.3.3.1 L’Association des Ecrivains du Sénégal (AES)197

Déjà, au premier congrès des Ecrivains et artistes noirs, à Paris en 1956, sous les auspices de la société africaine de culture, un noyau informel s’était constitué. Ce qui donnera naissance par la suite à la section sénégalaise du PEN Club International sous la houlette du docteur Ousmane Socé Diop, de Massata Abdoul Ndiaye, etc. Avec Alioune Sène, directeur de cabinet du président Léopold Sédar Senghor en 1969, seront jetées les premières bases d’un comité sénégalais du Mouvement des Ecrivains Afro-Asiatiques fondé à Tachkent en 1958. L’un des membres de ce comité à l’époque est l’écrivain Sembène Ousmane.

L’association des écrivains sénégalais en tant que tel sera l’initiative du président Léopold Senghor qui écrira au docteur Doudou Guèye qui animait un cercle littéraire pour l’inviter à créer une telle structure. En 1973, l’association voit le jour officiellement. Parmi les membres fondateurs, Birago Diop qui sera le premier président, Mamadou Traoré Diop qui sera secrétaire perpétuel, etc.198

La question de l’identité propre se pose encore à ce niveau. Entre la première génération d’écrivains dotée d’une légitimité historique - les premiers à avoir produit des ouvrages sur la culture noire dans un contexte souvent défavorable - et celle des écrivains de la post-indépendance, plus nombreuse et confrontée à d’autres problématiques non liées au passé. Pour la jeune génération, être soi, c’est ne plus vivre du passé, ce qu’exprime le poète Amadou Lamine Sall, de cette génération, en affirmant : « Il nous faut du courage aujourd’hui, face à tant d’écrivains qui vivent du passé. (…) Les jeunes doivent s’unir pour un nouvel

197 Le Pen Sénégal est une section de l’AES, avec cette différence que cette dernière est strictement réservée aux écrivains de fiction, alors que le premier est ouvert aux artistes, aux journalistes, aux écrivains et critiques d’art.

198 Succéderont au premier président d’autres écrivains de grande renommée. En 1984, Madame Aminata Sow Fall qui se retirera plus tard pour créer son institution privée (CAEC) passant le flambeau au poète Amadou Lamine Sall de novembre1989 à février 1993, puis Mbaye Gana Kebé, dramaturge, romancier en 1994 qui démissionnera de ses fonctions pour incompatibilité puisqu’il venait de créer un parti politique. Enfin Alioune Badara Bèye, poète, dramaturge, jusqu’à nos jours.

ordre littéraire et artistique, l’avenir leur appartient et ils ont le talent et l’enthousiasme qu’il faut. 199»

Pour Alioune Badara Beye et Marouba Fall (dramaturges), de cette même génération, « les enjeux sont essentiellement d’ordre esthétique : il faut reconnaître aux Anciens le mérite d’avoir ouvert la voie sans rester prisonnier de leur rayonnement200 ». Cependant, chaque génération a le devoir de faire

progresser un peu plus la littérature en cherchant de « nouveaux thèmes et de nouvelles formes ». C’est dans ce sens que prenant l’exemple du théâtre, Alioune B. Bèye montre que par rapport à son collègue Cheikh A. Ndao, il essaye de se démarquer en ne faisant pas que du théâtre historique.

Deux ouvrages pourraient symboliser cette différence générationnelle. L’Aventure

ambiguë (1961) de Cheikh Hamidou Kane, avec la figure emblématique de

Samba Diallo représentant la déchirure de l’homme africain écartelé entre deux cultures (celle traditionnelle et celle moderne) et ne trouvant sa rédemption que dans une fin tragique : tué par un fou. Face à ce regard tourné vers la tradition et sa possible conciliation avec le présent, se dresse pour la nouvelle génération une autre volonté de se limiter au présent et à ses contradictions. L’ouvrage d’Aminata Sow Fall, La grève des battu (1979), en est l’exemple type. L’auteur ausculte la psychologie des nouveaux riches très prompts à brimer les pauvres (les mendiants). Et pourtant, ils ont besoin de ces derniers pour recevoir les offrandes recommandées pour leur promotion sociale. Aussi leur grève ne pouvait-elle que leur être préjudiciable. Ces tensions entre « aînés » et « cadets » montrent que la vie associative n’est pas un long fleuve tranquille.

Une autre manière de marquer son identité en tant que groupe consisterait encore à percevoir dans le choix d’écrire dans les langues nationales et même de créer une association regroupant ceux qui visent à donner plus de dignité aux langues locales comme instrument pour le développement.

3.3.3.2 L’Union des Ecrivains Sénégalais en Langues Nationales

L’Union des Ecrivains Sénégalais en Langues Nationale (UESLALN) est née en août 1990 au centre de Bopp (Dakar), et regroupe une cinquante d’écrivains dans les langues wolof, sereer, mandinka, pulaar, etc201. Ce nombre limité au regard

des multiples langues nationales est lié, selon le président Adramé Diakhaté, à la

199 Waraango, n°10, 1er trim. 1985, p. 18. Pour lui, parmi les aînés existent cependant des hommes de valeur, tels Ibrahima Signaté, Roger Dorsinville, Jean Brière, etc., qui sont sensibles aux problèmes de la jeune génération d’écrivains.

200 Waraango, n°10,1er trim. 1985, p. 18.

201 Actuellement, plus d’une vingtaine de langues nationales sont reconnues, selon le Centre National des Ressources Educationnelles (CNRE), structure d’appui, de renforcement de capacités et d’accompagnement de la politique d’éradication de l’analphabétisme et de développement des langues nationales du Sénégal.

sélection des membres, car « il n’est pas donné à tout le monde de produire des œuvres d’une certaine qualité dans les langues nationales.202 »

Les objectifs poursuivis par l’association sont :

- encourager la création littéraire en langues nationales ;

- préserver le génie de nos langues à travers la plume et dans tous les genres littéraires ;

- traduire les œuvres d’une langue à l’autre ; - protéger les droits d’auteurs ;

- avoir des relations avec d’autres associations de même nature, en Afrique et dans le monde.

Les activités de l’UESLAN visent à :

- encourager la création ;

- présenter les publications de ses membres, notamment des recueils de poèmes, des contes, des essais philosophiques, des nouvelles, des romans et des œuvres traduites comme la Constitution, en partenariat avec l’Organisation Sénégalaise d’Appui au Développement (OSAD) et les éditions Papyrus203.

C’est dans ce sens que dès les années 90, des actions pour la visibilité sont posées avec la promotion des romans, poèmes et nouvelles de certains auteurs : - Gorgui Ousmane Guèye (1997), Namm xel, taggat jikko , recueil de

poèmes philosophiques en wolof ;

- Cheikh Aliou Ndao (1997), Jigeen Faayda , recueil de nouvelles en wolof ; - Mame Younousse Dieng (1999), Awo bi, roman en wolof ;

- Cheikh Aliou Ndao (1999), Toftalug Jigeen Faayda, suite du recueil de nouvelles en wolof.

Sur la même lancée, en collaboration avec les Editions Papyrus, l’UESLAN204

organise une cérémonie de dédicace des écrits de :

-Aboubacry Moussa Lam : Paalel Juumri (Pulaar), dont la première partie porte sur l’histoire , l’origine des populations, la pauvreté dans le monde, et le développement des idées permettant aux populations de vivre ensemble, la seconde partie sur les problèmes écologiques, les problèmes d’accès à la terre, et

202 Entretien téléphonique du 17 juillet 2013.

203 Il existe encore une collaboration, depuis quelques années, avec la Direction du Livre et de la Lecture, notamment dans l’organisation de la Foire du livre.

la valorisation des barrages, la troisième partie sur l’actualité, avec les questions de la vie politique, économique et sociale.

-Ibrahima Sarr : Bokki et Kartaali Nibbe (Pulaar). Dans Kartaali Nibbe, l’auteur raconte son séjour en prison en 1986 avec un groupe d’intellectuels qui avaient signé un manifeste dénonçant l’injustice subie par la communauté négro-africaine en Mauritanie.

Ce qui particularise encore cette association est la manière dont les membres à titre individuel, par des actions ponctuelles, vont œuvrer pour une plus grande considération pour ces langues. La linguiste Aram fall de l’IFAN, pour l’avancement des langues nationales, va d’abord exhumer les premiers travaux sur la langue wolof, dès le 18 è siècle avec Michel Adanson. Le naturaliste français Michel Adanson qui séjourna au Sénégal de 1749 à 1753205 élabore une «

grammaire ouolove abrégée», un vocabulaire thématique français-wolof d’un millier de termes, recueille des contes en wolof, etc.

Mieux encore, elle fait un plaidoyer pour l’intégration des langues nationales dans le système éducatif. Aussi demande-t-elle une plus grande implication des structures universitaires : le département de Linguistique de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Dakar, le Centre de Linguistique appliquée de Dakar, le Laboratoire de Linguistique de l’IFAN, les Presses universitaires de Dakar, l’Ecole Normale Supérieure de Dakar, etc., dans les « problèmes liés à la recherche linguistique, à la conception des systèmes orthographiques, à la formation des formateurs, à l’élaboration d’outils didactiques, à l’édition, à la démarche pédagogique, à l’évaluation, etc. Par-delà l’Université, selon elle, « il importe que tous les intellectuels africains s’investissent massivement dans la modernisation des langues africaines, chacun dans son domaine de spécialisation ». Et, elle ne se limite pas à de pures exhortations, elle prend part au débat sur « l’argumentation en wolof206 » suscité par l’interview du Professeur Souleymane

Bachir Diagne (philosophe) à l’émission « Le Grand Rendez-Vous » de 2STV. Cette interview fait suite à la contribution de Messieurs Thierno Guèye et Khadim Ndiaye, publiée dans les commentaires du site Xalima. Si argumenter signifie, selon elle, « faire connaître sa position, sa thèse, la faire admettre à un lecteur ou à un auditoire, ébranler des contradicteurs, faire douter un adversaire, faire basculer les indécis, contredire une thèse opposée, critiquer une position contraire ou éloignée, démontrer avec rigueur, ordre et progression se mettre en valeur, servir une cause, un parti, une foi », alors la langue wolof possède les ressources nécessaires. Elle affirme :

205 Sur Michel Adanson, voir encore les travaux de Charles Becker , V. Martin et C. Mbodj. Ces derniers parlent de l’ébauche d’un dictionnaire polyglotte avec le maure, le sereer, le bambara, le pulaar, le soninke, le manding, le noon, le papel, etc., toutes langues parlées dans la sous-région. Voir aussi C. Becker, V. Martin, in Bulletin de l’Institut Fondamental

d’Afrique Noire, Tome 42, série B, n° 4, octobre 1980.

« Dans le Précis de grammaire fonctionnelle de la langue wolof que j’ai publié en 1999 – et que je me fais le plaisir de vous adresser- j’en ai relevé un certain nombre de la page 95 à 99. Les éléments que j’ai appelés globalement particules et qui correspondent certainement aux « connecteurs logiques» évoqués par les

auteurs regroupent : -les particules de mise en valeur : it, itam, kepp, kese, kott, daal, moos, etc.

-les particules adnominales : lenqe, lëmm etc. ; les particules comme ngalla, rikk etc. ; les particules exprimant la concession, l’opposition, la conséquence comme

naam « certes », waaye, moona, moonte, boon, kon, etc. ; les conjonctions : ndegam, ndax, ngir etc., sans compter les expressions comme rawatina, rax ci dolli. Cheikh Anta Diop a largement usé de ces expressions : ak lu mën a xew «

en tout cas », ci weneen waxin « en d’autres termes », gën caa rawe « en

particulier », etc.

On n’oubliera pas le rôle important des proverbes, devises et autres, par lesquels très souvent l’énonciateur impose son point de vue… : Yàlla Yàlla : bey sa

tool/ dige bor la/ ku ëmb sa sanqal, ëmb sa kersa . Voilà quelques-unes des

nombreuses possibilités qu’offre la langue wolof et on pourrait en dire autant de toute autre langue. Le reste, c’est le travail concret des hommes.207 »

A côté des associations composées d’écrivains en langue française (AES) ou encore en langues nationales (UESLAN), se trouvent des associations savantes constituées d’experts ou érudits dans un domaine précis de la connaissance.